Une cour peut en cacher une autre. Fenêtres sur cours à Toulouse
Gian Filippo Usellini (Milan 1903- 1971 Arona), Le Parachute, 1936. Huile et tempera sur bois, 130 x 85 cm. Florence, Gallerie degli Uffizi, Galleria d'arte moderna di Palazzo Pitti, inv. Giornale 268 - Catalogo Generale 620 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Fenêtres sur cours, musée des Augustins, Toulouse, décembre 2016
Étonnant, stupéfiant ce Parachute (1936). Un sujet qui ne laisse pas indifférent ! A-t-on déjà vu la peinture d'un parachutiste se posant dans la cour d'un couvent, mettant en émoi les religieuses qui s'enfuient ? Le rond du parachute en regard de l'oculus et de la courbe de la cour, le tout dans des angles droits, la construction de ce tableau en est perturbante.
Gian Filippo Usellini (Milan, 1903 – Arona, 1971), Le Nuvole, 1937. Détrempe grasse sur bois ; H. 1,30 ; L. 0,70. S.d.b.d. GF Usellini / 1937 XV. Inv. JP 764 BIS P © Paris, Centre Pompidou, Musée National d’Art Moderne / Centre de création industrielle. Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost
A-t-on vu un matelassier prélevant sa laine dans des petits nuages blancs sagement alignés dans un ciel d'une grande pureté ? Ceci est possible dans Le Nuvole (1937). Le nom de cet artiste italien méconnu en France qui nous renvoie vers des tempera d'un des maîtres de la perspective, Piero della Francesca ? Gian Filippo Usellini (1903-1971). Deux peintures, la seconde est d'ailleurs conservée au Centre Georges Pompidou. Elles éclairent parfaitement l'axe de l'exposition Fenêtres sur cours. Peintures du 16e au 20e siècle. Axel Hémery, son commissaire, a souhaité créer la surprise par le choix du thème de cette exposition, celui de la cour, un thème qui n'avait jamais été abordé. Celui de surprendre aussi, par les peintres présentés dont nombre sont inconnus.
"Quel rapport y a-t-il entre un atrium, un cloître, un patio, une colonnade intérieure d'un palais, une cour de ferme, une promenade en prison, un passage urbain, l'espace central d'un hospice ? A priori aucun... " selon Axel Hémery directeur du musée des Augustins à Toulouse. Cette exposition - 87 numéros - est la première jamais consacrée à ce thème "qui n'a jamais été traité en tant que tel car il rassemble des univers assez différents". La seule absente à cet inventaire à la Prévert et qui aurait fait sourire le poète, ce que regrette Axel Hémery, est une toile de ce lieu si cher au cancre, la cour d'école, sujet si rare en peinture.
Santiago Rusiñol (Manlleu, 1861 – Aranjuez, 1931), Le Patio bleu, 1913. Huile sur toile ; H. 0,78 ; L. 0,95. S.b.g. S. Rusiñol. Inv. MNAC 145243 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Fenêtres sur cours, musée des Augustins, Toulouse, décembre 2016. La cour raconte une histoire. Celle de la solitude, de la mélancolie, celle des gens qui la traversent, celle d'un temps de l'histoire, celle d'une architecture parfaite ou détruite, celle d'un lieu s'ouvrant sur la nature ou la clôturant. Qu'en est-il de cette construction humaine au travers de sa retranscription par des peintres connus tels Eugène Boudin ou Maurice Denis. Ou inconnus du grand public, ils sont beaucoup à Toulouse. C'est l'un des charmes de cette si sensible exposition de nous confronter à d'autres approches, de déciller nos yeux face à des peintres tels Santiago Rusiñol (1861-l931) ou Gian Filippo Usellini (1903-1971) déjà évoqué. Deux peintres du silence et de l'étrangeté. Rusiñol pour ses Patio bleu représentés à 25 ans de différence, dans la retranscription d'un lieu aux couleurs délavées ou largement végétalisé, dans le réalisme d'un Cloître catalan avec l'accentuation d'effet chromatique du violet, dans cette Cour de l'île de la cité (1889) qui pourrait être celle d'un mont-de-piété avec l'apparition fantomatique d'une veuve induisant à réfléchir sur la pauvreté dans cette évocation troublante. Un parcours en sept stations, des Atriums et patios, du peplum à l'orientalisme jusqu'à La cour théâtre de l'histoire et Le Christ apparaissant aux apôtres (1917) de Maurice Denis, une dernière image pour terminer ce très bel itinéraire à travers le temps et les pays, dans la présentation des différentes typologies et fonctions de cours.
William Bouguereau (La Rochelle, 1823-1905), Ulysse reconnu par sa nourrice à son retour de Troie, 1849. Huile sur toile ; H. 1,14 ; L. 1,45. Inv. MAH. 1849.1.1 © Musées d’art et d’histoire de La Rochelle. Photo J+M. Commencement avec la grande peinture académique autour de l'atrium, ce lieu qui conditionne la narration et va définir le sujet. Cet endroit est cadre de l'éducation d'un enfant spartiate, du retour d'Ulysse à Ithaque ou lieu d'un gynécée propice à dévoiler pudiquement quelques corps féminins Après le bain (1867) de Gustave Boulanger pour aboutir au harem d'un orientalisme phantasmé sans grand attrait des Femmes d'Alger d'Eugène Giraud (1859). Cette évasion exotique est mieux sentie dans les quatre toiles autour de l'Alhambra. Henri Regnault dans sa Colonnade du Patio des Lions (1869) explore le lyrisme passionné pour l'architecture, Benjamin-Constant ouvre vers une possible présence humaine, Henri Achille Zo donne une vision lumineuse de cette captation d'ambiance d'un lieu célèbre mais désincarné alors que son père Achille, en 1860, retranscrit la réalité d'une façon pittoresque. Changement radical, l'endroit se clôt, se sépare du monde des vivants et de la luxure, devient celui d'une nostalgie romantique propice au Cloître Saint-Sauveur (1829) d'Auguste de Forbin ou à une réminiscence italienne d'un cloître par l'adjonction d'immenses cyprès selon Jules-Louis-Philippe Coignet. D'une comparaison d'un même lieu, celui du cloître de Santa Maria d'Aracoeli à Rome, la sobriété et la lumière surgissent chez le danois Eckersberg (1824) alors que le flamand Van den Abeele (1842) reste dans l'anecdotique. Retour vers le réalisme avec l'intérieur d'un couvent de sœurs selon François Boivin (1870) ou La Promenade de celles-ci en hiver dans lequel Armand Désiré Gautier (1859) va à l'essentiel dans sa composition, les religieuses sortant du couvent pour se promener dans le parc entourant leur demeure. Après les lointains historiques ou géographiques puis le contemplatif, c'est le retour vers la nature, avec la cour de ferme, la campagne, la basse-cour selon Corot ou Boudin, une nature toute en couleurs chez Pierre Bonnard alors que Luc-Olivier Merson transforme une cour de chaumière bretonne en impropable lieu de L'Annonciation (1908).
Pierre Duval Le Camus (Lisieux, 1790 – Saint-Cloud, 1854), Les Cancans chez la portière, non daté. Huile sur toile ; H. 0,52 ; L. 0,63. Inv. 859 3 6. Narbonne, musée d’Art et d’Histoire © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Fenêtres sur cours, musée des Augustins, Toulouse, décembre 2016.
La cour c'est le lieu de rencontres, de croisements, celle de l'hôpital et de ses blessés revenus de la guerre de Crimée selon Firmin-Girard (1861), celle des exercices militaires pour Philibert-Léon Couturier (1885), celle de la convivialité du restaurant Fournaise selon René-Joseph Gilbert. Et quel meilleur endroit d'observation de ce lieu de passage que la loge de la concierge où tous les occupants d'un immeuble se rencontrent et discutent, scène plaisamment décrite par Pierre Duval Le Camus (XIXe siècle) ! De la cour citadine vers la cour de palais, c'est un changement total dans ce lieu idoine aux architectures grandioses, celui des palais imaginaires de Paul Vredeman de Vries devenus le cadre de faits historiques - Salomon accueillant la reine de Saba -, avec des personnages dont la qualité répond à la noblesse de ces architectures mais n'apporte rien à l'économie générale du tableau. Dans une similitude de la prouesse picturale les Caprices architecturaux, dont le vénitien Antonio Maria Visentini, un des acteurs du renouveau de l'architecte palladienne au XVIIIe siècle, démontrent toute la virtuosité et la bravoure du peintre sachant représenter dans l'unité d'un espace divers styles architecturaux dans sa Fantaisie architecturale, que l'on retrouve aussi chez un élève d'Hubert Robert : Jean-Baptiste Berlot et ses Ruines d'un bain antique (1808), oeuvre maîtrisée et nourrie de ruines idéales de la Rome des Césars.
Alessandro Magnasco (Gênes, 1667-1749), L'arrivée et l'Interrogatoire des galériens dans la prison de Gênes, non daté. Huile sur toile, 116 x 143 cm. Musée des Beaux-Arts, Bordeaux © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Fenêtres sur cours, musée des Augustins, Toulouse, décembre 2016. Quelques autres surprises. Rome focalise les attentions d'un peintre rare Friedrich Mosbrgger, mort à 26 ans, avec ses Arrière-cour italiennes, une image nostalgique de la ville assoupie contrebalancée par l'irruption de la modernité de la ville parisienne chez Stanislas Lépine ou Emmanuel Lansyer. Le tableau génial d'un peintre génial, le génois Alessandro Magnasco (1667-1749) auquel la galerie Maurizio Canesso puis le Palazzo Bianco à Gênes rendirent hommage à l'hiver 2015-2016 www.lecurieuxdesarts.fr/2016/01/alessandro-magnasco-un-peintre-anticonformiste. L'arrivée et l'Interrogatoire des galériens dans la prison de Gênes - musée des Beaux-Arts, Bordeaux - dans un inquiétant et sombre monochrome explose de son audacieuse représentation des violences faites aux hommes. Subtilité et virtuosité 50 ans avant les tragédies de Goya !
Tony Robert-Fleury (Paris, 1838-1911), Le Docteur Pinel libérant les aliénées à la Salpêtrière en 1795, 1876. Huile sur toile ; H. 3,55 ; L. 4,90. Inv. FNAC 84 © Paris, Centre National des Arts Plastiques, en dépôt à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Photo RMN-Grand Palais / Agence Bulloz. Tableau à lui seul justifiant cette exposition, sans aucun doute l'un des points forts, tableau existant mais invisible puisque conservé à l'hôpital parisien de la Salpêtrière, souvent cité mais jamais exposé : Le docteur Pinel libérant les aliénés à la Salpêtrière en 1795 (1876). Ce tableau de Tony Robert-Fleury répond à une commande destinée à cet établissement hospitalier, commémorant un des grands moments de la psychiatrie moderne, l'instant où le docteur Philippe Pinel après avoir libérés les hommes aliénés de leurs chaînes en 1793, libère de celles-ci les femmes de la Salpêtrière. Contraste saisissant entre les femmes hystériques dévêtues et le docteur impassible, dans ce lieu où ce moment historique ne pouvait que se passer, ce supposé espace de liberté mais lieu d'enfermement et de souffrance. Si fut complexe la venue à Toulouse de cette toile monumentale restaurée par le musée, quel sera son devenir lors de son retour à La Salpêtrière ? Y sera-t-elle plus visible ? Faudrait-il rappeler que le Musée historique et artistique des hôpitaux de Paris dans l’Hôtel de Miramion, quai de la Tournelle, est fermé depuis le 30 juin 2012, date même pas indiquée sur le site Internet de l'APHP ! "Actuellement fermé au public, le musée fait aujourd’hui l’objet d’une réflexion quant à son redéploiement. Par ailleurs, les collections restent accessibles aux chercheurs. ".
Gilles Kraemer
Fenêtres sur cours. Peintures du 16e au 20e siècle
10 décembre 2016 - 17 avril 2017
Musée des Augustins - 21, rue de Metz - 31 000 Toulouse
Parcours muséographique sur augustins.org/fr
Commissariat Axel Hémery
Catalogue. Avant-propos d'Axel Hémery, textes de Marie-Claude Chaudonneret Le cloître, Maurizio Gribaudi Les cours parisiennes au XIXe siècle & Christine Peltre Entre secret et sacré, cours orientales. Notices de Piero Boccardo, Axel Hémery & Paul Mironneau. 340 pages. 135 illustrations. Co-édition du musée des Augustins & de Lienart éditions Prix 29 euros.
Joseph Constant, dit Benjamin-Constant (Paris, 1845-1902), Cour de l'Alhambra, 1880. Huile sur toile, 55 x 44 cm. Signé en bas à droite "BC Alhambra 1880". Politique très dynamique de ce musée. Cette toile présentée dans cette exposition, est en cours d'acquisition auprès de la galerie Mendès, Paris avec l'aide du FRAM Occitanie. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Toulouse, décembre 2016.
Valentin de Boulogne, Judith avec la tête d'Holopherne, vers 1626-1627. Huile sur toile, 97 x 74 cm.. Musée des Augustins, Toulouse. Ancienne collection Everard Jabach jusqu'en 1671 puis collections royales © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Valentin de Boulogne : Beyond Caravaggio, Metropolitan Museum of Art, New York, novembre 2016. Pour mémoire, cette institution toulousaine a prêté sa Judith avec la tête d'Holopherne de Valentin de Boulogne, à l'exposition monographique consacrée à cet artiste par le Metropolitan Museum of Art, New York (7 octobre 2016 - 22 janvier 2017) puis par le musée du Louvre, Paris (22 février-22 mai 2017).
© photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Fenêtres sur cours, musée des Augustins, Toulouse, décembre 2016