Gilles Kraemer
Une pyramide de fruits, celle du Panier des fraises des bois de Chardin, jamais n’abolira le hasard, un peu provoqué cependant, d’une rencontre avec d’autres tableaux de la collection des Marcille au Musée des Beaux-Arts d'Orléans.
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Jean Siméon Chardin, Le Panier de fraises des bois, 1761. 38 x 46 cm.. Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Enfin. Seulement pendant quelques semaines, Le Panier de fraises des bois (1761) de Jean Siméon Chardin (1699-1779) revient à Orléans pour retrouver d’autres Chardin. Acquis par le musée du Louvre grâce à un très très large apport de mécènes, pour une somme plus que rondelette en louis XV sonnant et trébuchant, cette institution le prête exceptionnellement au Musée des Beaux-Arts d’Orléans. Grâce à la pugnacité d’Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans – en décembre 2025, elle fêtera ses 10 années orléanaises, ayant réussi à faire de cette institution une étape reconnue, de connoisseurs et de très nombreux historiens de l’art, pour la rigueur scientifique mais grand public de ses expositions, ses accrochages renouvelés, secondée par Corentin Dury – la découverte du Guido Reni d’Orléans c’est lui – et de Maehdi Korchane, responsable de la conservation des arts graphiques. Elle a réussi, in extremis, après sa présentation au Louvre Lens, à Clermont-Ferrand, à Brest à obtenir une étape supplémentaire à Orléans. " A cœur aimant, rien d’(im)possible, il suffit d’ôter le im " me disait souvent la grande galeriste (1 mètre 58) Suzanne Tarasiève. (1)
Et sous l’œil plus que bienveillant de l’homme à l’écharpe rouge, Pierre Rosenberg, à qui rien ne peut se refuser.
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Olivia Voisin © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Cette peinture, encore en mains privées à l’époque - celles des descendants d’Eudoxe Marcille (1814-1890) qui fut directeur du musée d’Orléans (1870-1890) alors que son frère Camille (1816-1875) fut conservateur du musée de Chartres (1862-1875), tous deux fils de François Martial (1790-1856), collectionneur de 4 500 œuvres dont 30 Chardin - fit la couverture du catalogue de l’exposition Chardin au Grand Palais, en 1979, commissariat de Pierre Rosenberg. Comme quoi, il n’y a pas que Nicolas Poussin chez ce membre de l’Institut, président directeur honoraire du musée du Louvre – il vient de publier le catalogue raisonné de l’œuvre peint de Poussin cet automne -. Chardin figure en très bonne place dans son panthéon pictural.
Les Fraises faillirent partir en terre étasunienne. Passées en vente le 23 mars 2022 chez Artcurial Paris, adjugées 20,5 millions d’euros, soit 24,381 400 euros frais compris au galeriste américain Adam Williams agissant pour le compte du Kimbell Art Museum de Fort Worth, au Texas.
Classé trésor national par le ministère de la Culture donc refus du certificat d’exportation et le temps de réunir l’argent nécessaire à son acquisition, encore une fois le mécénat dont celui très important de LVMH apportant exceptionnellement les deux tiers de la somme.
Retour à la nature morte chez Chardin. Ce qui l’intéresse, ce sont les volumes. " Manet, Cézanne l’ont vue, ont regardé le cône de fraises, le cylindre du verre, le jeu de la lumière avec les deux œillets qui fait basculer la composition " précise, passionnée, Olivia Voisin, en présentant les six Chardin réunis.
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Réunis exceptionnellement, les six Chardin des Marcille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
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Jean Siméon Chardin, La Fontaine, ca 1740. Huile sur toile, agrandie d’une bande 10,5 cm. dans la partie supérieure 50 x 43 cm. (dimensions actuelles) ; 39,5 x 43 cm. (dimensions originales). Probablement vente Jean-Denis Lempereur (1701-1779), Paris, 24 mai 1773, lot 96. Probablement vente Jacques Augustin de Silvestre (1719-1809), Paris, 2 mars 1811, lot 12. Vente Marie-Antoine Didot (?-1835), Paris, 28 décembre 1819, lot 23. Vente vicomte Emmanuel d'Harcourt (1774-1840), Paris, 31 janvier-2 février 1842, lot 15. Collection François Marcille (1790-1856) depuis au moins 1848; puis par descendance à son fils. Collection Eudoxe Marcille (1814-1890) depuis 1856 jusque 1890 ; puis par descendance aux actuels propriétaires. Collection particulière. Prêt exceptionnel au musée des Beaux-Arts d’Orléans depuis mars 2024 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Sa vente chez Christie’s Paris le 22 novembre 2021 fut un événement où elle fut acquise 7 110 000 € sur une estimation de 5,000,000 - 8,000,000.
Sensible à l’histoire d’Euxode Marcille avec le musée d’Orléans, son propriétaire " Robert de Singapour " comme le nomme Olivia Voisin, collectionneur d’art contemporain, a accepté de le laisser en dépôt au musée jusqu’à l’été 2026, après l’avoir fait restaurer par le Metropolitan Museum de New York.
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Jean Siméon Chardin, L’Économe (esquisse), ca 1745. Descendants Famille Marcille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Cette rare esquisse fait partie des douze ébauches restées dans l’atelier de Chardin à sa mort. Elle est préparatoire à la commande qu’il reçoit en 1745 de deux tableaux de genre pour la futire reine Louise Ulrike de Suède. Elle fut rachetée par Euxode Marcille dans la vente après décès de son père. Rareté de cette esquisse, Chardin se détournant à partir de 1740 de la nature morte pour se consacrer à la figure.
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Jean Siméon Chardin, Huit enfants jouant avec une chèvre, vers 1731-1732. Descendants Famille Marcille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Cette huile sur toile est passée à la mort de François Marcille dans la collection d’Euxode.
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Jean Siméon Chardin, Nature morte avec chaudron, poêlon, fourneau, torchon, chou, deux œufs, poireau, pain et trois harengs, vers 1731-1733. Amiens, Musée de Picardie. Ancienne collection François puis Camille Marcille. Cette huile sur toile fut léguée par les frères Olympe et Ernest Lavalard en 1892 à Amiens // Jean Siméon Chardin, Nature morte avec un quartier de côtelette posé sur une serviette à liteau, une cruche, deux oignons, une écumoire, un chaudron de cuivre et un égrugeoir, 1732. Institut de France, Musée Jacquemart-André. Ancienne collection François jusqu’en 1857 puis Camille Marcille jusqu’à sa vente, après décès en 1876. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Ces deux peintures attirèrent les regards de Manet, Cézanne et Picasso.
Encore une belle histoire, un cas de l’histoire de l’art que cette exposition montée avec pugnacité. Olivia Olivia ayant réussi, par ce tour de force, l’un de ses rêves : celui de réunir pendant quelques semaines cinq Chardin des Marcille qui retrouvent " leur sixième copain " : Les Fraises du Louvre desquelles ils avaient été séparés.
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Au second plan Diego Velázquez, Saint Thomas, ca 1618-1622. Huile sur toile. 94 x 73 cm.. Dans un dialogue avec Jusepe de Ribera, Saint Philippe, ca 1635. Huile sur toile. 95,5 x 69 cm.. Galerie Maurizio Nobile, biennale de Florence en 2015 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2025, Orléans.
Olivia Voisin me fait songer à la gourmandise de notre cher regretté Ger Luijten, face à une nouvelle acquisition, vous prenant par le bras à TEFAF, à feu Paris Tableau, à feu Biennale des antiquaires et vous disant : " Regarde, je viens de l’acquérir pour Custodia ou M. X vient de l’acheter pour nous l’offrir." Me prenant par le bras, elle m’amène devant Saint Philippe de Jusepe de Ribera. " Vois-tu, ce tableau, son propriétaire Didier Malka voulait le proposer initialement à la TEFAF. Visitant Orléans, il a voulu qu’il y reste. Pas en prêt. Pour toujours. Depuis 2022. "
Comme le précise Corentin Dury, " le musée des Beaux-Arts d’Orléans […] n’aurait pu voir le jour et se développer durant deux siècles sans la participation active des collectionneurs et des artistes ou de leurs proches. " (2) Comme le souligna également Pierre Rosenberg, dans le catalogue de l’exposition orléanaise de la Collection Motais de Narbonne, revenant sur les liens entre collectionneurs et institutions muséales, " cette complicité heureuse et plus que jamais indispensable entre collectionneurs et musées " : Pourquoi les musées ont-ils besoin (plus que jamais) des COLLECTIONNEURS (et réciproquement) ? (3)
Personne ne résiste à Olivia Voisin, spécialiste au regard aigu du XIXème siècle, d’Achille et Eugène Devéria. Dans les pas du comte André Gaspard Parfait de Bizemont sachant mobiliser collectionneurs et amateurs. Entre 1824 et 1831, ce sont plus de 700 œuvres et objets qui sont offerts, amorçant une dynamique orléanaise qui n'a depuis jamais cessé. Dans les pas d’Euxode Marcille.
Sa prochaine exposition sera consacrée à L'art de transmettre. La collection Antoine Béal. A travers cette invitation, ce n'est pas seulement le parcours d'un collectionneur qui est célébré mais aussi sa générosité. Nombre de ses tableaux a déjà été donné en pleine propriété ou sous réserve d'usufruit aux institutions muséales. Pour la première fois, sa collection de 60 tableaux est révélée au public, dans son intégralité. A Orléans, il a offert trois tableaux. (4)
Une œuvre de Gregorio de Ferrari offerte par Héléna et Guy Motais de Narbonne au musée des Beaux-Arts d'Orléans en 2018.
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Regard de Johan Creten sur l'exposition Guido Reni // Collaborateur de Guido Reni. Avec des ritochi de Guido Reni ?, Judith tenant la tête d'Holopherne. Chartres, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, Dans l'atelier de Guido Reni, printemps 2024.
Johan Creten offre dix dessins au musée des Beaux-Arts d’Orléans en 2025.
Une passion orléanaise. Les Chardin des Marcille
9 septembre 2025 – 11 janvier 2026
Musée des Beaux-Arts d’Orléans
Commissariat : Olivia Voisin
L’exposition bénéficie des prêts exceptionnels du Musée du Louvre, de l'Institut de France, Musée Jacquemart-André, du Musée de Picardie, d'un collectionneur privé et des descendants Famille Marcille.
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(2) Peintures françaises et italiennes XVe - XVIIe siècles. Musées d’Orléans. Sous la direction de Corentin Dury, dont les contributions de Véronique Damian, Mathieu Deldique, Guillaume Kazerouni… . 512 pages. Éditions Snoeck. 2023. Prix 45 € (en service de presse).
(3) De Vouet à Boucher. Au cœur de la collection Motais de Narbonne. Peintures françaises et italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles - 15 septembre 2018 - 13 janvier 2019
(4) L'art de transmettre. La collection Antoine Béal. Naturellement avec un catalogue. 15 novembre 2025-29 mars 2026.
Conférence d’Olivia Voisin autour des Marcille jeudi 20 novembre à 18h.
Où séjourner à Orléans et cela ne s’invente pas ? Aux Trois maillets, deux chambres d’hôtes, une demeure qui fut celle de François puis de… Euxode Macille. Incroyable…
https://les-trois-maillets.loire-valley-hotels.com/fr/
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© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, automne 2025.
L'Ombre et la Grâce. Souvenirs du Monde flottant
Hôtel Cabu – Musée d’histoire & d’archéologie
20 septembre 2025 - 8 mars 2026
En s’appuyant sur la richesse des collections de dix musées de la région Centre-Val de Loire et de trois collections privées, avec 88 objets, l’Hôtel Cabu ouvre la saison culturelle asiatique à l’échelle régionale, appelée à se déployer jusqu’en 2027. À cette occasion, les institutions du réseau Musées en Centre-Val de Loire collaborent pour valoriser leurs collections chinoises et japonaises : les musées d’Orléans présentent, pour la première fois depuis 1901, une série unique en France, d’Utagawa Kuniyoshi ! L’exposition L’Ombre et la Grâce. Souvenirs du Monde flottant est une immersion dans le Japon de l’époque Edo (1603-1868).
Commissariat : Mathilde Rétif
Exposition sous le patronage de l’ambassade du Japon en France.