De Jan Toorop et Émile Claus à Panamarenko et Jan Fabre. Entre rêves et réalités de maîtres de l'art belge du musée d'Ixelles, Bruxelles
Panamarenko, Paradox, techniques mixtes (tous droits réservés/photo Vincent Everarts) Musée d'Ixelles, Bruxelles // Vues de l'exposition © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014 V
La fermeture partielle d'un musée est, parfois, une belle opportunité pour faire connaître ses œuvres. A l'occasion de travaux d'aménagement de ses salles des collections permanentes, le musée communal d'Ixelles, fondé en 1892 grâce à un important don du peintre Edmond De Pratere puis d'Octave Maus, présente 120 tableaux, sculptures, installations, dessins à Biarritz, ville avec laquelle cette commune de Bruxelles est jumelée. Comme un complément de l'exposition Bruxelles. Une capitale impressionniste au musée des impressionnismes à Giverny, axée uniquement sur le tournant du siècle et, pour laquelle le musée d'Ixelles, également prêteur, est associé.
Ce panorama de l'art belge des 150 dernières années, en un parcours chronologique, organisé autour de la thématique de la « réalité sublimisée, rêvée, réinventée, magique et abstraite », à travers les différentes écoles picturales, cerne toutes les spécificités de l'art de ce royaume créé en 1830. « Sa courte histoire influence ce jeune pays qui a toujours tendance à absorber ce qui se fait autour de lui, en regardant vers les Pays-Bas, la France, l'Allemagne, avec un regard constant porté sur la modernité » souligne Claire Leblanc, conservateur de ce musée « tout en conservant une certaine liberté, signe de la spécificité des artistes de ce pays ».
L'influence des peintures flamandes est rappelée en ouverture de cette exposition, avec la photographie fantasmée mais si réelle d'Éric de Ville : La tour de Bruxelles en automne (2009) telle une moderne et inconsciente tour de Babel si chère à Pieter Bruegel l'Ancien.
Vues de l'exposition © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
1851. Coup de tonnerre en Belgique, dans ce jeune État qui a tout juste 21 ans. Gustave Courbet expose les Casseurs de pierre au Salon de Bruxelles, ébranlant critique et public dans cette description du réalisme, du quotidien. A partir de ce moment, les peintres belges se sentent libérés, tel Charles Degroux travaillant d'une façon souple sa touche. Cette recherche du réalisme initie le paysagisme dans une liberté des couleurs et des lumières, la fugacité, l'atmosphère changeante. Un des fondateurs de cette modernité, Théodore Fourmois (Paysage ardennais) gomme l'anecdotique et le pittoresque de la nature ouvrant la voie à Hippolyte Boulenger (La Meuse à Anseremme) et à l'école de Tervueren dans cette présence des cieux et des nuages, des accords de gris, d'ocre, avec une pointe de rose dans les paysages de bords de mer et de dunes de Louis Crépin ou Louis Artan.
Courbet initie cet intérêt pour le quotidien dans cette vague sociale très forte dès 1850 dans ce pays en plein essor industriel et en fulgurante mutation économique, touchant la classe ouvrière et paysanne (Jan Toorop, Homme travaillant). L'art social, si important dans l'art belge, trouvera son acmé dans la figure prédominante de Constantin Meunier, « le pape de l'art social, selon Claire Leblanc, qui, derrière son travail, va encenser l'effort, le labeur et auquel une grande rétrospective est dédiée cet automne 2014 à Bruxelles » ; son acolyte Eugène Laermans montre le poids de cette mutation économique portée sur les épaules des travailleurs (Retour des champs).
Au tournant du siècle, la capitale de la Belgique devient celle de l'art moderne dans des relations intenses avec Paris dont une des figures clefs sera l'avocat et collectionneur Octave Maus qui fera venir en Belgique des expositions impressionnistes et néo-impressionnistes (Monet, Van Gogh, Seurat et La Grande Jatte), créant successivement le cercle des XX puis La Libre Esthétique. Touche, lumière et expression prédominent chez les peintres belges qui empruntent à l'impressionnisme et au néo-impressionnisme avec, ce qui les caractérise, une totale liberté du pinceau. Qui retenir ? Théo Van Rysselberghe pour son approche irradiante et l'équilibre de la lumière, Émile Claus (présenté d'une façon plus importante à Giverny) à la touche vibrante. Regardez le Portrait de la femme de l'artiste, éclatant dans la recherche de ses blancs, de Georges De Geetere qui s'est sans doute représenté dans le miroir, comme un rappel de la mise en abime de l'atelier.
Simultanément à l'impressionnisme, le symbolisme apparait dont l'univers refuse la fugacité de l'instant et recentre l'esprit sur l'intériorité et le subconscient dans une démarche intellectualisée avec Xavier Mellery, Léon Spilliaert (Intérieur architecturé avec un travail sur l'absence), le sculpteur Georges Minne avec des corps décharnés, sans oublier le « pape » du symbolisme belge : Fernand Khnopff à l'univers éthéré et évanescent. L'apparition du fauvisme à Paris ouvrira également de nouvelles voies en Belgique avec Strebelle ou Frison, dans une volonté de prédominance de la couleur la plus franche et forte possible, recherche de la couleur évoluant vers un expressionnisme flamand sage et classique avec une pièce importante : celle de De Zeearend de Gustave De Smet très composé avec une influence cubiste.
Le surréalisme est un moment fondamental de l'art belge. Comme pour Courbet en 1850, la parution du Manifeste du surréalisme d'André Breton en 1924 ouvre les vannes de ce courant toujours pérenne dans ce pays, créant le trouble chez l'observateur. Magritte est naturellement le poète de ce mouvement dont le musée d'Ixelles sera un des premiers acquéreurs ; pour le remercier, le peintre offrira L'Heureux donateur, détenant tous les codes magrittiens : le nocturne, le chapeau melon, la forme ambiguë du bilboquet. L'humour de la Casserole de moules de Marcel Broodthaers et les objets improbables de Panamarenko (un avant d'avion au fuselage de tissu pour la pièce historique Paradox) prolongent cette veine surréaliste entre laquelle prend place la mouvance CoBrA, privilégiant la gestuelle libre et l'écriture calligraphique.
Se laisser aller vers le réel et s'ouvrir vers la poésie en parcourant cette exposition, dont le fil conducteur est le rapport d'équilibre entre rêve et réalité, avec un dernier regard porté sur Xavier Mary (Modern Industrial Unit) et les biens sages dessins de Jan Fabre (La Falsification de la tête secrète).
Ce musée, riche de plus de 13 000 oeuvres, continue ainsi à collectionner et soutenir avec passion les artistes contemporains belges. « Il manque Berlinde De Bruyckere dont un don potentiel devrait combler l'absence dans ce musée communal au budget d'acquisition de 180 000 euros tous les deux ans mais sans club de mécène pour l'instant » conclut Claire Leblanc.
Vues de l'exposition © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
Inutile en sortant de cette exposition de vous rendre à Bayonne pour visiter le musée Bonnat-Helleu fermé, depuis le 11 avril 2011, pour de très longs travaux (toitures, problèmes récurrents d'infiltrations d'eau). Qu'en sera-t-il de l'agrandissement de ce musée, comme l'écrivait en décembre 1997 le maire de Bayonne Jean Grenet, lors de La donation Jacques Petithory au musée Bonnat, Bayonne et sa présentation au musée du Luxembourg à Paris (cf préface dans le catalogue de cette exposition, 16 décembre 1997-15 mars 1998) ?
Cette institution bénéficie du Plan Musées en régions 2011-2013 annoncé par l'ancien ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand le 9 septembre 2010. Je renvoie à la lecture du communiqué de presse du ministère de la Culture et de la Communication suivant dans lequel il est parlé du musée Bonnat
Un beau et magnifique challenge pour le maire actuel de Bayonne Jean-René Etchegaray qui fut l'adjoint à la culture de la mandature précédente.
Goya, Le Greco, Michel-Ange, Rubens, Puvis de Chavanne, Léonard de Vinci, Dürer, les bronzes de Barye, les deux bronzes de la Couronne ayant appartenu à Louis XIV..., voici quelques unes des richesses des collections de cette institution, parmi les œuvres offertes par Bonnat, Deracagay, Personnaz, Petithory et Helleu. Sans oublier les admirables terres cuites du XVIIIe siècle de la collection Cailleux. En attendant les œuvres de ce musée voyagent et sont présentées au Japon, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aujourd'hui au Louvre-Lens (exposition Les désastres de la guerre 1800-2014 avec le prêt de L'Oublié ! d'Émile Betsellère (Bayonne, 1846 - Bayonne, 1880).
En attendant, vous pouvez vous rendre au beau Musée Basque et de l'histoire de Bayonne visiter l'exposition (jusqu'au 31 août 2014) L'Ombre de l'Empereur ou la guerre oublié 1814, un important épisode de l'histoire de la région. Visite à compléter par la lecture de Bayonne sous l'Empire. Le blocus de 1814 d'Édouard Ducéré, éditions Koeguy.
Gilles Kraemer (déplacement à titre personnel)
L'art belge entre rêves et réalités. Collection du musée d'Ixelles, Bruxelles
28 juin-4 octobre 2014
Espace Bellevue - 64200 Biarritz
Internet : www.biarritz.fr & www.museumvanelsene.irisnet.be/
L'exposition a été présentée, du 9 mars au 1er juin 2014, au musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds en Suisse.
Commissariat général : Claire Leblanc, conservateur du musée communal d'Ixelles. Également commissaire scientifique de l'exposition Bruxelles. Une capitale impressionniste à Giverny, musée des impressionnismes (11 juillet-2 novembre 2014).
Catalogue. 176 pages. Biographie des artistes. Orientation bibliographique. Éditions SylvanaEditoriale. Prix 25 euros.
Bruxelles, une capitale impressionniste
11 juillet – 2 novembre 2014
musée des impressionnismes - 27620 Giverny
Internet : www.mdig.fr/
http://www.lecurieuxdesarts.fr/2014/08/bruxelles-une-capitale-impressionniste-musee-des-impressionnismes-giverny.html
Les musées royaux des beaux arts de Belgique, à Bruxelles, consacreront du 20 septembre 2014 au 11 janvier 2015 une rétrospective à Constantin Meunier. Cet artiste a un musée, situé à Ixelles dans sa maison-atelier.
Pour séjourner à Biarritz, une belle adresse : Villa Koegui, dirigé par Guy Neplaz, également éditeur, organisant dans cet hôtel des rencontres littéraires autour d'un écrivain. http://www.hotel-villakoegui-biarritz.fr/fr/avis-clients-hotel-villa-koegui /
Et à Sare, un des plus beaux villages de France, à quelques kilomètres de Saint-Jean-de-Luz, l'hôtel Arraya, un ancien relais de Saint-Jacques de Compostelle bâti au XVIe siècle, plein de charme et tenu depuis trois générations par la famille Fagoaga. http://www.arraya.com/fr/sare-hotel/hotel-arraya-sare