À l’Opéra-Comique, Les Fêtes d’Hébé restent à quai
Gilles Kraemer
Les Fêtes d’Hébé sont restées sur les quais de Seine ! Quelle tristesse que le scepticisme règne, jusqu'à la dernière mesure de cet opéra-ballet de Rameau dirigé par le flamboyant William Christie, à l'égard de la mise en scène ! Qu’allait-il donc faire dans cette galère Robert Carsen, situant son action entre Palais de l’Élysée et "Paris Plages" ? Une mise en scène, - quel dommage pour une fosse et un plateau en osmose ! -, trop marquée, ayant voulu coller à l'actualité avec l’incise du 12 juillet 1998, la soirée de l’anthologique 3 à 0 contre le Brésil, dans cette représentation de la victoire des Lacédémoniens sur les Messéniens. La remise en mémoire du crâne chauve de Fabien Barthez embrassé. La vidéo de Renaud Rubiano, avec tous les poncifs des footballeurs aux trois étoiles sur le maillot, ceux des tirs au but, du carton jaune, des embrassades fusionnelles, n’apporte rien. Passe encore cette vidéo mais demander à Amour de filmer en gros plan chanteurs et chœur dans la 3ème entrée, Suivez les lois / Qu’Amour vient nous dicter lui-même ! caresse la vulgarité. Des pages d’un éphéméride revisité ne suffisent pas à nous intéresser à la mise en scène de cet opéra-ballet créé en 1739, "une fête pour les oreilles, une musique à regarder" comme précisé dans le programme.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, décembre 2024.
Pourquoi cette représentation à l’Opéra-Comique ? La révélation d’Atys de Lully, ici même, en est l’une des raisons, cette soirée mythique du 16 janvier 1987 qu’Hugues R. Gall nous remettait si brillamment en mémoire lors de l’installation de son confrère William Christie à l’Académie des beaux-arts le 27 janvier 2010. La renaissance triomphale d’Atys, dans l’acoustique si parfaite de ce lieu, par le miracle et la volonté de William Christie, un moment intense que les moins de 57 ans ne pourront comprendre. Il est des instants magiques où "il fallait y être". Pourquoi ces Fêtes ici ? Le souhait de William Christie de rediriger ce sommet du répertoire baroque français, en s’adjoignant la complicité de Robert Carsen, leur 3ème collaboration à l’Opéra-Comique. Dans ce lieu l’accueillant pour sa 13ème production qu’il dirige à la tête de son ensemble Les Arts Florissants, sa 11ème collaboration avec Carsen en trente années. Pour fêter ses 80 ans dont l’anniversaire coïncide avec la 4ème représentation du 19 décembre. Seul l’Opéra-Comique pouvait être lieu de cette nouvelle rencontre. Happy birthday, dear Bill !
Bienvenue au Palais de Jupiter, dans la salle des fêtes du palais de l’Élysée, à la verrière non encore "burenisée". La demeure des dieux olympiens, amateurs de l’ambroisie servie par Hébé/Emmanuelle de Negri. Un peu maladroite la fille de Zeus - Emmanuel Macron et d’Héra - Brigitte Macron, toute en blanc - les costumes de Gideon Davey sont parfaits - -, renversant quelques gouttes du nectar divin sur sa mère. Les colères fulminantes de Zeus / Jupiter et nom du PC situé sous l’Élysée – pour ceux qui n’ont pas saisi l’allusion -, sont dignes des écrits d'Hésiode. Renvoi immédiat de sa fille. Le dieu de la raillerie, Momus/Marc Mauillon, voix caressante et enjôleuse, ne peut que l’inciter à un séjour plus agréable en rejoignant les mortels. Interprétant Mercure amoureux d’Eglé dans la troisième entrée, biker - disc-jockey irrésistible, ce ténor s’y imposera dès son arrivée à moto, sa voix virile et sa forte présence scénique, succombant d’un coup de foudre à la seule vue de la nymphe, culminant dans Chaque instant il m’enflamme / D’une nouvelle ardeur. "Vous avez compris, c’est du sérieux"…
Autant s’amuser chez les Thessaliens et après quelques selfies avec l'Amour toute vêtue de rouge d’Ana Vieira Leite, caricature de l’influenceuse, très affirmée, certaine d’elle, enfourcher un vélo, à défaut de se laisser porter par Zéphire. Zéro dépense carbone pour rejoindre les bords de la Seine, ce fleuve dont l’on a cessé de parler ce printemps et cet été, en s‘y mettant en scène devant les caméras, jusqu’à proclamer offrir son maillot de bain à un musée helvétique !
Trois fêtes, autour d’un "talent lyrique", un composant de l’opéra à la française : Poésie, Musique et Danse. L’enchantement de la direction magique de William Christie. Il n’a nul besoin de donner des indications à son orchestre, à ses Arts Florissants. Il connaît par cœur la mécanique de sa "Rolls" du baroque. Ses quelques gestes attrapent les notes et les ensorcellent mais c’est du chef qu’il dirige, de son regard circulaire, de son sourire. Son orchestre et lui, dans une osmose irréelle, déroulent la musique de Jean-Philippe Rameau, si belle, si majestueuse, si puissante. Du grand et noble plaisir.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Vincent Pontet, Opéra-Comique, décembre 2024.
"Paris Plages" peut commencer avec ses cinq palmiers plantés, dans des bacs de 50 centimètres de terre, par un bobo parigot écolo ignorant que les racines ont besoin d'espace. Première apparition de Lea Desandre qui sera Sappho, Iphise et Églé, au gré des trois entrées. Voix lente, s’étirant, caressante face à Thélème/Antonin Rondepierre, amoureux transi, d’une grande jeunesse et fraîcheur qui devra s’effacer devant Alcée/Lisandro Abadie, l’élu du cœur de la poétesse, voix grave, affirmée, s’imposant de son ampleur dans le duo avec son aimée. Chœur se déshabillant et se mettant en maillots de bain ou en bermudas ; dommage que "Vilbrequin" ne soit pas connu. Hymas/Renato Dolcini, souverain de la cité, en CRS mais c’est normal puisque dans l’imaginaire du surveillant des plages, règne de l’ampleur et de l’étendue de son chant, dominant dans Je ne vois plus en vous que le seul crime / De m’avoir caché votre amour. Réapparition d’Emmanuelle de Negri en naïade, se plaignant fort tristement de l’infidélité du ruisseau/Ana Viera Leite.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Vincent Pontet, Opéra-Comique, décembre 2024.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Vincent Pontet, Opéra-Comique, décembre 2024.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Vincent Pontet, Opéra-Comique, décembre 2024
Deuxième entrée, la Poésie, en bord de Seine, rive gauche, décor de Gideon Davey très réaliste et instagramable. Les boîtes des bouquinistes toujours présentes. Anne Hidalgo, la maire, s’y cassa les dents en décrétant vouloir les ôter dans ses arguties abracadabrantesques de questions de sécurité. Refus du président de la République. Iphise/Lea Desandre, impériale dans sa robe de mariée. Thyrtée/Renato Dolcini, son aimé, tel l’entraîneur d’une équipe de football, affirmé, dynamisant. L’on comprend que les Lacédémoniens Marchons, commandez-nous !/Nous allons triompher avec vous répondent à son appel de les guider vers un combat victorieux. Pendant que leurs femmes les attendent, Ô mort, n’exerce pas ta rigueur inhumaine / Sur nos guerriers !, longue complainte d’une Iphise digne, marquée par la souffrance, conclue par la danse de Lea Desandre. Que le chorégraphe Nicolas Paul ne demande-t-il pas aux chanteurs, au chœur et aux danseurs comme présence physique, plus de la gymnastique, du breaking et du hip-hop que de la danse ! Comme du Clément Cogitore dont l’on avait souffert à Bastille en 2019 pour Les Indes Galantes. (1) Il serait intéressant de voir l’ultime représentation de ces Fêtes si modifications de la mise en scène il y a...
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Vincent Pontet, Opéra-Comique, décembre 2024.
Troisième entrée, Lea Desandre concrétisant qu’elle est la diva de la soirée. Se terminant avec le poncif du bateau mouche, emprunté par tous, descendant la Seine, depuis Notre-Dame avec sa flèche, passant devant la Conciergerie – sans les têtes sanguinolentes de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques – pour arriver devant la tour Eiffel. Feux d'artifices.
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, décembre 2024.
Jean-Philippe Rameau, Les fêtes d’Hébé ou Les Talents lyriques, opéra-ballet en un prologue et trois entrées
Livret d'Antoine-César Gautier de Montdorge et Louise-Angélique Naudin
Création le 21 mai 1739 à l'Académie royale de musique (Opéra)
Opéra-Comique 13, 15, 17, 19, 21 décembre 2024 - Production du Théâtre national de l’Opéra-Comique
https://www.opera-comique.com/fr
Jean-Philippe Rameau, Les Fêtes d’Hébé © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, décembre 2024.
Direction musicale William Christie - Chœur et Orchestre Les Arts Florissants
Mise en scène Robert Carsen
Décors et costumes Gidean Davey – Lumières Robert Carsen & Peter van Praet
Chorégraphie Nicolas Paul – Vidéo Renaud Rubiano
Emmanuelle de Negri, Hébé / La naïade, soprano
Lea Desandre, Sappho / Iphise / Églé, mezzo-soprano
Ana Vieira Leite, L’amour / Le ruisseau / une bergère, soprano
Antonin Rondepierre, Thélème, ténor - Cyril Auvity, Le ruisseau / Lycurgue, ténor
Marc Mauillon, Momus / Mercure, baryton-basse - Lisandro Abadie, Eurilas / Alcée, baryton-basse
Renato Dolcini, Hymas / Tyrtée, baryton-basse - Matthieu Walendzik, Le fleuve, baryton