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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kramer

samedi 25 janvier 2025 (2ème représentation)

A gauche, assis, Riccardo Novaro. Haendel, Orlando, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux.

Nocturne dans musée des Beaux-Arts – en l’occurrence le fort beau Palais des Beaux-Arts de Lille, très inspirant pour la metteuse en scène Jeanne Desoubeaux. L’on retrouve le volume et l’esthétique de l’atrium du Palais et les grandes portes des sections peintures, ouvertures hautes et rectangulaires, majestueuses et sobres à la fois - pour Orlando, chef-d’œuvre d’Haendel, créé en 1733 par un allemand, en italien, en terre anglaise. Déjà l'Europe pour un message universel.

Haendel, Orlando, Théâtre du Châtelet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 25 janvier 2025.

Cet enfermement nocturne dans un musée, où l’intrigue se déroule, aurait pu se révéler lumineux avec la musique de rêve de Georg Friedrich à goûter dans la longueur de sa beauté délicate, fine, culminant dans l’air de la folie d’Orlando/Katarina Bradić sous la baguette flamboyante et captivante de Christophe Rousset abordant pour la première fois cette œuvre à la tête de Les Talens Lyriques. Bravo au chef décelant chaque pépite de cette musique si propice au syndrome stendhalien. Parfois l’envie nous prend de sautiller tellement les arias pétillent. Mais, la mise en scène de Jeanne Desoubeaux avec l’idée d’un lieu concret, lisible et connu, un musée incarnant tout à la fois le passé et le présent, cette contemplation des œuvres d’hier avec un œil d’aujourd’hui pour chercher du sens et des émotions convainc difficilement. Pourquoi des enfants censés être le double des quatre chanteurs se promènent-ils sur le plateau, les embêtent-ils, rient-ils d’eux, déplacent-ils des rochers, peinturlurent-ils la tête d’un agneau en rouge ? Mais que diable allait-il donc faire dans cette galère cet agneau nullement mystique !

Orlando Katarina Bradić - Angelica Siobhan Stagg - Haendel, Orlando, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux.

Tel Giulio Cesare in Egitto (1724) d’Haendel, sous le regard de Laurent Pelly à l’Opéra Garnier en 2011 qui se déroulait dans les réserves égyptiennes d’un musée, Jeanne Desoubeaux, au Châtelet, a placé également son action dans un musée. Son regard scénique a souhaité rendre lisible, en le modernisant, cet étincelant opéra baroque mais si l’on ne possède pas quelques notions d’Orlando furioso, poème de Ludovico Ariosto (1474-1533) – Haendel s’en inspirera une nouvelle fois, en 1735 pour Alcina -, il sera difficile de comprendre l’intrigue alambiquée de cette histoire que le public au XVIIIème connaissait par cœur, celle du fol amour du chevalier Orlando pour Angelica qui l’a abandonné pour Medoro qu’aime la bergère Dorinda. Un quatuor brûlant de passions. La vengeance et l’amour déçu provoquent la folie du chevalier. Zoroastro, mage et aussi philosophe, va ordonnancer le calme. Le tout dans un trio, des duos et des arias époustouflants. Le plaisir de la divine musique baroque. Fermer les yeux et écouter.

Le décor des actes I et II est beau, avant la « morne plaine » dans le rougeoiement des lumières de Thomas Coux dit Castille puisque cet acte III est celui de la folie d’Orlando, prêt à occire. Que le sang coule ! La restitution du musée est pertinente avec ses tableaux porteurs d’un message. Madame Vigée-Le Brun et sa fille - nullement de la période révolutionnaire puisque commande du comte d'Angiviller, directeur des bâtiments du roi -, symbole de l’amour, Lutte de Jacob avec l’Ange, peinture murale d'Eulgène Delacroix dans l’église Saint-Sulpice, évocateur de la guerre - que l’on ne voit pas et dont l’on parle sans cesse - avec Battaglia tra cavalliere turche e cristiane de Francesco Monti, un portrait laid d’une archiduchesse d’Autriche, que les diablotins d’enfants vont s’empresser de décrocher, renvoyant à Angelica la princesse, c’est pas très sympathique pour elle. Et le portrait d’un beau militaire, un peu Antoine van Dyck, dont surgira en chair et en os, dans un clair-obscur caravagesque, Orlando tel Tom Baxter/Jeff Daniels dans La Rose pourpre du Caire (1985) de Woody Allen. Effet connu mais qui marche à chaque fois. Costumes d’Alex Constantino – teintures naturelles, remploi des stocks du Châtelet, pratique vertueuse devenue courante dans les institutions – dans un renvoi, selon le costumier aux sanguines et trois crayons d’Antoine Watteau, aux pastels de la portraitiste Rosalba Carriera. Clin d’œil au pastel d’Antoine par Rosalba puisque la vénitienne a portraituré le valenciennois lorsqu’elle  résida à Paris ?

Angelica Siobhan Stagg - Zoroastro Riccardo Novaro - Haendel, Orlando, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux.

D’abord, Zoroastro. Le baryton italien Riccardo Novaro endosse les habits du gardien de nuit du musée, seul homme du plateau, Christophe Rousset ayant souhaité, comme pour la création absolue, qu’Angelica soit chantée par une femme et non un contre-ténor. Souverain, c’est à lui de gérer toutes ces impossibles et possibles amours, d’un timbre aisé et affirmatif faisant paraître sa naturelle autorité. Mais, comment arrive-t-il à chanter avec une petite fille sur l’épaule à l’acte III ? Bravo, bravissimo baritone. Medoro/Elizabeth DeShong - l’étasunienne connaît son Haendel sur le bout des doigts et des nuances pour avoir enregistré le rôle de Bradamante d’Alcina – laisse entrevoir toute son émotion et sa maîtrise dans ses duos avec son amante puis le trio si sensuel visuellement et vocalement avec Dorinda et Angelica.

La belle bergère Dorinda sera Giulia Semenzato – habituée du répertoire mozartien et haendélien – dans un jeu très enjoué, laissant éclater le délice de sa voix fruitée. Siobhan Stagg, parfois aux intonations mozartiennes dans l’acte I, est parfaite Angelica. Elle sait être douce puis passionnée à la vue de son amant. Cela se voit, ceci se ressent. Quel beau couple avec Medoro !

Et Orlando, qui pourrait être surnommé « furioso », Katarina Bradić ? Ce que j’aime dans cet opéra, c’est le crescendo de sa furieuse violence. Son aria vaut tous ceux du monde, basculant entre Éros et Thanatos. Technique dans l’arc-en-ciel de ses nuances.

Esprimere attraverso la bellezza della musica il più orribile che la più intenza delle sofferenze. Exprimer à travers la beauté de la musique le plus horrible que la plus intense des souffrances. Haendel connut-il la poésie du napolitain Giovan Battista Marino (1569-1625) ? 

 

Georg Friedrich Haendel, Orlando, opéra en trois actes. Livret d’un auteur anonyme, inspiré de Carlo Sigismondo Capece, de Grazio Braccioli et d’Orlando furioso de l’Arioste

Créé le 27 janvier 1733 au King’s Theatre de Londres

Direction musicale Christophe Rousset à la tête de Les Talens Lyriques

Mise en scène Jeanne Desoubeaux

Scénographie Cécile Trémolières     Costumes Alex Costantino

Lumières Thomas Coux dit Castille     Chorégraphie Rodolphe Fouillot

Coordinatrice d’intimité Monia Aït El Hadj pour le baccio Orlando/Angelica et le trio dell’ amore Orlando/Angelica/Dorinda. Lors de la création de L’Inondation de Francesco Filidei à l’Opéra-Comique en 2019, les échos de la représentation se retrouvèrent dans la presse lyrique et judiciaire. Pour sa reprise en février 2023 à l’Opéra-Comique, Monia Aït El Hadj fut la coordinatrice d’intimité.

Orlando  Katarina Bradić  contralto

Angelica  Siobhan Stagg  soprano

Medoro  Elizabeth DeShong  contralto

Dorinda  Giulia Semenzato  soprano

Zoroastro  Riccardo Novaro  baryton

Orlando enfant  Nour Brunhes Esturgie, Adèle Moreau Penin*

Angelica enfant  Melina Masungi, Antoine Bouaziz*

Medoro enfant  Esteban Hernandez Sanchez, Ethan Darsoulant*

Dorinda enfant  Daniel Hernandez Sanchez, Jasmine Sadouni Baghouli*

*En alternance

23 janvier au 2 février 2025 pour 6 représentations

Production du Théâtre du Châtelet en coproduction avec l’Opéra national de Lorraine, le Théâtre de Caen et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

 

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