Retour fugace d'Impression, soleil levant au Havre. Il ritorno di Impression, soleil levant di Claude Monet a Le Havre

Impression(s), soleil. Un, deux, trois... soleil. Ici, au MuMa, ce jeu d'enfants pourrait se décliner jusqu'à 5, de William Turner à Raoul Dufy, des cases de Gustave Le Gray, de Félix Vallotton à celle d'Eugène Boudin. Avec au sommet Impression, soleil levant (1872) de Claude Monet, régnant en maître, parmi toutes les autres courses du soleil que ses confrères peignirent, du levant au couchant.
Quatre semaines au Havre, pas une de plus. Les clauses de prêt, de l'une des icônes de la modernité, par le musée Marmottan Monet sont inflexibles. Pas un jour de plus.
Elle est là, bien présente, accrochée à une cimaise violette parme - pourquoi pas, ce n'est pas la meilleure couleur pour lui, et encore moins avec le jaune pour les deux autres Monet ! - dans ce musée ouvert sur la mer, sur l'immensité. Dans sa lumière naturelle, non loin de l'endroit où elle fut peinte, au 41-45 Grand Quai (actuel Quai de Southampton), depuis l'hôtel de l'Amirauté. Depuis ce lieu a disparu en 1945 sous les bombardements. La compréhension est instinctive en la voyant revenue dans cette ville qui fut un lieu d'expérimentation artistique, un "laboratoire de la modernité" comme le souligne Annette Haudiquet, la commissaire. L'idée conductrice de cette exposition - trente-quatre œuvres - n'est pas de redire ce qui fut mille fois écrit sur Impression, "un cadeau extraordinaire, car c'est une œuvre qui revient sur le lieu où elle fut conçue, après avoir diffusé le nom du Havre dans le monde entier" insiste la commissaire.
Pour cette "toile majeure et vrai défi de cette exposition fugitive", dans ce laps si court de 28 jours, il fallait inventer un nouveau discours en recontextualisant cette œuvre confrontée au paysage inspirant. "C'est comme une comète. Il faudra attendre 145 ans pour bénéficier de ce moment de grâce". Goûtons le.
Il était intéressant de montrer comment cette œuvre n'est pas unique. Le sujet du port industriel est un sujet communément partagé par les artistes de cette fin du 19ème siècle quittant l'atelier, s'intéressant au fugitif, au transitoire, à la modernité chère à Baudelaire. Ceci a permis de réunir d'autres artistes, avec des toiles, des études, des dessins représentant cette ville tournée vers la mer, ce port industriel et de voyageurs, cette cité balnéaire, des sujets de cette ville confrontée aux éléments. Comment ont-ils interprété et représenté dans une rapidité d'exécution cet instant fugace ? Peu importe que le paysage soit reconnaissable, il n'est que le cadre d'une expérimentation pour ces cinq artistes réunis autour de Claude Monet.

Monet toujours dans la quête incessante de la transcription de la lumière comme ceci appert dans son Soleil d'hiver, Lavacourt (vers 1879-1880), cette Seine gelée, au plus profond de l'hiver, dans la cristallisation d'un instant. Ou dans son Parlement de Londres, effet de brouillard (entrepris en 1901 et terminé en 1903), tableau offert en 1911 au Havre, de la série londoniennes présentée chez Durand-Ruel en 1904. Il est tel un clin d’œil du soleil couchant londonien au soleil levant havrais. Ici, l'on est plus dans la peinture jaillissante de 1872 mais dans un instant de restitution de l'appréhension de la lumière.
William Turner (1775 - 1851), il était normal qu'il soit présent. Monet découvrira lors de son séjour londonien les gouaches et aquarelles de ce peintre, à la National Gallery, exposées non loin des toiles d'un autre peintre de ports, le sublime Claude Gellée dit Le Lorrain (1604/1605-1682), le maître des impalpables ambiances. Le britannique fut le premier à insuffler une représentation moderne au port du Havre, en 1832, dans l'usage rapide des notatios grâce à l'aquarelle. Comme Monet, il s'installera dans un hôtel sur le Grand quai pour livrer un site identifiable mais réinventé de fantaisies d'interprétation.
Gustave Le Gray (1820 - 1884), le photographe venu au Havre en 1856. Ce peintre de formation deviendra "un sorcier" de la photographie en inventant le subterfuge de photographier séparément le temps fugitif du ciel et le paysage pour combiner les deux négatifs dans la recomposition d'un nouveau paysage, un paysage collage : Phare et jetée du Havre ou Le Soleil au zénith - Océan n°22, Normandie. Le Gray présenta ses photographies dans les vitrines des photographes du Havre. Le jeune Monet ou Eugène Boudin les virent-ils ? C'est possible.
De Eugène Boudin (1824-1898), à côté de ses huiles de 1882 - 1885 figurant le port ou l'un des bassins du Havre l'on retiendra, notre œil contemporain les préférant, les notations en virgule, rapides, fugaces, dynamiques, peintes sur des petites planches de bois, de ses impressions dont Étude de ciel sur le bassin d'un port (1888-1895), une captation du fugitif phénomène. De Raoul Dufy (1877-1953), le dernier peintre présenté, Cargo noir (1948) termine ce parcours. Son Port du Havre (1906), tableau tout en hauteur, vue sur la ville depuis un appartement, est un instant arrêté alors qu'Effet de soleil sur l'eau à Sainte-Adresse (1906) retranscrit une journée élargie, le soleil semblant briller en permanence.

Mais que le jaune général et unitaire des cimaises est difficile. Si sa conjugaison avec les tirages sur papier albuminé de Gustave Le Gray s'avère heureuse, cette couleur "mange" les deux Félix Valloton, Coucher de soleil, brume jaune et gris (1913) et En rade du Havre (1918), deux merveilles de collections privées. Des zones de couleurs, des graduations, des immensités, un calme, une luminescence, un effleurement de la toile. N'y manque plus que le rayon vert.

Uniquement pour ces deux splendeurs, le voyage du Havre se révèle une nécessité au même titre que voir, enfin, Claude dans les lumières de sa naissance. Luminosité changeante possible puisque le MuMa se met à l’heure de cette étoile, restant ouvert du lever au coucher du soleil. Un motif de plus pour goûter ce rare moment de bonheur. Et, d'y ressentir, pour les plus chanceux, le syndrome stendhalien de l'émotion pure.
Gilles Kraemer
Impression(s), soleil
10 septembre - 8 octobre 2017
Le MuMa est ouvert, exceptionnnellement 7 h 30 à 20h 30, pour suivre la courbe du soleil
MuMa - Le Havre Musée d’art moderne André Malraux - 76600 Le Havre
muma-lehavre.fr
Catalogue. Impression(s), soleil. Textes d'Annette Haudiquet, Sylvie Aubenas, Michaël Debris, Marina Ducrey, Sophie Krebs, Marianne Mathieu, Cyril Neyrat, Isolde Pludermacher et Ian Warrell. 224 pages, 130 illustrations. Coédition MuMa, Le Havre / Somogy éditions d'Art. Prix 29 €
En marge de l’exposition, le MuMa présente une œuvre de ses collections : le film de Sylvestre Meinzer, Au service des nuages. Tourné au Havre en 2013, cette vidéo couleur en 7 tableaux, 23 mm, témoigne de la permanence de l’intérêt des artistes pour l’univers portuaire havrais et interroge l’héritage esthétique de la peinture impressionniste, de l’histoire de la photographie et du cinéma. Dans le catalogue, texte de Cyril Neyrat Voir le présent avec les yeux de l'origine.