Samson de Jean-Philippe Rameau, dans des conditionnels d'un opéra-enquête – Opéra-Comique
Gilles Kraemer
Entre Iphigénie en Aulide écorchée par Dmitri Tcherniakov et l’incandescente Ermonela Jaho - Madame Butterfly, la belle surprise du 76ème Festival d'Aix fut Samson « libre création » du metteur en scène Claus Guth et du chef d’orchestre Raphaël Pichon d’après « un projet d’opéra » de Rameau sur un livret de Voltaire. Texte censuré par deux fois, en 1734 et 1736, cet opéra ne fut jamais représenté. Les guillemets sont importants, tout n’étant qu’une suggestion, un essai de reconstitution, une probabilité, un montage musical par Pichon, un scénario de la geste chronologique de Samson par Guth. Une création dans des conditionnels qui fonctionnent.
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Samson, Jarett Ott © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
Du livret censuré de François-Marie Arouet rien n’a été gardé ; Claus Guth, la dramaturge Yvonne Gebauer et le collaborateur à l’écriture Eddy Garaudel ont élaboré un nouveau livret sur lequel Raphaël Pichon a plaqué des extraits d’opéras de Rameau.
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Samson © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Festival d’Aix-en-Provence, mardi 9 juillet 2024.
Création mondiale, ce 4 juillet 2014 au Théâtre de l’Archevêché si Beckett par la solitude « giacomettienne » de son arbre. Accueil chaleureux du public de ce « work in progress » ; en discutant avec les aixois enthousiastes ayant assisté à plusieurs représentations, chaque fois des minuscules changements apparaissaient dans la mise en scène.
Une des plus fascinantes chimères de l’histoire de l’art lyrique souligne le chef d’orchestre.
De cette création mondiale, donnée huit mois plus tard à l’Opéra-Comique, sur les huit chanteurs, seuls Jarrett Ott en Samson, Laurence Kilsby en Elon – que l’on a pu voir, en janvier à Garnier dans un Castor et Pollux à la mise en scène largement huée de Peter Sellars - et René Ramos Premier, le deuxième convive reviennent dans les mêmes rôles. Julie Roset a perdu ses ailes blanches aixoises pour devenir la Philistine Timna, épouse de Samson. Les deux rôles parlés sont les mêmes : le sans-abri Pascal Lifschutz et la mère de Samson Andrea Ferréol errante dans le palais détruit par son fils, essayant de comprendre ce qui s’est passé, parfois observatrice des actions, tout au long de la soirée émaillée de ses souvenirs et d’extraits défilants du Livre des Juges, de 13 à 16.28 (Ancien Testament).
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Samson © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Festival d’Aix-en-Provence, mardi 9 juillet 2024.
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Samson © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, mars 2025.
La configuration à l’italienne de l’Opéra n’est nullement la cour frontale de l’Archevêché, deux dispositions, l’une donnant plus de force au chant, l’autre plus de dynamisme à la mise en scène. Deux ambiances, l’opéra s’ouvrant dans le noir de la salle pour l’une, la nuit d’été déclinante imperceptiblement pour l’autre. Pas la même ouverture du plateau, cinq mètres de moins à Paris – énorme différence - dont la scénographie d’Étienne Pluss a joué en réduisant le côté jardin, cassant sa symétrie avec le côté cour, rapetissant la perspective de la succession des salles côté droit. Cette réduction du plateau joue au désavantage des mouvements d’affrontements entre les Hébreux et les Philistins ressemblant parfois au choc des lances de La Bataille de San Romano (1450-1475) du florentin Paolo Uccello par la magie d’un effet stroboscopique et à celui de la tablée de fête chez les Philistins - telle la revisitation du dernier repas – qui perd de sa grandeur dans cette scène de l’humiliation d’un Samson, provocatrice de son suicide entraînant tous les Philistins dans la mort.
Fi de ce pinaillage et goûtons ce plaisir et surtout cette chance de revoir Samson. Seulement quatre représentations, complètes depuis plusieurs mois.
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Samson, Ana Maria Labin, Jarett Ott © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
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Samson, Camille Chopin, Jarett Ott © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
Un pur bonheur artistique dans ces images évoquant ces peintres clôturant le Cinquecento, initiant le Seicento, ceux qui parlèrent de l’âme, de l’innocence, de la violence, de l’espérance, de la cruauté, dans les fulgurances de leurs lumières et obscurités : Caravaggio et ses suiveurs. Le Merisi, un double de Samson, incapable également de contenir sa violence mortelle dans sa vie quotidienne ? Magnifique travail des lumières de Bertrand Couderc et de la dramaturgie d’Yvonne Gebauer. La rencontre de Samson et de L’Ange / Camille Chopin renvoie à Saint François en extases (Hartford), le visage aveuglé de Samson à la tête de Goliath (Galleria Borghese), les draps de sang à Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi (Naples). Terrible de dire que l’image est belle dans ces draps ensanglantés lorsque les tortionnaires, après avoir lié Samson au lit, le redresse et que l’un lui marque le torse d’une croix ; Jarett Ott est remarquable acteur dans cette représentation si caravagesque de la violence, tel un « Christ aux outrages ».
Raphaël Pichon, à la tête de Pygmalion. La partition et le livret, l’orchestre et le chœur le connaissent sur le bout des doigts et des lèvres ; ils ont porté l’aventure de cette création mondiale pendant des mois. Tout est évident, en place, cadré. La direction limpide, majestueuse, intime, dynamique, le chef - ne dirigeant pas pieds nus comme à Aix - se contentant de quelques minimes indications. L’épure. Une « Bugatti ». Le chœur d’une magnifique puissance, placé au début dans la fosse débutant dans la majesté Ô grandeur ! Ô clémence !, intervenant sur le plateau en mêlant les deux communautés autour du dynamisant Dieu terrible, guide nos coups, parfois dans le grand foyer comme pour nous envelopper Il n’est plus d’alarmes, / Dans ce triste séjour, tout en douceur, tour en longueur. D’où viennent tous ces chants qui nous environnent ?
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Samson, Julie Roset, Jarett Ott © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
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Samson, Andrea Ferréol, Ana Maria Labin © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
Deux amours pour Samson, deux amours philistines tragiques. Julie Roset / la charmante Timna, robe de mariée légèrement ridicule à oublier de suite, toute en douceur et amoureuse dans son imploration aux Dieux à être propice à son hymen, laissant couler sa voix comme elle laisse couler ses pleurs dans son air d’une extrême longueur et lenteur porté par la musique empruntée à Zais. Coup de couteau mortel dans le dos porté par un Philistin, les lumières deviennent haut des flammes d’un incendie. Place à Dalila / Ana Maria Labin, magique dans ses déplacements d’une actrice vivant son rôle. Timbre insolent de justesse, de violence, d’espérance, d’imploration jusqu’à la repentance de la courtisane ayant troqué un réel amour contre des deniers et l’approche de la mort des tristes apprêts, pâles flambeaux. L’éventail des sentiments de la mourante, un souffle, le taillage de son bras gauche porté par la musique de Castor et Pollux.
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Samson © Stefan Brion, Opéra-Comique, saison 2024-2025.
« Physique d’Hercule », Jarrett Ott, fils d’Israël, le « nazir », l’élu de Dieu qui ne devra jamais couper ses cheveux d’où il tire sa formidable force physique. Tel un Messie, vêtu de blanc selon Ursula Kudrna qui a imaginé des costumes ou tout noir ou tout blanc pour bien différencier les deux camps qui s’affrontent. Affirmé, viril, dynamiseur, il mêle un chant de puissance, de force, de violence, d’impossibilité à dominer sa colère. À une douceur, une retenue face à Dalila Non ! je ne puis souffrir cette injustice rigueur, / Éloignez-vous remords, sortez de ce séjour.
Écoutez la dernière phrase de Samson avant qu’il n’ébranle les colonnes Tombez sur moi, rochers brûlants ! extraite des Indes galantes, assénée avec force, tel un coup de massue. Étonnante conclusion visuelle pouvant décontenancer. Noir total tel le couperet de « la veuve rouge ». Applaudissements et multitude de bravo. Une nouvelle fois, Paris succombe au baryton étasunien. Souvenons-nous de son Macbeth Underworld, ici même, en novembre 2023. (1)
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Samson © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, mars 2025.
Merci à A.B..
(1) https://www.lecurieuxdesarts.fr/2023/11/dans-les-outrenoirs-de-macbeth-underworld-opera-comique.html
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Samson © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, mars 2025.
Samson libre création de Claus Guth et Raphaël Pichon d’après Samson, un opéra perdu de Jean-Philippe Rameau et un livret censuré de François-Marie Arouet dit Voltaire (1734 et 1736) inspiré de la Bible (Livre des juges)
Création mondiale 4 juillet 2024 au festival d’Aix-en-Provence, théâtre de l’Archevêché (4, 6, 9, 12, 15 18 juillet) en coproduction avec le Théâtre national de l’Opéra-Comique
Opéra-Comique, Paris 17, 19, 21 & 23 mars 2025
direction musicale Raphaël Pichon - chœur et orchestre Pygmalion
mise en scène Claus Guth - scénographie Étienne Pluss
costumes Ursula Kudrna - dramaturgie Yvonne Gebauer
lumières et création vidéo Bertrand Couderc - chorégraphie Sommer Ulrickson
Samson Jarrett Ott, baryton
Dalila Ana Maria Labin soprano (Jacquelyn Stucker à la création aixoise)
Timna Julie Roset soprano (Lea Desandre à la création aixoise)
Achisch Mirco Palazzi basse (Nahauel Di Pierro à la création aixoise)
Elon Laurence Kilsby ténor
L’ange Camille Chopin soprano (Julie Roset à la création aixoise)
Premier juge / un convive Richard Pittsinger ténor (Antonin Rondepierre à la création aixoise)
Deuxième convive René Ramos Premier baryton
La mère de Samson Andrea Ferréol (rôle parlé)
Un sans-abri Pascal Lifschutz (rôle parlé)
Samson jeune, rôle muet, Léon Prost (17 et 21 mars) & Isaac Muniesa (19 et 23 mars) (Maîtrise populaire de l'Opéra-Comique)
Liste d’attente https://www.opera-comique.com/fr