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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Déplacement et séjour personnel à Rome

 

Avec l'exposition Poesia e pittura nel Seicento. Giovan Battista Marino e la meravigliosa passione, visible jusqu’au 9 février 2025, la Galleria Borghese propose le sujet inédit des relations entre la peinture et la poésie selon le regard du poète napolitain  Marino Battista Marino (1569 – Naples - 1625), entre sacré, profane, littérature, art et pouvoir dans la première moitié du Seicento. 50 numéros, peintures, dessins, sculptures et les six ouvrages qu’il publia, illustrent ce voyage mental.

Francesco Furini, Franz Pourbus le Jeune, Antonio Allegri detto il Correggio, atelier de Tiziano Vecellio, Luca Cambioso et Jacopo Tintoretto et son atelier  © photographie Galleria Borghese, Roma.

Partant des textes du poète, l’exposition évoque le grand art de la Renaissance et du Baroque, de Tiziano à Tintoretto, de Correggio aux Carracci ou Poussin, dans cette célébration du plus grand poète italien du Seicento, sa “meravigliosa” passione pour la peinture et la sculpture.

Vie tumultueuse que celle de l’enfant de Naples, incarcéré par deux fois pour des raisons mystérieuses, s’enfuyant à Rome, lors du Jubilée de 1600, pour y trouver la protection de la famille de Melchiorre Crescenzi, majordome de Clemente VIII Aldobrandini. Instants décisifs lui permettant d’entrer en relation avec le monde aristocratique et ecclésiastique romain, de connaître le Cavaliere d’Arpino et Caravaggio.

En 1602, le succès extraordinaire de la publication à Venise de Rime  - ouvrage de nombreuses fois réédité - lui permet d’entrer comme gentilhomme au service de Pietro Aldobrandini, cardinal-neveu de Clemente VIII. La mort du pape change la donne, le contraint de partir à Ravenne à la suite de Pietro Aldobrandini, archevêque de cette ville.

Cherchant une autre position de courtisan, il se rapproche du duc Carlo Emanuele I di Savoia et rejoint la cour de Turin en 1609. Mauvais choix. Il entre en rivalité, par des échanges injurieux, avec le poète Gasparo Murtola jusqu’à ce que ce dernier décide de le tuer. L’assassinat tourne mal, Murtola est incarcéré. Marino a gagné, plus aucun rival face à lui.

Cette position ne durera pas, l’Inquisition romaine ayant ouvert un dossier à son encontre pour poésie obscène et impie. Avril 1611, sur ordre du duc de Savoie, il est incarcéré pour des motif restés encore aujourd’hui inconnus, pendant une année.

Libéré, il reste cependant à Turin. Il publie en 1614 un ouvrage en rimes, la Lira puis un autre ouvrage en prose, les Dicerie sacre dont il espérait que la dédicace au pape atténuerait les menaces inquisitoriales. Convoqué à Rome pour s’expliquer auprès de l’Inquisition, il préfère s’enfuir en France à la cour de Catherine de Médicis, mère du jeune roi Louis XIII monté sur le trône en 1610. La publication de Tempio à Lyon, dédicacé à la reine, lui obtient la protection de celle-ci. Il restera à la cour de France jusqu’en 1623.

Giovan Battista Marino, L'Adone, Paris, Olivier de Varennes, 1623. Volume in-2. Paris, Bibliothèque nationale de France © photographie Galleria Borghese, Roma.

Publication en 1619 de La Galeria, sur des presses vénitiennes, 624 compositions consacrées à des œuvres d’art : peintures et sculptures. Puis en 1623, publication de L’Adone, sur les presses parisiennes d’Olivier de Varennes, grâce à l’aide financière royale. L’insigne exemplaire de dédicace au roi, dans sa reliure aux armes de Louis, semis de fleurs de lys est exposé. Époque de sa rencontre avec le jeune Nicolas Poussin qu’il incite à se rendre en Italie, à Rome, où il n’ira qu’en 1625.

Revenant à Rome en 1623, Marino espérait la protection d’Alessandro Ludovisi, le pape Gregorio XV (1621-1623). Mauvaise donne une fois de plus, son successeur au siège de Pierre, Maffeo Barberini, Urbano VIII, ne freinera ni les actions du Saint Office, ni ne s’opposera à son incarcération jusqu’à son abjuration publique à Santa Maria sopra Minerva. L’Adone est suspendu par l’Inquisition. (1)

Giovanni Batista retourne à Naples. Accueil triomphal, il est élu Prince des académies locales. Son souhait d’ouvrir à tous sa maison pour présenter ses livres et sa collection de peintures ne verra pas le jour ; il meurt le 26 mars 1623.

Franz Pourbus le Jeune (Anvers 1569-1622 Paris), Portrait de Giovan Battista Marino, 1619-1620. Huile sur toile. Detroit Institute of Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, Galleria Borghese, janvier 2025.

Quel plus bel endroit que ce lieu pour cette exposition ! Marino vous accueille, peint par Franz Pourbus le Jeune, peintre de la cour de France. Il a 50, 51 ans, le visage marqué, le regard pénétrant, arborant très fièrement la croix de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare que lui a remise Carlo Emanuele I di Savoia en 1609. Il est Chevalier, titre figurant sur ses ouvrages de poésie. Dans la main gauche, un livre relié, affirmation de ses succès poétiques et de sa reconnaissance par les puissants, allusion à l’Adone en gestation, non encore imprimé.

Jacopo Tintoretto et son atelier, Narciso alla fonte, ca 1555-1560. Huile sur toile, 148 x 190 cm.. Rome, Galleria Colonnna © photo Galleria Borghese, Roma.

Le parcours s’ouvre, dans le majestueux salon – plafond de Mariano Rossi, Jupiter accueille Romulus dans l’Olympe - avec des chefs-d’œuvre de Francesco Furini, Pittura e Poesia, 1626, Corregio, Danae (1530-1531), l’atelier de Tiziano Vecellio, Venere e Adone (au drolatique chapeau) (ca 1570-1575), Luca Cambioso, avec le même sujet (1560-1565), Tintoretto et son atelier, Narcisse à la fontaine (ca 1555-1560). Présentation simple selon la scénographie de Paolo Bertoncini Sabatini, panneaux de salles explicites, les œuvres exposées s’immisçant dans le parcours permanent ; Borghese n’a pas de salles dédiées aux expositions.

Dessins de Bernardo Castello, Giuseppe Cesari detto Cavalier d'Arpino  // en bas Ludovico Cardi detto il Cigoli © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Imprimée en 1619 à Venise alors qu’il était encore à Paris, La Galeria del Cavalier Marino est une collection idéale et rêvée, 624 madrigaux, sonnets et quelques chansons vantant des œuvres peintes et sculptées retenues par l’artiste. Quelques-uns de ses textes sont publiés dans le catalogue, indispensable. Des dessins sont présentés, l’idée du Chevalier ayant été d’accompagner son ouvrage d’estampes, projet non abouti. Plaisir de voir deux dessins, pierres noires et rouges, du Cavalier d’Arpino, La Fama (ca 1590) et Il Trionfo di Galatea (ca 1630).

La section consacrée à La Galeria est un dialogue entre Giovan Battista et les artistes - peintres et sculpteurs – cités dans cet ouvrage, ceux du grand art de la Renaissance et du Baroque.

En haut, à droite, Tiziano Vecellio, Maddalena penitente, 1567. Huile sur toile. 122 x 94 cm.. Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte  // à gauche, d'un anonyme romain, Cristo portacrocce con Maria Virgine, 2ème moitié di XVIe. Huile sur toie. 162 x 106 cm.. Rome, Galleria Borghese © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Les commissaires Emilio Russo, Patrizia Tosini, Andrea Zezza et Beatrice Tomei présentent des œuvres vues par le poète, dont il a parlé dans son ouvrage. Leandro in mare de Peter Paul Rubens et son atelier (années vingt du XVIIème) face à Enea, Anchise e Ascanio de Giovanni Lorenzo Bernini (1618-1619), Arianna e Bacco dans une attribution au bolonais Ludovico Carracci (1600-1610) à côté de la violence du Rapimento di Proserpina (1618-1619) du même sculpteur, Maddalena penitente de Tiziano Veccellio (1567) et Sansone e Dalida du génois Giovanni Battista Paggi (1591) entourant Il David (1623-1624), commande du cardinal Scipione Borghese auprès du Bernin ; sur les cartels de toutes ces œuvres figurent les vers de Marino.

Raphaël, Bronzino  //  Giovanni Battista Pioggi, fragment de Strage degli innocenti, ante 1604 ? Huile sur toile, 255 x 178 cm.. Colle di Val d'Elsa, Complesso di San Pietro  //  Pietro Testa detto il Lucchesino, Allegoria della Strage degli innocenti, ca 1638-1640. Rome, Galleria Spada  © photo Galleria Borghese, Roma.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

La section La Strage degl’Innocenti / Le massacre des innocents reprend le nom d’un des chefs d’œuvre du poète publié à titre posthume, en 1632, à Naples. A travers la beauté de l’art, comment aborder un des exercices les plus difficiles de la peinture soit, le plus horrible des crimes que la plus intense des souffrances.

O quale era, a veder fuggir tremanti / Per la reggia crudel, fanciulli e donne ; / Tali furono i lamenti e i gridi tanti… , extrait d’une des strophes, placé en écho de la toile éponyme de Nicolas Poussin (ca 1626-1627), œuvre peu connue de son corpus, prêt du Petit Palais, Paris.

Guido Reni, Strage degli innocenti, 1611. Huile sur toile. 268 x 170 cm.. Pinacoteca Nazionale di Bologna, ph. Marco Baldassari © Le Curieux des art Gilles Kraemer, août 2024,  Pinacoteca Nazionale,  Bologne.

Che fai GUIDO ? che fai ? / La man, che forme angeliche dipigne, / tratta or opre sanguigne ?.   (Marino, La Galeria, 1620). Quel dommage que la toile éponyme de Guido Reni ne soit pas présente, seulement reproduite dans le catalogue ! Elle fut probablement peinte lors de son séjour romain. L'action s'est arrêtée au moment culminant de l'assassinat des enfants,  dans l'horreur de cette scène.

Le fragment gauche de la toile de Giovanni Battista Paggi (ante 1604 ?), toile volée en 1955 et découpée en morceaux et la peinture de Lucchesino (ca 1638-1640) sont écho de cette représentation picturale du Seicento.

lAlessandro Turchi detto l'Orbetto, Venere e Adone morente, ca 1622-1624. Huile sur toile, 133 x 99 cm.. Londres, collection particulière //  Laurent de La Hyre, La morte di Adone, ca 1624-1628. Huile sur toile, 109 x 148 cm.. Paris, musée du Louvre  // Ippolito Scarcella detto Scarcellino, Venere e Adone, ca 1600. Huile sur toile, 97,5 x 118,5 cm.. Rome, Galleria Borghese © photographie Galleria Borghese, Roma

Laurent de La Hyre, La morte di Adone, ca 1624-1628. Huile sur toile, 109 x 148 cm.. Paris, musée du Louvre  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Adone, Adone, o bell’Adone, tu giaci / Né senti i miei sospiri, né miti il pianto

L’Adone (1623), publié à Paris, première traduction française en 1662 évoque les folles amours de Vénus et du mortel Adonis ; elles finiront dans les sanglots, l’amant blessé mortellement, à la chasse, par un sanglier. La déesse amoureuse chez Palma il Giovane (ca 1610), Adonis mort et veillé par son chien, admirable Laurent de La Hyre (ca 1624-1628), le récit de cette idylle ayant eu une grande influence sur les milieux littéraires et artistiques à Paris, la déesse le retrouvant mort chez Scarsellino (ca 1600) ou le pleurant chez Alessandro Turchi detto l’Orbetto (ca 1622-1624).

Nicolas Poussin, Le Parnasse, ca 1633. Huile sur toile. 145 x 197 cm.. Madrid, Musée du Prado © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

La dernière section est consacrée à la gloire de Marino et à sa découverte de Nicolas Poussin, son intuition de la grandeur du jeune Nicolas. Ils se rencontrèrent à la cour en 1622. Tous les premiers biographes du peintre, Bellori, Passeri ou Félibien s’accordent à reconnaître que de cette amitié naquit la peinture poétique de ses œuvres. Marino incita le jeune peintre à le suivre à Rome en 1623 ; quand ce dernier arrivera à la ville papale en mars 1625, le poète avait regagné Naples où il décédera quelques mois plus tard. Quatre toiles explicitent l’influence que put avoir le napolitain sur l’andelysien.

Nicolas Poussin, La mort de Chionée, ca 1622. Huile sur toile. 109,5 x 159,5 cm.. Lyon, Musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Nicolas Poussin, La complainte sur le Christ mort, 1628-1629. Huile sur toile. 101 x 145 cm.. Munich, Alte Pinakothek  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.                          

Nicolas Poussin, Le règne de Flore, 1630. Huile sur toile. 131 x 181 cm.. Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

La mort de Chioné (ca 1622) est peinte à Lyon avant qu’il ne revienne à Paris et n’y rencontre Marino. Vénus pleurant Adonis (1626), autre texte d’Ovide, joue de ses renvois avec la Complainte sur le Christ mort (1628-1629) dans la représentation de la mater dolorosa face à son fils mort et la position allongée du Sauveur. Prêt insigne de Dresde, Le règne de Flore (1631), la plus profondément, la plus intime peinture  du goût « marinien » clôt cette exposition, célébration des liens entre poésie et les arts.

 

(1) Deux expositions romaines consacrées à Urbain VIII et à la famille des Barberini, l’une en 2023, l’autre en 2024, aux Gallerie Nazionali, Palazzo Barberini.

https://www.lecurieuxdesarts.fr/2023/05/la-roma-barocca-dei-barberini-et-l-immagine-sovrana-di-urbano-viii-l-image-souveraine-urbain-viii-et-les-barberini.html

https://www.lecurieuxdesarts.fr/2025/01/maffeo-barberini-de-caravage-sort-de-l-ombre-il-ritratto-svelato-di-maffeo-barberini-di-caravaggio-gallerie-nazionali-barberini-corsini-rome.html

L'exposition aux Scuderie dell Quirinale consacrée au Guerchin, à la famille Ludovisi et à Gregorio XV - Guercino. L’era Ludovisi a Roma – revenait sur les liens entre Giovanni Francesco Barbieri, detto Guercino et la dynastie des Ludovisi, celle d’Alessandro Ludovisi qui occupa le trône de Pierre, de 1621 à 1623, sous le prénom de Gregorio XV - Scuderie dell Quirinale – 31 octobre 2024 au 26 janvier 2025

https://scuderiequirinale.it/exhibition/guercino-lera-ludovisi-a-roma/

Des œuvres présentes dans le catalogue ne figurent pas à l’exposition. Giuditta con la testa di Oloferne, Cristofano Allori (ca 1601-1612), Palazzo Pitti, Galleria Palatina, Florence, Medusa, marbre aujourd’hui attribuée à Orfeo Boselli (ca 1650-1660), Musei Capitolini, Rome et Susanna e i vecchi, Peter Paul Rubens (ca 1606-1607), Galleria Borghese, Rome, en restauration m’a-t-on dit.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Poesia e Pittura nel Seicento. Giovan Battista Marino e la « meravigliosa » passione

19 novembre 2024 – 9 février 2025

Commissariat Emilio Russo, Patrizia Tosini et Andrea Zezza, avec Beatrice Tomei

Galleria Borghese - Rome

Si tous les catalogues pouvaient procurer un tel plaisir de lecture ! 298 pages. 166 photographies. Éditions Officina Libraria et Galleria Borghese. Prix 39 € (en service de presse)

Caen, musée des Beaux-Arts, Lyon, musée des Beaux-Arts, Meaux, musée Bossuet, Montpellier, musée Fabre, Paris, BnF, Petit Palais, Louvre sont parmi les institutions prêteuses.

 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, janvier 2025.

Où déjeuner ? Au restaurant de Borghese, la cuisine des musées romains étant parfaite, comme celle des Serre Barberini du Palazzo Barberini. Vivi bistrot, simple et parfait. Lors de mon passage,  Francesca Cappelletti, la directrice générale de la Galleria, y déjeunait. Très abordable comme ses confrères.  rencontrés maîtrisant le français.

Carte courte et nullement gogo touristique. Service très attentionné, bon enfant comme d’habitude à Rome. Si vous connaissez quelques mots d’italien, vous serez le roi ou la reine auprès des serveurs. Un riso Venere, tartare d’avocat, tartare de saumon, excellent et suffisant, une eau pétillante obligatoirement pétillante et un caffè stretto, naturellement. 22 euros.

Point pratique : de nombreuses prises, le téléphone portable déchargé à la fin de la visite de la Galleria.

 

 

 

 

 

 

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