L’étrange Canard sauvage d’après Ibsen selon Thomas Ostermeier – Festival in Avignon 2025

Publié par Gilles Kraemer sur 16 Juillet 2025, 10:49am

Catégories : #Avignon, #Théâtre, #Festival

Gilles Kraemer

déplacement et séjour personnel à Avignon

Le vol plané et pesant du palmipède sauvage d’après Henrik Ibsen sauvé par le plateau incandescent des comédiens de la Shaubühne de Berlin.

Le Canard sauvage, Thomas Ostermeier, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

« d’après ». Une nouvelle fois cette manie de changer le texte.

Dépoussiérer en adoptant le texte et moderniser la langue sont devenus la pratique d’un metteur en scène. Peu importe le public, toléré de tout avaler. Il a payé.

Mais, à un moment, il sera considéré comme intelligent lorsque la longue figure filiforme de Marcel Kohler / Gregor Werle l’interpelle, tentant de créer un débat direct autour de la question : avez-vous déjà menti à vos proches, à votre conjoint ? Cela tombe à plat comme une escadrille de volatiles que Falk Rockstroh / le vieux Ekdal Hjalmar se complaît à canarder ; c’est ainsi qu’il a blessé le canard sauvage, l’Arlésien de cette tragédie que l’on ne cesse d’évoquer.

En modifiant une pièce écrite en 1884 par le norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), il l'adapte au trois-quarts. Comme si le public était incapable de comprendre ce que l’on écrivait il y a 150 ans. Cette fin d’après-midi, à l’Opéra Grand Avignon, c’était plutôt un Canard sauvage dans sa version Le théâtre pour les nuls.

Le Canard sauvage, Thomas Ostermeier, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Thomas Ostermeier & ses acteurs © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, Avignon, juillet 2025

Thomas Ostermeier, mettant en scène le palmipède sauvage blessé, sombre dans ce travers, allant jusqu’à rayer des personnages du texte. Il faut cocher le maximum de cases selon les oukases de la bien-pensance. L’adolescente Hedvig Ekdal / Magdalena Lermer est vieillie pour introduire précarité et féminisme. Le monde du journalisme auquel elle aspire en composant la feuille de son lycée n’est pas celui des bisounours ; elle s’en rendra compte, rayé du comité de rédaction façon stalinien.

Le Canard sauvage d’après Henrik Ibsen © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, Avignon, juillet 2025

Lutte des classes et bourgeoisie d’un bla-bla-bla habituel dans l’atmosphère lourde de cette pièce, construite de secrets, de mensonges. Toute vérité n’est pas bonne à dire. De cette sécure entre deux mondes, tissée des fils de non-dits, de ces « consciences malades qu’il faut soigner » selon Gregor Werle qui s’introduira dans la famille des Ekdal jusqu’à la briser, faisant tout voler en éclats en révélant le secret inavouable mais soupçonné de tous : Hedvig n’est pas une Ekdal mais une Werle, enfant d’un amour ancillaire, ce que lui avouera son demi-frère. Déflagration et explosion de cette lenteur angoissante tétanisant la famille Ekdal. Jusqu’à l’irréparable. Ce n’est pas la mort du canard qui aurait pu être la catharsis à laquelle tout nous conduisait mais cela sera le suicide d’Hedvig Ekdal.

Dernière image : celle de Gregor Werle, le doigt sur la détente du revolver contre sa tempe. Oui ? Non ? Suivra-t-il sa demi-sœur ?

Chaleureux applaudissements ce vendredi 11 juillet 2025 (6ème représentation).

Place presse.