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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Julien Behr et Joyce El-Khoury, Médée de Cherubini, mise en scène de Marie-Eve Signeyrole © Stefan Brion.

L’incompréhensible Castor et Pollux de Peter Sellars à Garnier, LOr du Rhin de Calixto Bieito dans une Bastille prenant du mou depuis des saisons avec les éclairs de génie de Wozzeck de William Kentdridge – il est installé cette semaine sous la Coupole, membre libre de l’Académie des beaux-arts – ou d’Œdipe selon Wajdi Mouawad – attente de son Pelléas et Mélisande ce 28 février - Semelee d’Olivier Mears au Théâtre des Champs-Elysées – quel dommage pour les admirables Emmanuelle Haïm et Pretty Yende -. Ces trois représentations parisiennes digérées, l’on est mithridatisé pour ingurgiter les lubies des metteurs en scène avec comme axiome la résignation.

Médée de Luigi Cherubini. Quel beau nom que celui du compositeur de cet opéra-comique. Quel déluge somptueux de violences et de passion dans cette Médée d’amour, de trahison, d’abandon, de jalousie, culminant dans le double infanticide de la fille du roi de Colchos, servie par une virtuosité orchestrale et une musique de la langue rencontrant le chant.

Plutôt que la version opéra, Laurence Equilbey, énergique dans cet océan de notes, à la tête d’Insula orchestra, a choisi la version originale de 1797 – époque du Directoire, de la chute le 12 mai 1797 de la République de Venise, de Bonaparte signant le traité de Campoformio (18 octobre 1797) qui cède la Vénétie à l’Autriche au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – celle des beaux et purs dialogues en alexandrins de François-Benoît Hoffman. Dans un apport à « la dimension théâtrale et tragique de l’œuvre » souligne-t-elle dans le livret de salle. Bonheur d’entendre la pureté et le cristal de ces vers - comment ne pas songer à Racine et à sa Médée (1635) -, leur lente scansion par les chanteurs peu habitués à la prosodie du dodécasyllabe, affrontant avec plus ou moins de bonheur sa déclamation sur le plateau de l'Opéra-Comique.

« Nous avons souhaité conserver les dialogues en alexandrins qui, à mon sens, résonnent sans avoir besoin d’être actualisés » précise la metteuse en scène, conceptrice et réalisatrice de la vidéo Marie-Ève Signeyrole. Heureusement qu’elle n’a pas « charcuté » les alexandrins comme s’y complurent Krzysztof Warlikowski et Christian Longchamp à La Monnaie en 2008.

Il y-a-t-il explication à des textes additionnels projetés, polluant la représentation dès l’ouverture ? Qu’a donc fait le librettiste pour mériter de tels ajouts ? Dans cette période où tout doit être contesté, remis en cause, si ce n’est supprimé selon des doxas, quand cessera-t-on de parler à la place des morts ? Continuels pollueurs de la soirée, ces additions passeuses de messages… naturellement comme si le spectateur, considéré comme lobotomisé, incapable de lire le synopsis, avait besoin d’explications pour comprendre que cette histoire de la mythologie grecque, écrite par le grec Euripide puis le romain Sénèque, est éternelle. Eros, Thanatos, infanticide, l'histoire existe depuis 25 siècles.

Le plateau de l’Opéra-Comique est-il une cour de récréation pour y chanter la comptine de la mère Michel qui a perdu son chat ? La vidéo avec les deux balançoires vides est un peu insistante dans sa répétition, enfonçant le clou comme si l’on ne savait pas que les deux enfants de Jason et de Médée seront tués par leur mère.

Médée de Cherubini par Marie-Eve Signeyrole © Stefan Brion.

Justification de Marie-Ève Signeyrole d’un « J’ai relu ensuite le livret, mais cette fois à travers le prisme d’une femme sous l’emprise d’un système patriarcal». En un mot, tous les mâles sont, sans appel, libidineux – 15 secondes douche comprise pour la fusion Jason et Dircé à l’acte I, Créon aux pieds de Médée la caressant à l’acte II alors que le contraire aurait dû être, c’est elle qui implore d’un Eh bien ! je m'y soumets, puisque tout / m'abandonne - les Argonautes ressurgissent (ce n’est pas dans l’histoire) pour violer les suivantes de Médée à côté d’un arbre ? auquel des vêtements sont suspendus. Si vous n’avez pas encore compris – « Médée est le fruit d’une société raciste et patriarcale » -, ces vêtements sont ceux de migrantes venues de Colchide.

Belle scénographie de Fabien Taigné, hauts murs noirs aux meurtrières horizontales pour la vidéo, lit se transformant en bateau lorsque Médée et Jason quittent la Colchide avec la Toison d’or dans un attaché-case, le rideau blanc descendant, le tapis noir du sol soulevé et retourné pour livrer sa blancheur. Lumières de Philippe Berthomé à l’unisson de la partition, rouge de la mer, diaphane, dessinant un rectangle blanc dans lequel la magicienne se réfugie. 

Dircé / Lila Dufy, telle une monnaie d’échange, l’innocente mariée par son père Créon à Jason en échange de la Toison d’or. Charmant vibrato dans C’est de toi, de toi seul que j’attends /le bonheur. / Écarte loin de moi la fatale étrangère / Dont les enchantements ont séduit /un héros mais la mise en scène ne lui permet pas de s’affirmer, lui donne un côté trop absent. La mezzo Marie-André Bouchard Lesieur / Néris, la confidente de Médée est la perle de cette distribution dans son aria Ah ! nos peines seront communes ; / Le plus tendre intérêt m'unit à votre sort. / Compagne de vos infortunes, / Je vous suivrai jusqu'à la mort. Tout y est, prononcé parfait, longueur, imploration soutenue par les bois et les cordes d’Insula orchestra, que c’est beau. Quelle chaleur dans le sculpté de son chant !

Joyce El-Khoury et Edwin Crossley-Mercer, Médée de Cherubini, mise en scène de Marie-Eve Signeyrole © Stefan Brion.

Endossant les habits de Créon, Edwin Crossley-Mercer, familier du répertoire français, apporte toute la noblesse au roi de Corinthe. Ah ! c'est trop s'occuper d'un présage funeste, /  Ma fille, espérons tout de la bonté céleste ! suivi de Dieux et déesses tutélaires, /  Veillez sur mes enfants, je vous invoque tous d’une grande longueur, dans un parfait dialogue avec le voluptueux du chœur accentus, soutien de l’action tout au long de la soirée. Jason / Julien Behr à la présence assurée, plaisir d’entendre ses alexandrins et ses duos de fortes violences, ses duels vocaux avec Médée Regrets tardifs ! Repentir inutile ! / Vous avez de Créon excité le courroux […] Vous voyez les effets d'un aveugle courroux : /  Vos fureurs, vos transports sont retombés sur vous. Le tombeur de ses dames mais aussi l’humain dont la cuirasse se fend à la connaissance de la mort de ses enfants.

Évoquer Médée, c'est convoquer LA Callas, en 1953 à Florence puis à Milan. Cette femme, cette magicienne, sauvage, enflammée, blessée, vengeresse, tueuse par douleur.

Lila Dufy et Joyce El-Khoury, Médée de Cherubini, mise en scène de Marie-Eve Signeyrole © S. Brion.

Dans les beaux costumes d’Yashi, allusifs à La Callas de Pasolini, Joyce El-Khoury, d’origine libanaise, à la fois amante, femme délaissé, mère défendant ses enfants, porte toutes ces oppositions dans le sang. Un jeu trop dans la retenue, la metteuse en scène la catégorisant, sans appel, dans le rôle de victime. Explosant seulement dans son aria final : Eh quoi ! je suis Médée et je les laisse vivre ! / Qu’ai-je fait ? Où sont-ils ? Mon œil ne les voit plus. Que n’a-t-on donc pas vu scéniquement la montée de son ressentiment ? Ah, ce pouvoir du mâle dominant et ce patriarcat toxique, que ne cesse-t-on de les ressasser, de les recaser ! Sa voix, dans toutes les nuances, cisèle son chant dans de chaudes inflexions, l’on frémit pour elle de toute sa souffrance qu’elle nous livre, laissant éclater la douleur d’un Perfides ennemis, qui conspirez ma peine, / Du Ciel et des Enfers, j'en atteste les dieux, air initiant son duo avec Jason, gardant son calme lorsque Créon la pousse dans ses retranchements Ô vous dont l'œil farouche et dont / la bouche impie / Présage de noirs attentats.

Fermez parfois les yeux.

Mais courrez, courrez écouter Médée, un plaisir tellement stendhalien d’entendre cette version originale, Ah LES alexandrins, LA musique, LE plateau. Une telle rareté ne se boude pas. Courrez-y Merci à l'Opéra-Comique.

 

Luigi Cherubini, Médée, opéra-comique en trois actes, livret de François-Benoît HoffmanCréé le 13 mars 1797 au Théâtre Feydeau.

https://www.opera-comique.com/fr

Opéra-Comique, du 8 au 16 février 2025 pour 5 représentations puis à l’Opéra Comédie, Montpellier, du 8 au 13 mars 2025 pour 3 représentations, direction de Jean-Marie Zeitouni.

Orchestre, Insula orchestra et chœur accentus sous la direction de Laurence Equilbey

Mise en scène, conception et réalisation vidéo Marie-Ève Signeyrole

Décors Fabien Teigné  //  Costumes Yashi  //  Lumières Philippe Berthomé

Médée  Joyce El-Khoury soprano

Jason  Julien Behr ténor

Créon  Edwin Crossley-Mercer basse

Dircé  Lila Dufy soprano

Néris  Marie-Andrée Bouchard-Lesieur mezzo-soprano

première suivante de Dircé Michèle Bréant* soprano

deuxième suivante de Dircé Fanny Soyer* soprano

comédienne  Caroline Frossard

*artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique

 

 

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