Peer Gynt a trouvé chaussure à son Py ! Théâtre du Châtelet
Gilles Kraemer
Représentation mardi 11 mars 2025
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Peer (Bertrand de Roffignac) - Peer Gynt - Théâtre du Châtelet © Vahid Amanpour.
Peer Gynt, double chef-d’œuvre. Littéraire pour ce texte dramatique d’Henrik Ibsen de 1867. Musical, l’écrivain demandant en 1874 à Edvard Grieg, dans des exigences très précises, d’en composer la musique. Prima assoluta 24 février 1876 à Oslo.
Mars 2025, triomphe à l’issue de la représentation de cette pépite au Châtelet.
Succombant à l’inclusion de quelques scories de modernité, le metteur en scène Olivier Py - depuis février 2023 directeur de cette institution parisienne - a adapté le texte. Pourquoi diable vouloir à tout prix reconceptualiser un texte écrit il y a plus de 150 ans ? Qu’en cessera cette manie des metteurs en scène de poivrer un auteur ? En tout cas, Py a " trouvé chaussure à son pied " dans sa confrontation avec le texte du norvégien sublimisé par la partition. Un extraordinaire moment ce Peer Gynt sur le plateau du Châtelet avec sa musique. Goûtons la rareté de ces instants. Du pur bonheur en quatre heures.
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Peer Gynt - Théâtre du Châtelet © Vahid Amanpour.
Pied au plancher, jaillissant des starting-blocks dès la première seconde - engagement physique sidérant -, Bertrand de Roffignac a revêtu les habits de Peer. Enfin pas très souvent, il passe plutôt son temps en slip blanc, le chaud gaillard, un peu hâbleur, un peu menteur, parfois gros menteur, prêt à s’émouvoir devant le premier jupon. Face à trois dames trolls, un peu filles du Rhin, un peu Walkyries, il leur avouera être un troll à trois queues. Il fera même l’amour avec le plancher. Avec le crucifix présent dans la scène de l’asile et qu’un fou astique, ce sous-vêtement est l’une des marques incontournables de la fabrique de l’ancien patron d’Avignon. Dommage que Py, lorsqu’il avait les clefs de la ville papale, n’ait pas offert le Mur au dramaturge norvégien.
Roffigac, LA révélation ! Un Gynt de légende serait-il né ce mois de mars 2025 ? Il embrase, embrasse, illumine, dynamise le plateau, entraînant toute la troupe avec lui, dans ce rôle culte, dans cette quête d’un graal mais non rédempteur, celui de ne penser qu’à soi-même selon la philosophie des trolls qui semble parfaitement lui convenir.
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Peer Gynt - Théâtre du Châtelet © Vahid Amanpour.
Tout démarre dans des images à la Christian Boltanski – rappelez-vous son théâtre d’ombres nous accueillant dans Faire son temps au centre Pompidou, sa rétrospective interrompue par le premier confinement de la Covid de mars 2020 -, avec une projection d’ombres.
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© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Peer Gynt, mars 2025, Théâtre du Châtelet.
Puis place à une grande agitation des acteurs sur le plateau, un peu trop d’agitation comme si tous les acteurs, interprétant de 1 à 8 rôles devaient être présents. Puis la musique, Orchestre de chambre de Paris placé tout au fond de la scène, presque dans l’obscurité, dirigé par l’estonienne Anu Tall, à la longue queue de cheval – clin d’œil aux décors d’Émile Aillaud de Boris à Garnier, au millénaire dernier ? -. Ovation au rideau pour les musiciens qu’elle aura dirigés d’une main soyeuse, dans cette musique collant si bien au texte si ce n’est l’inverse. Comment pourra-t-on encore, après cette flamboyance orchestrale qui nous entraîne dans ses vagues de félicité, accepter un Peer Gynt veuf de sa musique?
Un peu enfant, au départ, Gynt, suçant son pouce, déguisant la vérité en mensonge. Se rend-il compte qu’il ment effrontément à sa mère Aase / Céline Chéenne, désespérée, au jeu appuyé de ne plus savoir comment raisonner son grand fils ? Bêta absolu, insouciant des souffrances et tortures morales qu’il lui inflige. Qu’elle est courageuse, poursuivie par les huissiers vidant sa maison, ne lui laissant qu’un lit de fer. Lit où elle mourra, accompagnée d’une musique céleste, veillée par son fils sorti de son infantilisation, avec le trait de bêtise de dire qu’elle va entrer gratos au Paradis. Pas trop ibsenienne cette affirmation ! Visuellement, c’est beau, comme, osons-l’écrire, La mort de la Vierge de Caravaggio, une des images fortes que l’on garde de cette représentation, image sublimisée dans les lumières de Bertrand Killy, maestro des projecteurs. Le décor de Pierre-André Weitz avec les maisons d’Aase et de Solveig sur des pilotis, dans leurs découpes me font penser à des peintures de Loïc Le Groumellec, le vannois.
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Peer (Bertrand de Roffignac) et Solveig (Raquel Camarinha) - Peer Gynt - Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux.
Pour la soprano portugaise Raquel Camarinha, le plateau du Châtelet n’est pas lieu inconnu, l’ayant foulé avec Haendel & Rossini. Dans la robe monacale de Solveig, elle attendra le misérable Peer, observant les aventures de celui-ci derrière la fenêtre de sa maison jusqu’au final Dors mon amour, dors mon enfant. Blonde, toute en retenue, en fragilité, en innocence, un chant solaire lors de toutes ses rencontres fugaces avec Peer dont elle accepte les incartades.
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Le Roi des Trolls (Damien Bigourdan) et Peer (Bertrand de Roffignac) - Peer Gynt - Théâtre du Châtelet © Vahid Amanpour.
Ingrid, la mariée, Lucie Peyramaure, très consciente de sa position, de sa richesse, bien qu’elle se soit offerte à Peer, sait qu’elle est en position de force face à ce dernier. Anitra / Clémentine Bourgoin, autre victime de Peer mais, les femmes ne sont-elles pas plutôt manipulatrices de ce pauvre garçon, est également la Femme en vert, son épouse éphémère, fille du Roi des trolls / Damien Bigourdan aux intonations bien sentencieuses.
Rideau. Applaudissements de bonheur. Rêvons de sa reprise.
Merci à M.S. & E.D..
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© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mars 2025.
Henrik Ibsen, Peer Gynt, musique Edvard Grieg
Texte français et mise en scène Olivier Py
Direction musicale Anu Tali - Orchestre de chambre de Paris
Décors, costumes Pierre-André Weitz - Lumières Bertrand Killy
Chorégraphie et assistanat à la mise en scène Ivo Bauchiero
Nouvelle production du Théâtre du Châtelet – 7 au 16 mars 2025
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Avec Anitra, une invitée, une vachère, la Femme en vert fille du roi des trolls : Clémentine Bourgoin
Solveig, une fille du prophète : Raquel Camarinha, soprano
Peer Gynt : Bertrand de Roffignac
Un invité, le Roi des trolls, le Courbe, Begriffenfeld : Damien Bigourdan
Aase mère de Peer, un troll, un singe, une fille du prophète, un passager : Céline Chéenne
Un invité, un troll, la Femme en vert vieille, un singe, une fille du prophète, Plume, le Cuisinier, le Maigre : Pierre Lebon
Ingrid la mariée, une vachère, un troll, une fille du prophète : Lucie Peyramaure
Aslak le forgeron, un troll, le Courbe dansé, un huissier, un singe, une fille du prophète, un fou : Pierre-Antoine Brunet
Mads, un troll, un huissier, un singe, un fou poète, le Fondeur : Émilien Diard-Detœuf
La mère de Mads, le père de Solveig, un troll, un voleur, Huhu, le Capitaine : Marc Labonnette
Helga, une vachère, un troll, un huissier, un singe, une fille du prophète : Justine Lebas
Le père de Mads, la mère de Solveig, un troll, un huissier : Olivier Py
Le père d’Ingrid, un troll, l’Enfant troll, Fellah, un matelot, le Prêtre : Sévag Tachdjian
Un invité, un troll, un huissier, une fille du prophète, un fou : Hugo Thery