Les Sentinelles de Clara Olivares sont restées dans une veille musicale – Opéra-Comique
Gilles Kraemer
générale, mardi 8 avril 2025
Les Sentinelles, Sylvie Brunet-Grupposo, Camille Schnoor, Anne-Catherine Gillet © S. Barek / Opéra de Limoges.
Les Sentinelles, plutôt en veilleuse…
A. B. C. E. mais pas un alphabet. Le D est éludé. Nullement un abécédaire. Ni une équation canonique ou générale ou symétrique. Dans une anonymisation voulue par la compositrice Clara Olivares, dans l’emploi de l’initiale pour les quatre protagonistes de l’opéra Les sentinelles, livret de Chloé Lechat.
Cette narration est dans l’air du temps du prêt-à-penser, cochant des cases devenues incontournables d’une supposée modernité. Le saphique triangle entre la libraire A et le couple de femmes mariées B architecte d’intérieur et C comédienne. E, enfant de moins de 12 ans, fille de A, enfant à Haut Potentiel Intellectuel, autiste.
Les Sentinelles, Anne-Catherine Gillet, Noémie Delevay-Ressiguier © S. Barek / Opéra de Limoges.
Les Sentinelles, vidéo Anatole Levilain-Clément © S. Barek / Opéra de Limoges.
90 minutes après, le dubitatif est de circonstance. Que penser de cet opéra 100% féminin – la compositrice, la librettiste également metteuse en scène, la directrice musicale, le plateau -. Deux mâles sont admis : l’éclairagiste Philippe Berthomé et le vidéaste Anatole Levilain-Clément ayant imaginé les amusants films d’animation des entretiens entre un pédopsychiatre – voix masculine mais non créditée dans le programme de salle !, sauf s’il s’agit d’une voix de synthèse - et E, la formidable comédienne Noémie Develay-Ressiguier, dans son allure manga imaginée par Sylvie Martin-Hyska, costumière également des trois femmes vêtues de vêtements des stocks de l’Opéra national de Bordeaux. Cette production se place dans le cadre absolument louable d’une production « zéro achat » comme précisé dans le programme.
Création mondiale à l’Opéra bordelais le 10 novembre 2024, reprise à l’opéra de Limoges en janvier 2025 – place à 15 euros - Les sentinelles est donné, dans la même distribution, à l’Opéra-Comique, haut lieu de création parisienne comme aime à le souligner Louis Langrée le directeur de cette salle musicale parisienne, ayant fait le pari d’une coproduction avec Limoges. 3 000 opéras y furent créés, rappelle-t-il, depuis que cette institution existe.
Si lieu de création, cela sous-entend lieu de la modernité. Ce qui ne ressort pas à l’écoute de la musique de Clara Olivares, bien sage, tristounette, une composition pseudo classique, répétitive, avec le soupçon d’une pincée de modernité des timbales et des percussions. Osant la comparaison avec la peinture narrative régnant, parfois en excessivité, depuis qu’elle a évincé l’abstraction, la modernité musicale devrait-elle se tourner vers le classique ? Pascal Dusapin, dont son Il viaggio, Dante à Garnier en mars 2025 ne fut pas une révélation, y adhère-t-il ?
Il ne me semble pas avoir entendu une once de nouvelles expressions musicales, d’inventions, de provocations. Ce n’est pas ce soir que l’on aura été troublé ou interpellé par cette musique dont l’on serait en peine d’estimer si sa direction par Lucie Leguay à la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine est parfaite. Cela s’écoute poliment et n’écorche pas les oreilles.
« comme un cheveu sur la soupe », la musique s’arrête brutalement. Les notes straussiennes, cris et hurlements d’Elektra sont uniques et pas reproductibles ! Ne « divulgâchons pas » les deux hypothèses de la fin de cette histoire.
Les Sentinelles, Camille Schnoor, Sylvie Brunet-Grupposo © S. Barek / Opéra de Limoges.
Les voix A /Anne-Catherine Gillet, B /Sylvie Brunet-Grupposo, C/ Camille Schnoor ? Le soir de la générale - où l’indulgence est de mise à l’égard du plateau, dans ces ultimes ajustements de l’accaparation du lieu -, le sous-titrage était bien venu dans la compréhension de B et de C.
Anne-Catherine Gillet, très à l’aise vocalement et scéniquement dans son jeu de pertes de repères ; son solo L’amour que tu souhaites est une chimère, un beau moment d’intensité et de justesse. Sylvie Brunet-Grupposo, développant parfaitement son rôle dans un couple en déliquescence, faisant passer toute sa tristesse de la fin d’un amour. Liane érotique et câline avec son nouvel amour, Camille Schnoor s’affirme et gouverne le plateau.
Arithmétiquement, Les Sentinelles c’est plus compliqué à trois qu’à deux. À quatre, il faut cesser de compter.
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Les Sentinelles © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, 8 avril 2025.
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Les Sentinelles © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, 8 avril 2025.
Les sentinelles
Opéra-Comique, jeudi 10, vendredi 11 avril & dimanche 13 avril 2025
Composition de Clara Olivares, Les sentinelles, livret de Chloé Lechat
Création mondiale le 10 novembre 2024 à l’Opéra national de Bordeaux
Direction musicale Lucie Leguay à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Mise en scène Chloé Lechat
Scénographie Céleste Langrée - Costumes Sylvie Martin Hyszka - Lumière Philippe Berthomé -
Vidéo Anatole Levilain-Clément - Directrice des études musicales Edwige Herchenroder
A, mère de E Anne-Catherine Gillet, soprano
B Sylvie Brunet-Grupposo, mezzo-soprano
C Camille Schnoor, mezzo- soprano
E Noémie Develay-Ressiguier, comédienne
Co-commande Opéra national de Bordeaux, Opéra de Limoges & Théâtre national de l’Opéra-Comique