La Renaissance de Brescia après le Sac de 1512. Moretto, Romanino, Savoldo – Museo di Santa Giulia, Brescia
Gilles Kraemer
Déplacement et séjour à titre personnel à Brescia
Fureurs. Horreurs. Massacres. Carnage. 1512, Sac de Brescia perpétué par les troupes françaises au moment des guerres françaises en Italie, conduites par Louis XII (roi de France de 1498 au 1er janvier 1515).
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© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
Sous domination de la République vénitienne depuis 1426, cette cité passe, en 1509, sous le contrôle français après la bataille de Agnadello, Venise ayant perdu face à la Ligue de Cambrai ; Louis XII entre à Brescia le 23 mai 1509. Début février 1512, la ville se rebelle contre l’occupant français.
Le 19 février 1512, le neveu du roi, le fougueux Gaston de Foix, duc de Nemours, à la tête de 6 500 hommes s’en empare. Le 20 février, jour de Mardi gras de Carnaval, permission est donnée à 5 000 soldats de saccager Brescia. Pendant trois jours, entre 8 000 et 10 000 habitants périrent sur une population de 65 000 habitants, l’une des vingt cités les plus peuplées d’Europe. Telle une anticipation du Sac de Rome (1527) le plus violent et le plus symbolique de l’Europe moderne dont mémoire s'est gardée. Par comparaison avec le massacre de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572, 4 000 protestants furent tués à Paris.
Abandonnant Brescia, Gaston de Foix (10 décembre 1489 - 1512) retourna au combat, prenant la route de Ravenne. Il y livra bataille, le 11 avril, jour de Pâques. Victoire des troupes françaises que l’intrépide Gaston ne goûta point, trouvant la mort au combat.
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Girolamo Romano detto Romanino (Brescia, 1484/1487 - 1560), Homme en armure avec un chapeau et une épée, ca 1514-1515. Huile sur toile. 79,7 x 68 cm.. New Orleans Museum of Art, The Samuel H. Kress Collection © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
Si le Sac de Brescia est passé dans le silence des manuels scolaires français, il fit l’objet de l’émission d’un timbre le 10 novembre 1969, gravé par Albert Decaris, membre de l’Institut - d’après la peinture de Charles-Philippe Larivière (1837) conservée aujourd’hui à Versailles, - représentant le chevalier de Bayard, blessé, à la tête des troupes françaises. Verrait-on 56 années plus tard, La Poste émettre et glorifier tel fait ? O tempora, o mores. https://www.wikitimbres.fr/timbres/130/1969-bayard-brescia-1512
1515 sonne mieux à l'oreille française, date connue de (presque) tous les élèves, année de la bataille gagnée par le jeune roi François 1er (1494-1547), succédant le 1er janvier 1515 à son cousin et beau-père Louis XII. Pierre Terrail, seigneur de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche, l'adoubera à l'issue de cette bataille en terre italienne. Une belle image glorifiée par la peinture de style troubadour, mouvement artistique sous la Restauration française.
Enrico Valseriatia et Fabrizio Pagnoni, dans leur texte Des ruines la renaissance : le Sac de Gaston de Foix et la reconstruction de la concorde paru dans le catalogue accompagnant la merveilleuse exposition Il Rinascimento a Brescia. 1512-1552, que le Museo di Santa Giulia de Brescia consacre à cette renaissance bresciane de la première moitié du Cinquecento, reviennent sur cette « furia francese ». Évoquant dans leur texte le chevalier Bayard et la famille du palais Cigola où il était soigné, évitant qu’il ne soit pillé et que ses occupantes ne soient violées.
Pierre Révoil, Henri Joseph Boichard et Jean-Joseph Bidauld évoquent picturalement ces faits
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010061066
https://www.museedevalence.fr/fr/19e-siecle/le-depart-de-bayard-de-brescia
Ces peintures troubadours ne sont pas présentes dans cette exposition, hors des limites 1512-1552 de cette remarquable exposition passée sous silence par la presse française.
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Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Fortunato Martinengo, ca 1539-1540. Huile sur toile. 114 x 94,4 cm.. Londres, The National Gallery © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
1512, année choisie comme point de départ de cette exposition, est celle du Sac de la cité lombarde et de la naissance le 9 juillet de Fortunato Martinengo fils de Cesare II Martinengo et d’Ippolita Gambara. Il naquit à Arco di Trento où ses parents s’étaient réfugiés avant le Sac. Sixième garçon de cette influente famille du patriarcat brescian, il délaissa les affaires de famille, se consacrant à la littérature, à la composition de 17 sonnets, à jouer de la musique ou de la flûte, à collectionner. Profondément marqué par la pensée d’Erasme, il fonde l’Accademia dei Dubbiosi puis se tourne vers le christianisme, souhaitant partir pour un long et incertain voyage en Terre sainte vers 1540 puis épouse Livia d’Arco en 1542. 1552, date choisie arbitrairement comme date limite de cette exposition, Fortunato décédant cette année à Vienne où il avait rejoint son frère Girolamo, nonce du pape dans cette ville.
Il portait bien son prénom Martinengo, « era davvero fortunato ».
1512-1552, temps de crise sociale et économique suite à la brutalité du Sac dont la nouvelle effrayante se répandit dans toute l’Europe, temps d’inquiétude dans le souhait de retour vers la paix. Un nouveau climat, une Renaissance, dont cette exposition, sous la direction de Roberta d’Adda, Filippo Piazza et Enrico Valseriati rend compte à travers 40 numéros – c’est peu diront les grincheux, aucune pièce mineure, que des merveilles -. En cinq sections, commençant par « l’extermination » avec un bas-relief par Agostino Busti detto Bambaia (1483-1548), figurant la Prise de Brescia, marbre du monument funéraire inachevé de Gaston de Foix et se terminant par l’exceptionnel portrait de Fortunato, âgé de 27, 28 ans, présenté seul, se détachant sur un mur vert, dans un éclairage pénombre dont les Italiens ont le secret, un « unicum » dans la production d’Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554). Resté dans la famille de son commanditaire jusqu’en 1843, la National Gallery londonienne acquiert cette merveille en 1858. Assis, se détachant sur un fond de velours frappé rouge et or, richement vêtu, la tête posée sur la main de son bras droit dont le coude repose sur deux coussins, il nous regarde, désintéressé, plongé dans sa mélancolie, cette Melancolia, burin gravée par Albrecht Dûrer en 1514.
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Girolamo Romano detto Romanino (Brescia, 1484/1487 - 1560), Gentilhomme, ca 1521-1522. Huile sur toile. 76,2 x 65,1 cm.. Allentown Art Museum, Samuel H. Kress Collection © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia. Qui connait ce musée de l’état de Pennsylvanie ? Site remarquable en langue française. https://www.allentownartmuseum.org/collections/
De ce portrait de Moretto, seul celui d’un inconnu par Girolamo Romani detto Romanino (Brescia 1484/1487-1560), ca 1521-1522, chef-d’œuvre de la Samuel H. Kress Collection, peut affronter la comparaison. Girolamo a préféré placer l’homme devant un fond monochrome noir, de trois quarts. Chemise en baptiste de lin blanc, large chaine d’or, pourpoint de velours noir, manteau doré en damas. La main droite dégantée, l’autre posée sur la poignée d’une épée. Maîtrise entre noir et or. Une merveille. Les musées étrangers ont été généreux; je n'ose songer au prix du transport et à la valeur d'assurance de cet inconnu.
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Nicola di Gabriele Sbraghe (o Sbraga) detto Nicola da Urbino (actif à Urbino, 1520-1537/1538), Plat aux armoiries de la famille Calini. Apollon et Pan. Apollon punissant Marsyas, ca 1525-1529. Diamètre 41,4 cm.. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
Prêt insigne du Getty, une majolique de l’atelier de Nicola di Gabriele Sbraghe detto Nicola da Urbino, dans la tradition pastorale et dionysiaque, une des 11 majoliques à sujet mythologique que commanda la famille Calin vers 1525-1529. Nullement une pièce de table mais un objet de magnificence exposé sur un dressoir à l’occasion de banquets, un objet digne d’alimenter les conversations dans la description du sujet représenté : ici Apollon et Pan, Apollon écorchant Marsyas.
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Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Girolamo Martinengo, ca 1543-1544. Huile sur toile. Montichiari, Museo Lechi // Manufacture bresciane, Armure à la romaine, ca 1540-1545. Acier gravé à l’eau-forte et doré. Turin, Musei Reali, Armeria Reale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
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Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Eleonora Gonzaga di Sabbioneta ?, ca 1543-1544. Huile sur toile. Washington, Nationale Gallery of Art // Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Girolamo Martinengo di Padernello, ca 1543-1544. Huile sur toile. Montichiari, Museo Lechi © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
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Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Scipione Porcellaga en armure à l’antique, ca 1551. Huile sut toile. 214 x 119 cm.. Verone, Museo di Castelvecchio © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia // Manufacture bresciane, Armure à la romaine, ca 1540-1545. Acier gravé à l’eau-forte et doré. Turin, Musei Reali, Armeria Reale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
Une armure damasquinée, issue d’une manufacture bresciane des années 1540-1545, que l’on suppose avoir appartenu à Girolamo Martinengo – un des jeunes frères de Fortunato – est présentée à côté de son portrait par Moretto (ca 1543-1544) et celui de son épouse Eleonora Gonzaga di Sabbioneta représentée par le même, aux dates identiques. Elle porte au cou une émeraude, symbole de la fertilité et l’attribut de Vénus.
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Giovanni Girolamo Savoldo (Brescia, ca. 1480 - après 1548), Jenne homme à la flûte, ca 1525. Huile sur toile. 74,3 x 100,3 cm.. Brescia, Pinacoteca Tosio Martinengo // Gianfrancesco Antegnati (Brescia 1480-1490-Brescia ? ca 1560,. Épinette, 1554. Brescia, Musei Civici. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia. C'est l'occasion de visiter la Pinacoteca Tosio Martinengo, deux Raphaël, fabuleuse Adoration des bergers de Lorenzo Lotto, l'école bresciane de la première partie du Cinquecento, Giacomo Ceruti https://www.bresciamusei.com/musei-e-luoghi/pinacoteca-tosio-martinengo/
Un violon du luthier de Crémone Andrea Amati et une épinette du brescian Gianfrancesco Antegnati rappellent l’inclination de Fortunato pour la musique, deux magnifiques instruments confrontés au Jeune joueur de flûte de Giovanni Girolamo Savoldo (1480/1485-post 1548), au Prêtre agenouillé devant le prophète David tenant un violon selon Moretto et à un dessin de Romanino, Concert champêtre, attribué aujourd’hui à ce brescian après être passé sous le crayon de Giorgione puis de Pordenone.
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Giovanni Girolamo Savoldo (Brescia, ca. 1480 - après 1548), Philosophe, ca 1521. Huile sur bois. 79,3 x 57 cm.. Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
Présentons l'étonnant Philosophe de Savoldo (ca 1521), émergeant d’un fond noir, vêtu de vert, nous fixant fortement.
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Alessandro Bonvicino detto Moretto (Brescia, ca 1496-1554), Madone de la Misericorde et deux pénitents, ca 1522-1524. Huile sur toile. 198 x 133 cm.. Possagno, Tempio Canoviano © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
De la peinture religieuse, retenons Madonna della Misericordia avec deux pénitents de Moretto (ca 1522-1524), deux fidèles soulevant leur capuche pour la voir.
Un parcours entre histoire, art, philosophie, religion, révélant la renaissance d’un ville saccagée et meurtrie.
Exposition coproduite par la Fondazione Brescia Musei et Skira. Le catalogue, in fine, en garde la mémoire.
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© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2024, Brescia.
La Renaissance à Brescia. Moretto, Romanino, Savoldo. 1512-1552 // Il Rinascimento a Brescia. Moretto, Romanino, Savoldo. 1512-1552
18 octobre 2024 – 16 février 2025 / 18 ottobre 2024 - 16 febbraio 2025
Museo di Santa Giulia / Fondazione Brescia Musei – Brescia, via Musei
Commissariat Roberta D’Adda, conservatrice auprès de la Fondazione Brescia Musei, Filippo Piazza, historien de l’art, Enrico Valseriati, historien de l’art.
Catalogue sous la direction de Roberta D’Adda, Filippo Piazza, Enrico Valseriati. Textes de Letizia Barozzi, Barbara Bettoni, Marco Bizzarrini, Roberta D’Adda, Marco Faini, Querciolo Mazzonis, Fabrizio Pagnoni, Ester Pietrobon, Alessandra Quaranta, Barbara Maria Savy et Elisabetta Selmi. 344 pages.39 euros. Éditions Skira.
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Stefano Bombardieri, Il peso del tempo sospeso. Ronoceronte al Quadriportico, Brescia, décembre 2020 © Le Curieux des art Gilles Kraemer, Brescia, décembre 2024.
Brescia ou la ville où un rhinocéros est dans les airs. L’animal devient métaphore du poids que nous devons supporter dans cette période où la Covid, ayant très lourdement frappée la Lombardie, suscite pour nous tous une incertitude, la perception du temps qui change comme a évolué notre style de vie et notre rapport avec les autres.
En train, Brescia est à 36 minutes de Milan Centrale. A 2 heures de Venise Santa Lucia par Frecciarossa, dont la qualité de service devrait laisser la française SNCF jalouse.
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© Le Curieux des art Gilles Kraemer, Brescia, décembre 2024.
Métro. De la gare Stazione FS au centre de ville Vittoria puis 15 minutes à travers cette ville méconnue, trop méconnue pour rejoindre le musée. Eh oui, Brescia, possède un métro très luxueux, inauguré en 2013, fait surprenant pour une ville de 196 000 habitants.