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LE CURIEUX DES ARTS

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Curieux des arts, observateur de l'actualité artistique. Focus sur l'Italie. Exposition. Musée. Opéra. Théâtre. Musique. Festival. Livre. Biennale. Salon. Marché de l'art. Entretien.


Le Rouge et le Noir siéent à Iphigénie en Tauride – Opéra-Comique

Publié par Gilles Kraemer sur 4 Novembre 2025, 20:00pm

Catégories : #Opéra et Musique

 

Gilles Kraemer

générale 31 octobre 2025

 

Il n’y a qu’un seul beau morceau dans l’Iphigénie en Tauride, c’est l’ouvrage entier » Le Mercure de France, 5 juin 1779.

C’est une version fascinante, hallucinante, offerte par le metteur en scène et écrivain Wajdi Mouawad, de cet opéra composé par l’allemand Christoph Willibald Gluck, le protégé de Marie-Antoinette. Voix pertinentes, direction musicale de rêve. Pour une quadrature du cercle dans un syndrome stendahlien dès la première mesure.

Tamara Bounazou (Iphigénie), Theo Hoffman (Oreste) ©© Stefan Brion. 

Des images sensibles, bouleversantes saisissant l’œil et le cœur, dans ce sublime tragique, dans les lumières noires, grisées, bleutées, rougeoyantes d’Éric Champoux coupées au cordeau, plutôt au couteau sacrificiel. Ce noir et ce rouge sang siéent au sanglant héritage des Atrides où victime et auteur de la violence sont les mêmes. Atrée, petit-fils de Tantale et grand-père d’Iphigénie, Atrée digne descendant dans l'abjection de son grand-père qui égorgea son fils Pélops avant de le servir en repas aux dieux. Iphigénie, arrière-arrière-petite-nièce de la déesse Diane /Artémise fille de Jupiter /Zeus. Dans un monde où dieux et mortels se rudoient, où la malédiction règne, où l’on attend le pardon divin de sa propre faute ou de celle de ses aïeux.  

Un peu compliquée cette histoire d’Iphigénie. Au moment d’être sacrifiée en Aulide par son père Agamennon, elle est sauvée par Diane qui la transporte en Tauride dans son temple. Son père est assassiné par son épouse Clytemnestre qui sera occise par son fils Oreste avec la complicité de sa sœur Electre. Fuyant Mycènes, Oreste arrive en Tauride avec son cousin Pylade, moment où l’opéra débute.

Wajdi Mouawad © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, automne 2025.

Pour les regardeurs, plus dans l’image que dans le contenu, du waouh que dans la lecture de l’Illiade, de Sophocle ou d’Euripide, Wajdi Mouawad, dans sa note d’intention du livret conscient du renversement que trois décennies ont produit […]. Là où l’histoire d’Ulysse était à la portée de tous, on en a fait une relique, papillon cloué sur sa planche entomologique - disons plutôt appauvrissement continuel de la culture générale vers l’abêtissement égalitaire – a souhaité un prologue façon « Iphigénie en Tauride pour les nuls » en substituant à l'ouverture originale celle d’Iphigénie en Aulide composée en 1774 par Gluck pendant que sont projetées des antiquités grecques, des cartes, des peintures modernes, replaçant cette histoire dans un temps historique – était-ce au XIIe siècle avant J.-C. ?- et, peu le savent, en précisant que la Tauride, habitée selon les grecs anciens par des barbares, est la presqu’île de la Crimée. Renvoi à la guerre actuelle Russie/Crimée par l’insistance d’une photographie d’une colonne de chars blindés en Crimée, rappel didactique.

Jean-Fernand Setti (Thoas), Philippe Talbot (Pylade), Theo Hoffman (Oreste) © Stefan Brion.  

Lui succède une saynète de Wadji Mouawad – cassant l’opéra, pourquoi pas – replaçant les protagonistes dans un musée ukrainien, dans une discussion très actuelle autour de la restitution de biens culturels volés et d’une peinture en camaïeu de rouges – d’Emmanuel Clolus - figurant le sacrifice d’Iphigénie – peinture entourées de poches de transfusion sanguine. Très influence Christian Boltanski (1944-2021) plasticien du travail sur la mémoire cette toile, influence se retrouvant lorsque les prêtresses déposeront en tas leurs manteaux, très Monumenta 2010 dans un Grand Palais hivernal glacial.

Dans une scénographie d’Emmanuel Clolus, le mur noir de l’autel sacrificiel, l’unique élément de décor, dans l’imminence d’actuelles et futures immolations, se couvre peu à peu du sang de quatre victimes, sacrifices humains décrétés par le souverain Thoas. Un mur sanguinolant qui ne cesse d’avancer et de reculer, dans l’enfermement des hautes parois noires qui se devinent. Lieu où s’entrechoquent les passions, les violences, les morts, les retrouvailles. Des images entées dans le cœur et la rétine à l’issue de cette représentation couverte de brava, bravo, bravi.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, automne 2025.

Jean-Fernand Setti (Thoas), Tamara Bounazou (Iphigénie), chœur Les éléments © Stefan Brion. 

A la tête de Le Consort, 43 musiciens dans la fosse qui a peine à les contenir, Louis Langrée – partageant la direction avec Théotime Langlois de Swarte, co-fondateur de cet ensemble -. Osmose parfaite, dosage savant pour ce chef dirigeant sa quatrième production de cette tragédie. Tout est dans la perfection, l’équilibre, le jaillissement, sans aucun faiblissement, de l’ouverture fougueuse à l’ultime note émotionnelle. Une sobriété s’intégrant dans cette tragédie lyrique de la terreur. Habitué du plateau du Comique, le chœur Les éléments, surtout celui des prêtresses, primordial dans l’action, soutenant en permanence Iphigénie, dans une connexion viscérale avec la fille d’Agamemnon, mêlant leurs cris plaintifs à ses gémissements.   

Tamara Bounazou (Iphigénie) © Stefan Brion. 

Tamara Bounazou, L’Iphigénie, LA belle révélation de la soirée. Adoptée sous des applaudissements jusqu’à l’émotion. Ce soir, l’Opéra-Comique fut aux pieds nus de la soprano foulant pour la première fois cette scène. Comme si elle avait toujours été revêtue des habits de la prêtresse de Diane imaginés par Emmanuelle Thomas, elle ne pouvait qu’être digne dans la terreur de la terre des Scythes, le royaume de Thoas aux barbares lois. Tragédienne, diction parfaite, chaque mot disséqué dans Je ne pourrai du tyran tromper la barbarie, ampleur, dans l’émotion la plus pure d’Ô malheureuse Iphigénie ! / Ta famille est anéantie ! un temps suspendu dans les octosyllabes puis les deux alexandrins qui leur succèdent de Nicolas-François Guillard – il ne faut jamais oublier de citer le librettiste -. Tristesse lorsqu’elle songe à sa famille. Jusqu’au cri salvateur Mon frère !... Oreste !....

 

Theo Hoffman (Oreste), chœur Les éléments © Stefan Brion.

Theo Hoffman / Oreste, lui aussi nouveau sur ce plateau. Dans une interprétation physique, assailli par les remords, jusqu’à se mettre à nu, au sens physique et acte qu’il a voulu en chantant nu, entouré par les Euménides, son air de la folie, dans la voix du cœur, dans la souvenance de son matricide.

Jean-Fernand Setti (Thoas), Tamara Bounazou (Iphigénie), Philippe Talbot (Pylade) © Stefan Brion.

Philippe Talbot (Pylade), Theo Hoffman (Oreste), chœur Les éléments ©  Stefan Brion. 

A ses côtés, son double dans l’adversité, Philippe Talbot / Pylade, émouvant lorsqu’il tente de consoler son cousin, implorant lorsqu’il veut se substituer à lui, dans la justesse de l’émotion. 

Jean-Fernand Setti (Thoas), Tamara Bounazou (Iphigénie), chœur Les éléments © Stefan Brion.

Thoas, à la forte stature physique, est Jean-Fernand Setti, dans son rôle tout en puissance du tyran où toute émotion est à bannir face à ceux qui surviennent dans son royaume, donc promis obligatoirement à la mort qu’il confie à Iphigénie de perpétrer.

Fanny Soyer, Léontine Maridat-Zimmerlin et Lysandre Châlon complètent cette distribution 100 % victorieuse. 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, automne 2025.

Christoph Willibald Gluck, Iphigénie en Tauride, tragédie lyrique en quatre actes, livret de Nicolas-François Guillard. Représentée pour la première fois à l’Aadémie royale de musique (Paris) le 18 mai 1779.

Le spectacle débute avec l’ouverture d’Iphigénie en Aulide

Opéra-Comique - Paris - 2, 4, 6, 8, 10 et 12 novembre 2025

direction musicale   Louis Langrée (2, 4, 6 novembre) //   Théotime Langlois de Swarte (8, 10, 12 novembre)

orchestre  Le Consort  //  chœur  Les éléments

mise en scène et texte  Wajdi Mouawad

dramaturgie  Charlotte Farcet

scénographie et création du tableau Le sacrifice d’Iphigénie  Emmanuel Clolus                                          

costumes, coiffures, perruques, maquillages  Emmanuelle Thomas

chorégraphie Daphné Mauger  //  lumières  Éric Champoux

 

Iphigénie  Tamara Bounazou soprano

Oreste  Theo Hoffman baryton

Pylade  Philippe Talbot ténor

Thoas  Jean-Fernand Setti basse-baryton

Diane / deuxième prêtresse  Léontine Maridat-Zimmerlin mezzo-soprano

une femme grecque /  première prêtresse  Fanny Soyer soprano

un scythe / un ministre du sanctuaire  Lysandre Châlon baryton

comédien Anthony Roullier

voix annonce du musée Daria Pisareva

Production Théâtre national de l’Opéra-Comique - Coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Opéra du Capitole – Toulouse Métropole

Un conseil, acheter le livret, une pépite de renseignements sur Iphigénie et une façon de (re)visiter ses classiques sans (re)lire Les Belles Lettres.

 

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