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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (générale samedi 22 avril 2023)

Gaëlle Arquez (Carmen), chœur accentus © Stefan Brion.

Carmen mise en scène ou mise en rideaux dans cette nouvelle production étonnante confiée à Andréas Homoki ? Retour tant attendu et applaudi chaleureusement à l’Opéra-Comique, puisque programmée pour septembre 2020 et repoussée, en raison de la pandémie de la Covid, à ce printemps. 

Carmen, combien de levers de rideau à l’Opéra-Comique, dans ce lieu qui la vit naître le 3 mars 1875 ? 2907 exactement ce 24 avril 2023. Par cette étrange intervention réservée par Andréas Homoki à Georges Bizet, ce chiffre va s’accélérer avec cette mise en espace jouant sur une quarantaine de levers et de baissers de rideau à chaque représentation, dans un décor très économe des deniers publics, limité à un rideau sang et or puis vert pour se clore d'un bleu profond pailleté et frangé d’or au moment de l’assassinat de la cigarière. Carmen/Gaëlle Arquez meurt devant le rideau, et non dans la sensibilité de quelque dogmatisme de bon aloi qui aurait caché ce féminicide derrière le rideau.

chœur accentus, Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique © Stefan Brion.

"Un voyage imaginaire dans le temps" selon Andreas Homoki. "La première partie du spectacle se déroule donc à l’époque de la première… Nous avons donc conçu une interprétation qui raconte comment s’est constitué ce mythe moderne sur les quelque 150 années qui nous sépare de sa création… Nous sommes à Paris sous l’occupation allemande. Pourquoi cette période ? D’une part parce qu’elle se situe pile à mi-chemin entre 1875 et aujourd’hui.". Certes. Pourquoi pas les années 1936-1939, plus espagnoles pour la scène des contrebandiers ? Si l’on n’a pas lu l’argumentaire de ce drame passionnel se déroulant dans une péninsule ibérique fantasmée, que ni les librettistes ni le compositeur ne virent, l’on ne saura pas que les hommes en tenue de ville ou en frac sont des soldats ! Toujours cette manie des metteurs en scène de griffer le livret ! Que vient faire cette vieille télévision, transmettant en direct la corrida de Séville ! Pourquoi faire chanter dans un cercle de lumière ou assis comme une vedette de music-hall !

Éblouissant Louis Langrée à la tête de l’Orchestre des Champs-Élysées – qu’il avait dirigé, ici même, dans Hamlet en janvier 2022 - de flammes et de feu sous sa direction. Un pur bonheur d’entendre la version retenue, celle de la création. Louis possède la partition jusqu’au bout de la baguette, dirigeant parfois de ses mains, comme sculptant de ses doigts cette musique, de passion et de sang, au début de la scène de la taverne de Lillas Pastia. Tout avait commencé par un prélude démarrant tel un boulet de canon – normal, il y a de nombreux soldats dans cette histoire -, quel tempo, veloce, molto veloce. Puis, tout fut en nuances, en merveilleuses nuances. De la soie ciselée, glissant de la main de velours de Louis Langrée.

François Lis (Zuniga), chœur accentus © Stefan Brion.

Très Edgar Degas, les costumes des hommes du chœur, en habit de ville ou en frac - ceux fréquentant le foyer de l'opéra Garnier - dans l’acte I. Gideon Davey, pour les costumes, a également regardé Édouard Manet et son Matador de taureaux pour Escamillo, Nana pour Carmen. Dommage qu’il ne se soit pas arrêté sur Lola de Valence d’Édouard ! Deux peintres, d'eau et de feu, essentiels de la Nouvelle Peinture des années 1860-1880, qu'une exposition au musée d’Orsay éclaire aujourd’hui (1). Clin d’œil humoristique et décalé à Franz Xaver Winterhalter et à L’Impératrice Eugénie entourée des dames de sa cour (1855) lorsque l’on découvre dans une identique composition Carmen impériale entourée des cigarières en lingerie et tournures et autour d’elles des hommes libidineux. 

Carmen ? Gaëlle Arquez, qui avait endossé, il y a quelques mois, les habits de l’Andalouse à Bastille, perdue entre tas de voitures, danseur nu mimant la corrida et bodybuildeurs. (2) Le plateau de Favart convient mieux à la Carmencita s’imposant face au falot Don José. L’on comprend que ses amours durent peu. Elle est LA Carmen dans sa superbe, toisant les hommes, libre de ses choix et de sa vie qu’elle n’hésitera pas à mettre en péril jusqu’à en mourir. Voix charmeuse et souveraine à l’égard de Don José. Envoutante lorsqu’elle le contraint à la suivre. Enjôleuse mais avec retenue pour Escamillo. Un engagement visible et perceptible de son rôle de tous les instants. De chaleureux applaudissements au baisser du rideau pour la mezzo-soprano.

Dans les habits de Don José, Frédéric Antoun n’a rien laissé paraître de son état ; il sera annoncé souffrant lors de la première. L’on ne cesse de le déshabiller, les enfants d’abord qui l’empêcheront ensuite de s’habiller en brigadier puis Carmen. Encore une lubie du metteur en scène pour le faire passer tel un pantin, recueillant les railleries. Son La fleur que tu m’avais jetée / Dans ma prison m’était restée est un grand instant d’émotion dans sa longue supplication amoureuse. Comme son duo avec Micaëla Parle-moi de ma mère ! dans lequel transparaît toute la faiblesse d’un fils repentant.  

Jean-Fernand Setti (Escamillo), Frédéric Antoun (Don José) © Stefan Brion.

Jean-Fernand Setti (Escamillo) © Stefan Brion.

Face au brigadier, l’Escamillo de Jean-Fernand Setti, imposant par sa stature de rugbyman. Le torero dans toute sa splendeur, charmeur, ravisseur des cœurs et des corps des Andalouses à sa seule apparition. Testostérone à l’état pur. Quelle voix décidée, quelle puissance dans sa projection Toréador en garde ! / Et songe bien, oui, songe / en combattant, quelle force. Et quelle facilité apparente. Éblouissement qu’il renouvelle à la fin de l’acte III. Il est LE Escamillo, rôle qu’il a déjà interprété.

Frédéric Antoun (Don José), Elbenita Kajtazi (Micaëla) © Stefan Brion.

Micaëla/Elbenita Kajtazi excellente. Elle n’est pas le second rôle si innocent dans lequel elle est confinée d’habitude, dans sa robe grise d’une tristesse infinie ; lorsqu’elle embrasse José, son baiser n’est pas "franc et maternel" comme signifié dans le livret mais à pleine bouche. L’amour n’est pas le monopole unique de la Carmencita, deux rivales aiment le brigadier. Dans Et tu lui diras que sa mère / Songe nuit et jour à l’absent, au prononcé parfait, sa voix est toute de douceur. Mais j’ai beau faire la vaillante, / Au fond du cœur je / meurs d’effroi ! est d’une beauté absolue dans sa voix panachant crainte et vaillance.

Semblables compliments à l’égard du Moralès de Jean-Christophe Lanièce et du Zuniga de François Lis d’une belle présence scénique.

Le Chœur accentus est précis, investi, impeccable, les voix féminines très appréciées dans l’air de la dispute des cigarières. Semblables compliments à l’égard du chœur des enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique.

Carmen © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 avril 2023, Opéra Comique.

Une belle et éblouissante Carmen, sans les rideaux...

(1) Manet/Degas. Musée d’Orsay. Du 28 mars au 23 juillet. Puis au Metropolitan Museum of Art de septembre 2023 à janvier 2024.

(2) Carmen à l'Opéra Bastille pour Gaëlle Arquez - (lecurieuxdesarts.fr)

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 avril 2023, Opéra Comique.

Georges Bizet, Carmen, opéra-comique en quatre actes

Livret d’Henri Meilhac & Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée (1845)

Création le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique. Ce 24 avril 2023, 2907ème représentation à l'Opéra-Comique 

Direction musicale Louis Langrée (24, 26, 28, 30 avril) / Sora Elisabeth Lee (2 et 4 mai). D’après l’édition critique de Richard Langham Smith

Mise en scène Andreas Homoki - Décors Paul Zoller

Costumes Gideon Davey - Lumières Franck Evin

Chœur accentus & Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 avril 2023, Opéra Comique.

Carmen Gaëlle Arquez mezzo-soprano

Don José Frédéric Antoun ténor

Micaëla Elbenita Kajtazi soprano

Escamillo Jean-Fernand Setti basse-baryton

Frasquita Norma Nahoun soprano - Mercédès Aliénor Feix mezzo-soprano

Zuniga François Lis basse - Moralès Jean-Christophe Lanièce baryton

Le Dancaïre Matthieu Walendzik baryton - Le Remendado Paco Garcia ténor

Figurants Hugo Collin, Wadih Cormier, Côme Fanton d’Andon, Yvon-Gérard Lesieur

Chœurs accentus / Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique - Orchestre des Champs-Elysées

Production Opéra-Comique | Coproduction Opéra de Zurich, Beijing Music Festival

Lundi 24, mercredi 26, vendredi 28 avril, dimanche 30 avril, mardi 2, jeudi 4 mai 2023

Opéra Comique | Spectacles et réservations (opera-comique.com)

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