Tosca, la liberté face au pouvoir – Teatro dell’Opera di Roma
Gilles Kraemer
Déplacement et séjour personnel à Rome
Représentation du vendredi 17 janvier 2025
Tosca, une femme dans un monde d’hommes, pour cette Saison 2024/2025 du Teatro dell’Opera di Roma placée sous le signe de Visages du pouvoir. Entre Simon Boccanegra ouvrant la saison - Grevorg Hakobyan dans le rôle de Paolo Leoni est maintenant Scarpia dans Tosca - Lucrecia Borgia en février, Carmen en juin avec Gaëlle Arquez connaissant ce rôle jusqu’au bout de ses castagnettes pour se clore, à la fin octobre, avec Sabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi e Giacinto Scelsi, Terme di Diocleziano, dans la vision de Romeo Castellucci avec Emőke Baráth et Sara Mingardo. (1)
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Tosca, Te Deum, acte I © photocredit Fabrizio Sansoni.
Janvier 2024, retour de Tosca de Giacomo Puccini, un opéra au parfum si romain, qu'il ne pouvait être créé qu’à Rome, ici même au Teatro dell’Opera – appelé alors Teatro Costanzi avant qu’il ne soit réinauguré le 27 février 1928 après restructuration des espaces publics par la volonté de Mussolini -, sous la direction de Leopoldo Mugnone, dimanche 14 janvier 1900, en présence du compositeur.
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Teatro dell'Opera, Rome © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, 17 janvier 2025.
125 ans après sa première représentation absolue, l’opéra revient sur le lieu de sa création, ce mardi 14 janvier 2025 sous la direction de Michele Mariotti. Présence du président de la République Sergio Mattarella.
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Teatro dell'Opera, Rome © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, 17 janvier 2025.
Commémorant cette soirée de 1900, événement fondamental pour l’histoire du Teatro Costanzi, sous le regard du chef de l’État, le surintendant Francesco Giambrone et le maire de Rome Roberto Gualtieri ont dévoilé une plaque dans le hall. Voici pour l’ambiance bon enfant - sans « les créatures » de Garnier se croyant des spectatrices de rêve - de cette maison où aux entractes, le surintendant Giambrone discute avec les spectateurs et les abonnées, pratique inconnue du directeur général de l’Opéra national de Paris, sauf pour ceux du rang 15. Très bien ce Teatro jusqu’aux parfums d’ambiance « pot pourri » de l’Officina Profumo-Farmaceutica di Santa Maria Novella, institution de Florence depuis 1221.
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Tosca, acte I © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, Teatro dell’Opera, 17 janvier 2025.
125 ans plus tard, livret inspiré de la pièce homonyme de Victorien Sardou (1887), ce drame est donné dans la mise en scène d’Alessandro Talevi ayant suivi les indications manuscrites de Puccini portées sur la partition. Décors de la création et costumes d’Adolf Hohenstein reconstitués respectivement par Carlo Savi et Anna Biagiotti. L’on sent qu’Hohenstein s’était largement inspiré des habits de la divine comédienne Sarah Bernhardt, mais ils ne correspondent nullement à ceux de 1800 - la bataille victorieuse du Premier consul à Marengo le 14 juin est évoquée dans l’acte II -, la mode française régnant à cette époque de Lisbonne à Saint-Pétersbourg. Les habits de fin d'après-midi de Floria ne mettent nullement en valeur la cantatrice, n’évoquant pas la diva assoluta qu’elle est ; aucune magie, aucune grandeur surtout pour l’acte II où il est inconcevable que Floria puisse se produire en robe de ville devant Marie Caroline, reine de Naples. L’opéra doit faire rêver et encore plus la diva.
Deux distributions pour les représentations de janvier.
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Tosca, Le château Saint-Ange, acte III © photocredit Fabrizio Sansoni.
Lumières parfaites de Vinicio Cheli sauf pour l’acte du palazzo Farnese se déroulant la nuit alors que la lumière de la journée entre par la large fenêtre, côté Jardin ! Ce n’est qu’à la fin de l’acte II, avec l’installation iconique des deux bougeoirs de chaque côté du prédateur Scarpia occis, que la lumière enfin décroîtra, laissant place à l’obscurité. Cieux de l’avant-jour, ce temps suspendu encore constellé d’étoiles pour l’ultime acte, celui de la plate-forme du Castel Sant’Angelo avec au fond le Vatican et Saint Pierre, s’ouvrant sur le mélodieux Io de’sospiri du pasteur / Emma Mclaleese.
Commencée à l’Angélus du 14 juin 1800, l’action se terminera aux premières lueurs du 15, emprunt à la règle dramatique théâtrale d’une seule action en un seul lieu et en un seul temps, si chère à Racine.
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Vincenzo Costanzo, Francesco Ivan Ciampa, Anastasia Bartoli, Gevorg Hakobyan © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, Teatro dell’Opera, 17 janvier 2025.
Pas d’ouverture, tout démarre « veloce », pour l’acte de la basilique Sant’Andrea della Valle, sans doute le plus beau visuellement pour la grandeur et la majesté de son décor. Je conserve toujours en mémoire, celui de Jean-Paul Chambas, à Garnier, au printemps 1982, une merveille avec son décor s’ouvrant tout au fond lors pour la scène du Te Deum, mise en scène de Jean-Claude Auvray -. Mission remplie sur la scène du Costanzi. Ors du baroque, coupole peinte par Giovanni Lanfranco, une perspective infinie, infinie, la capella Barberini voulue par Maffeo Barberini, futur papa Urbano VIII – il faut connaître l’histoire de l’Urbs sur le bout des doigts – devenue ici celle des Attavanti où se réfugie le prisonnier politique Cesare Angelotti / Luciano Leoni évadé de Sant’Angelo.
La présence physique de Vincenzo Costanzo, il a quelques difficultés à endosser les habits de Mario Cavaradossi au début, ne suffit pas à son affirmation scénique. Voix ayant quelques difficultés à se placer, à trouver sa force avant le libérateur Il mioi solo pensiero, Tosca, sei tu ! applaudi puis Quale occhio al mondo / può star di paro parfait. Mais, comme il apparaît trop obéissant face à Tosca dans cet acte I, un enfant face à la diva trop capricieuse, jalouse, jalousie où s’immiscera facilement le manipulateur Scarpia devant lequel tremava tutta Roma ! Réagissant comme un lion blessé dans un vengeur Vittoria ! Vittoria ! / L’alba vindice di paro. Il aura fallu les portes de la mort pour qu’il prenne totalement possession de son rôle ; son E lucevan le stelle … / ed olezzava la terra, instants où il va chercher au plus profond de lui toute sa puissance; chaleureux applaudissements : magique. Observant attentivement à cet instant le chef d’orchestre Francesco Ivan Ciampa, ce dernier le soutenait largement, mimant de ses gestes ceux du ténor. Une représentation est vraiment une équipe, une belle démonstration dans cette complicité ressentie ce soir entre fosse et plateau. Bravissimo à Ciampa, dans la fulgurance de sa direction à la tête de l’orchestre du Teatro. Assurance et maîtrise. Plaisir d’entendre et de réentendre Puccini que l’on redécouvre à chaque fois.
Gevorg Hakobian, baron Scarpia, le veule et lubrique chef de la police, secondé par son âme damnée Spoletta, parfait Saverio Fiore, dont l’on ne souhaiterait surtout pas croiser le regard lorsqu’il est accompagné par ses sbires. Scarpia toujours présent même lorsqu’il n’est pas là, manipulateur démoniaque, encore plus quand il est mort, puisque Floria, dans les dernières notes, avant qu’elle ne se suicide le convoque devant la justice divine : O Scarpia, avanti à Dio ! Anastasia Bartoli, endossant ce soir les vêtements de Tosca, s’est parfaitement jetée de la terrasse du château Saint-Ange. Regardez l’Instagram du Teatro dell’Opera.
Un baryton de noirceur, c’est ce que l’on attend de Hakobian, dans son jeu du chat et des deux souris, Floria et Mario. Avec un clin d’œil à Otello créé en 1887 : Per ridurre un geloso allo sbaraglio / Jago ebbe un fazzoletto… ed io un / ventaglio ! Il a tous les atouts en mains face à ces deux innocents laissant magnifiquement développer la puissance de sa voix lors du Te Deum. Qu’il est grand dans cet instant musical tellement magnifique. Tonnerre d’applaudissements au tombé du rideau du premier acte. La scène du Palais Farnèse sera le chaudron ardent de toute sa vilénie dans cet acte de la douleur et de la mort. Quest’ora io l’attendeva ! / Già mi struggea / l’amor della diva ! est l’acmé de sa puissance mais quel dommage qu’il n’arrive pas à être présent scéniquement.
Floria Tosca, ce soir, est Anastasia Bartoli. Elle l’a déjà interprétée. Profonde émotion dans son chant contrebalançant une gestuelle légèrement figée, ne laissant pas suffisamment transparaître la femme volontaire prête à tout pour sauver son amant de la mort. Implorante avec Dilla ancora / la parola che consola, doutant et mélancolique dans Ed io venivo a lui tutta dogliosa, dans la détresse No ! Ah ! Più non posso ! Che orror !. Chaleureux applaudissements après Vissi d’arte, vissi d’amore, chant de la souffrance si iconique, parfait techniquement mais sans pathos. Comme pour Mario, c’est l’acte III qui confirme sa parfaite possession de l’œuvre puccinienne, son jeu de scène étant plus crédible.
Lunghi e calorosi applausi per tutti et encore plus pour la diva.
Attente impatiente de la reprise de Tosca, dans cette même production, les 1, 2, 4, 5, 6 mars, direction Daniel Oren. Programmation alternative. Anna Nebretko, son époux Yusif Eyvazov dans les habits de Mario et Amartuvshin Enkbath pour les distributions des 1, 4 et 6 mars. C'est également la semaine d’ouverture de l’exposition tant attendue CARAVAGGIO 2025 au Palazzo Barberini.
Nouvelle reprise les 9, 11, 13 mai, direction James Colon avec Anna Pirozzi, Luciano Ganci et Claudio Sgura.
(1) Carmen. Gaëlle Arquez, en novembre 2022, à l’Opéra Bastille, en avril 2023, à l’Opéra-Comique
http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/11/carmen-a-l-opera-bastille-pour-gaelle-arquez.html
http://www.lecurieuxdesarts.fr/2023/04/carmen-triomphante-a-l-opera-comique.html
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Tosca © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, Teatro dell’Opera, 17 janvier 2025.
Giacomo Puccini, TOSCA, mélodrame en trois actes. Livret di Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après le drame homonyme de Victorien Sardou
Direction Francesco Ivan Ciampa (et Michele Mariotti) - Chef de Chœur Ciro Visco
Mise en scène Alessandro Talevi
Ricostruzione dell’allestimento storico del 1900 - Décors Adolf Hohenstein, revus par Carlo Savi - Costumes Adolf Hohenstein, revues par Anna Biagiotti - Lumières Vinicio Cheli
Orchestre et Chœur du Teatro dell’Opera di Roma, participation de la Scuola di Canto Corale du Teatro dell’Opera di Roma
Allestimento Teatro dell’Opera di Roma
Tosca Anastasia Bartoli (ou Saioa Hernández) soprano
Mario Cavaradossi Vincenzo Costanzo (ou Gregory Kunde) ténor
Il Barone Scarpia Grevorg Hakobyan ( ou Daniel Luis De Vicente ) baryton
Angelotti Luciano Leoni basse Sagrestano Domenico Colaianni baryton
Spoletta Saverio Fiore ténor Sciarrone Leo Paul Chiarot (ou Marco Severin) basse
Carceriere Antonio Taschini (ou Andrea Jin Ken) basse Pasteur Emma Mcaleese (ou Irene Codau)
Teatro dell’Opera di Roma
14, 16, 17, 18 et 19 janvier 2025
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Où dîner avant ? Naturellement à La Matriciana, face à l'Opéra. L'un des meilleurs restaurants de Rome et comme partout ailleurs, l'atmosphère détendue si italienne, l'accueil bon enfant, le service impeccable. Institution classée "local historique", ce restaurant ouvrit à cet endroit en 1870. Toujours facile d'y trouver une table. Trois plats, un verre de Montepulciano d'Abruzzo, une eau, 56 euros © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rome, 17 janvier 2025.