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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (séjour personnel à Avignon)

lundi 5 juillet, rang P, 22h 45

mardi 6 juillet, rang I, 23h

 

Je ne cesse de penser que cette pièce avait été écrite pour la Cour d’Honneur, pour ses murs ancestraux. L’histoire, c’est celle d’un effondrement mais aussi d’un nouveau monde. Tiago Rodrigues, Avignon, 5 juillet 2021.

La Cerisaie © photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon.

Un tonnerre d’applaudissements. Triomphe absolu ce mercredi 7 juillet pour La Cerisaie. Il était une heure trente. L’on était à mille lieux de la même pièce vue la veille. La nuit emportait Marcel Bozonnet, étendu sur le sol mouillé de l’immense plateau, oublié des protagonistes quittant en octobre le domaine de La Cerisaie vendu à Lopakine le 22 août et, qu'il transformera en lotissements de loisirs.

Quelques instants avant la représentation de La Cerisaie. La pluie toujours présente © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, nuit du 6 au 7 juillet 2021.

Applaudissements des 800 spectateurs – la jauge est de 1 947 sièges -, fous de théâtre, passionnants et passionnés, totalement fous pour avoir attendu que la pluie diluvienne depuis 21 h cesse de tomber à 23 heure et que le spectacle puisse commencer. La nuit fut glaciale, venteuse, parcourue d’ondées intermittentes. Isabelle Huppert, transie de froid. Très YSL–allure Helmut Newton dans ce pantalon bleu, chemisier jaune brodé, long manteau violet. Normal, elle revient de Paris où elle a passé plusieurs années après que son fils, âgé de 7 ans, se soit noyé dans la rivière du domaine. Représentation voulue avec insistance par tous les acteurs.

 

 

La Cerisaie © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, nuit du 6 au 7 juillet 2021.

Pour des raisons techniques liées aux intempéries, Tiago Rodrigues vint expliquer qu’il avait adapté sa mise en scène : les deux musiciens installés dans le renfoncement du mur - et non plus sur un plateau mobile donc trop présents -, les subtiles lumières de Nuno Meira revues – les trois luminaires-cerisiers éteints -, le piano droit sur lequel certains acteurs venaient jouer supprimé. Seulement 50 chaises sur le plateau – celles de l’ancien dispositif scénique de la Cour revu pour la 6ème fois depuis la création du Festival, comme le passage de témoin et, beaucoup plus de place pour les jambes – que les machinistes doublèrent quelques secondes avant le début de la représentation, apportant d’autres chaises pour couvrir la totalité du plateau. Importantes ces chaises qui seront renversées, jetées violemment, mises en une pyramide qui sera détruite compulsivement, empilées à la fin et mises sur un côté pour laisser l’immensité du plateau nu. Ce plateau en permanence occupé par les acteurs même s’ils n’interviennent pas.

La Cerisaie © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, nuit du 6 au 7 juillet 2021.

Et, ce presque rien, ce peu de chose, cet impalpable, ces scories ôtées, transformèrent cette Cerisaie fleurie d’ennuie - tel était mon titre prévu en sortant de la première – en une triomphale représentation, déjà d’anthologie, applaudie par le cœur. La pluie avait sauvé La Cerisaie. Elément salvateur, comme le passage d’un monde vers un autre.

Il est vrai que ce lundi 5 fut particulier. Le matin, annonce par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot-Narquin que Tiago Rodrigues serait le prochain patron du Festival 2023. À 13h, lors de la conférence de presse "transmission" symbolique des trois clefs ouvrant toutes les portes du Festival par un Olivier Py très lyrique comme à son habitude à Tiago. Représentation commençant à 22h 45 pour raisons de contrôle du pass sanitaire. Attente qui fut interminable et insoutenable pour les acteurs, comment ne pas être déconcentré. Manifestation à l’extérieur d’une cinquantaine d’intermittents – et non du réducteur "quelques" comme lu -. Présence de la ministre et de son staff occupant deux rangs du milieu. Non loin, Jacques Toubon. Également un ministre de la Culture à vie depuis 40 ans. Lorsque les trompettes retentirent, ovation spontanée, comme un cri de soulagement d’avoir été privé du 74ème Festival, cause pandémie. Il en sera autrement deux heures trente plus tard. Applaudissements de politesse. Politesse par respect du spectacle vivant et des acteurs. Aucune huée. Vite, vite dehors, comme pour ne pas louper Le dernier métro. Tout Avignon avait ce lundi soir les yeux de Chimène pour son futur prince Tiago et les yeux de Rodrigue pour LA Huppert. Il en fut autrement 2h 30 plus tard. Énorme déception. Ennui palpable dès le début avec une sonorisation mal réglée qui sera revue le lendemain. Ceci les acteurs l’ont ressenti, ceci s’est senti. Comment voulez-vous que cette représentation resta dans les mémoires ? Le premier spectateur partait à 23h 30. Ceci ne pouvait échapper au plateau.

La Cerisaie © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, nuit du 5 au 6 juillet 2021.

Isabelle avait beau être impériale dès le début, impossible de savoir si sa Lioubov voulue par Tiago était écervelée, insouciante, fière de sa caste, indifférente à tous les malheurs autour d’elle. Évitons d’en dire plus.

Le ressenti du mardi à 1h 15 se révéla être le contraire mercredi à 1h 30. Le théâtre c’est la vie, l’instant, le moindre grain de sable c’est son risque tous les soirs. C’est pour ceci que l’on aime cet art total. 

Et, miracle, cette représentation de mardi tout fut plus intimiste dans un investissement total de tous les acteurs, partagés entre frivolité et bizarre, sérieux, se remettant en cause ou ne voulant pas voir le futur. Les mots d’Anton paraissaient avoir été sculptés pour le temps météorologique lorsqu’il fait dire à Lopakine se tournant vers nous : je ne peux pas approuver notre climat.

La Cerisaie © photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon.

Tout devient un immense bal, un bal sur un volcan - un monde où le servage fut aboli en 1861, Lopakine n’est-il pas fils de moujik comme il se complaît à le dire -, laissant la place au monde du profit qui abattra la maison, coupera les cerisiers, construira  des datchas pour des touristes, tout ceci est déjà perceptible avec les rails au sol annonciateur du train de loisirs qui va tout chambouler -, un bal au ralenti qui dure, qui dure, instant magique où les fenêtres de la Cour s’allument, et qu’ils se mettent à danser individuellement, doucement, tout doucement, la tête couverte, sur une musique captivante. Jusqu’aux sanglots d’Isabelle prostrée au pied d'un cerisier.

La Cerisaie © photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon.

C’est vrai qu’ils ont vu tant de choses ces murs souligne Lioubov, se tournant vers les murs de la Cour, touchant à plusieurs reprises le mur principal. Une dernière fois, regarder ces murs, ces fenêtres. Et ce mercredi, dans la nuit pluvieuse d’Avignon, la Cour a vécu la résurrection de La Cerisaie.

Magie du théâtre sublimisée par la magie des éléments. Avignon a pour Isabelle les yeux de Rodrigue. Et ceux de Chimène pour Tiago …  

La Cerisaie © photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon.

La Cerisaie

Texte Anton Tchekhov, création en janvier 1904, quelques mois avant sa mort.

Traduction André Markowicz, Françoise Morvan

Mise en scène Tiago Rodrigues / Collaboration artistique Magda Bizarro

5 6 | 8 9 10 11 12 | 14 15 16 17 juillet à 22 h

Avignon - Cour d’honneur du Palais des Papes

Avec Isabelle Huppert / Lioubov, Isabel Abreu / la gouvernante Charlotta, Tom Adjibi / le comptable Epikhodov, Nadim Ahmed / Iacha, Suzanne Aubert / Douniacha, Marcel Bozonnet / Firs, le majordome, Océane Caïraty / Varia, intendante, fille adoptive de Lioubov, Alex Descas / Gaev, le frère, Adama Diop / Lopakine, David Geselson / l’étudiant Trofimov, Grégoire Monsaingeon / Simeonov Pichtchik, Alison Valence / Aria, fille de Lioubov

Et les musiciens Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves

Scénographie Fernando Ribeiro / Lumière Nuno Meira

Costumes José António Tenente

Musique Hélder Gonçalves (composition), Tiago Rodrigues (paroles)

Rendez-vous à l’Odéon, du 7 janvier au 20 février 2022. Fauteuil déjà acheté.

Production Festival d’AvignonCoproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Teatro Nacional D. Maria II, Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Comédie de Genève, La Coursive Scène nationale de la Rochelle, Wiener Festwochen, Comédie de Clermont-Ferrand, National Taichung Theater (Taïwan), Teatro di Napoli Teatro Nazionale (Naples), Fondazione Campania dei Festival / Campania Teatro Festival, Théâtre de Liège, Holland Festival (Pays-Bas).

 

Conférence de presse Olivier Py – Tiago Rodrigues animée par Laurent Goumarre © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 5 juillet 2021.

 

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