Gilles Kraemer
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, … Joachim du Bellay (1558). C’est chose faite aujourd’hui pour Ulysse, même s’il ne rejoint ni le Loire gaulois, ni mon petit Liré, ni la doulceur angevine mais l’Île-de-France et Fontainebleau comme se plait à le souligner Marie-Christine Labourdette, présidente de l’Établissement public du château de Fontainebleau en présentant cette peinture.
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Yagi Yuzo, Marie-Christine Labourdette, Muriel Barbier. Présentation presse de la donation du Ruggiero de Ruggieri © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
Œuvre capitale de Ruggiero de Ruggieri (Bologne, Italie 1540 - 1596-97 Fontainebleau) et du maniérisme bellifontain, Ulysse affrontant les sirènes et traversant le détroit de Charybde et Scylla ou Ulysse et les sirènes gagne les collections nationales et le château de Fontainebleau grâce au mécénat exclusif du groupe japonais Yagi Tsusho Limited et de son président Yagi Yuzo. Dans la corbeille un cadeau de 1 110 000 €.
À l’automne 2023, passait sur le marché de l’art ce tableau d’exception, essentiel pour la compréhension du château de Fontainebleau et pour l’histoire de la peinture européenne au XVIème siècle. Au départ, l’acquisition de cette œuvre devait être rendue possible grâce aux crédits propres de l’Établissement public du château de Fontainebleau (600 000 €), la contribution du Fonds du Patrimoine (400 000 €) et les bénéfices espérés de la souscription portée par la dynamique association des Amis du château de Fontainebleau (100 000 €). (1)
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Ruggiero de Ruggieri in situ © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
Le tableau acquis grâce au mécénat exclusif de Yagi Tsusho Limited, les 25 000 € réunis par les Amis du château ont généreusement permis de prendre en charge sa présentation ainsi que celle de deux autres toiles de Ruggiero de Ruggieri que possède Fontainebleau. Elles sont réunies toutes trois dans l’ancien appartement de Prosper Mérimée.
Peinte pour le château de Villeroy, cette œuvre reproduit une scène de la galerie d’Ulysse du château de Fontainebleau, galerie nommée la « grande galerie », reflétant sa longueur exceptionnelle de 155 mètres. Commencé à partir de 1536-1537, le gros œuvre de la galerie était achevé en 1546. Les peintres et stucateurs étaient à l’œuvre mais à la mort de François Ier, en 1547, le décor était encore loin d’être terminé. Seule la voûte ornée de scènes mythologiques et de frises de grotesques avait été peinte et couverte de stucs. Les travaux reprirent en 1555-1556 et s’achevèrent sous le règne de Henri IV. Ils furent dirigés, jusqu’à sa mort en 1570, par Francesco Primaticcio dit le Primatice (1503-1570) qui avait livré l’ensemble des dessins préparatoires. Vingt-neuf compartiments répartis sur les parois montraient cinquante-sept scènes de l’épopée d’Ulysse pour rejoindre Ithaque, scènes reprenant L’Odyssée du poète grec Homère. Des dessins préparatoires de Primatice sont conservés dans de nombreuses collections publiques comme celles du musée du Louvre, de l’École nationale supérieure des beaux-arts, du Nationalmuseum de Stockholm ou du musée de l’Albertina à Vienne.
De cette galerie plus rien ne subsiste aujourd’hui. Elle fut totalement détruite à partir de 1739 lorsque Louis XV décida de la faire reconstruire intégralement par Jacques V Gabriel pour créer de nouveaux appartements.
Theodoor Van Thulden (1606-1669) d’après Primatice et Niccolo dell’Abate, Ulysse affrontant les sirènes et traversant le détroit de Charybde et Scylla, 1633, gravure à l’eau forte Ulysse et les sirènes. Ulysse passe le détroit de Scylla et Charybde. | Gallica
En 1633, lors de son voyage à Paris, le peintre anversois Theodoor van Thulden (1606-1669), élève de Rubens, entreprit de graver la totalité du cycle peint de la galerie d’Ulysse. Recueil gravé et publié à Paris en 1633.
Parmi les copies faites de la galerie d’Ulysse, retenons la galerie du château de Villeroy, dans l’Essonne où nous retrouvons Ruggiero de Ruggieri. Arrivé en France en 1557, originaire – comme Primatice – de Bologne, il travailla sur les chantiers bellifontains. Il fut sollicité en 1569 par Nicolas IV Legendre, secrétaire des finances de Charles IX pour orner la galerie de son château de Villeroy. Le peintre réalisa dix tableaux peints à l’huile sur toile reprenant très exactement les plus étonnantes compositions des parois de la galerie d’Ulysse. Le décor de la galerie de Villeroy ne résista pas aux changements de goût : les tableaux furent remisés au XVIIIème siècle puis, après leur vente, vinrent orner la galerie du château de Fontenay à Saint-Marcouf (Cotentin). Occupé pendant la Seconde Guerre mondiale, ce château fut bombardé lors de la Libération en juin 1944. Seules quatre œuvres réchapèrent de l’incendie, l’une d’elle est aujourd’hui disparue.
Les trois autres ont rejoint les collections du château de Fontainebleau, déposées par leur propriétaire, le comte de Germiny, de 1952 à 1982. (2)
En 1995, ses héritiers les mettent en vente. L’État français acquiert Ulysse à Ithaque, Le jeu de l’arc et Ulysse protégé par Mercure des charmes de Circé mais ne peut se positionner sur le troisième tableau. Ce dernier ressurgit en 2023, au musée national de la Renaissance (Écouen) lors de l’exposition Antoine Caron, Le théâtre de l’histoire (5 avril-3 juillet 2023).
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Ruggiero de Ruggieri (1540 – 1596-97), Ulysse protégé par Mercure des charmes de Circé, 1569. Huile sur toile. H. 152 cm ; L. 209 cm. © Grand Palais RMN.
Ulysse, qui cherche à regagner son île d’Ithaque vient d’accoster sur l’île d’Aea, où lui et ses compagnons sont accueillis par une magicienne, Circé, capable de transformer les hommes en animaux. On voit sur le tableau, plusieurs compagnons du héros déjà changés tandis que le dieu Mercure, en bas à gauche derrière une colonne, apporte son aide à Ulysse en lui confiant des herbes magiques destinées à le protéger du poison de la magicienne. À droite, Circé invite le héros à sa table et lui tend une coupe empoisonnée. Son piège s’avère inefficace et on la voit, effondrée aux pieds d’Ulysse à l’arrière-plan de l’œuvre. Le conflit s’éteint amoureusement, Ulysse et Circé sont représentés enlacés sur un lit situé en haut à gauche de la composition. Circé a su séduire le roi, qui restera une année complète sur l’île avant de partir. // Expositions : 2004, Paris, Musée du Louvre, Primatice, maître de Fontainebleau. // 1998, Château de Fontainebleau, Peintures pour un château. Cinquante tableaux (XVIe – XIXe siècle) des collections du château de Fontainebleau.
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Ruggiero de Ruggieri (1540 – 1596-97), Ulysse et les sirènes, 1569. Huile sur toile. 1,51 x 2,08 cm. © Grand Palais RMN.
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Ruggiero de Ruggieri, Ulysse (détail) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
La scène illustre deux épisodes successifs du chant XII de L’Odyssée d’Homère. Après avoir quitté la magicienne Circé, Ulysse et son équipage affrontent successivement le péril des Sirènes, dont les chants charment et perdent tous les mortels, puis les deux écueils, Charybde et Scylla. Afin de ne pas succomber aux voix ensorcelantes des sirènes – dont l’on voit trois représentations, sans que leurs queues ne soient représentées -, Ulysse ordonne à ses compagnons de se boucher les oreilles avec de la cire. Mais le souverain d’Ithaque, ne souhaitant rien perdre de leurs chants mélodieux, demande à être lié au mât de son navire, s’abstenant de boucher ses oreilles. Envoûté par leurs voix séductrices, il voudrait qu’on le délivre pour mieux jouir de leurs chants, mais Euryloque et Périmède resserrent ses liens.
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Ruggiero de Ruggieri, Ulysse (détail) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
Pour franchir la seconde épreuve – figurant dans une lecture vers la droite -, suivant les conseils de Circé, il décide de se méfier davantage de Charybde (violent tourbillon marin) que de Scylla. Alors Scylla, monstre à six têtes, enfoncé à demi dans la roche, lui prend six de ses hommes et les dévore.
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Ruggiero de Ruggieri (1540 – 1596-1597), Ulysse à Ithaque. Le jeu de l’arc, 1569. Huile sur toile. H. 146, 5 cm ; L. 202, 5 cm. © Grand Palais RMN.
Ce tableau reproduit la trente-neuvième composition du programme élaboré par Primatice. Alors qu’Ulysse a regagné Ithaque, après un périple de vingt ans, il s’apprête à retrouver son épouse Pénélope qui, pourtant si fidèle, a fini par se laisser convaincre d’épouser celui de ses nombreux prétendants qui remportera une épreuve d’agilité de la plus grande difficulté. Les candidats doivent décocher une flèche issue de l’arc d’Ulysse et la faire passer dans des anneaux provenant du métier à tisser de Pénélope, symbole même de sa fidélité envers Ulysse.
Et, sans même quitter son siège, il visa droit au but. // La flèche à la pointe d’airain, passant de hache en hache, // S’engagea par un trou et ressortit à l’autre bout // Sans en manquer aucune...
Au premier plan, Ulysse, déguisé, est sur le point de remporter la compétition. Derrière lui, Minerve préside à l’épreuve, tandis qu’à droite, le fils du couple, Télémaque, assiste à la scène. À l’arrière-plan, Pénélope et une de ses suivantes regagnent leurs appartements à l’étage. // Expositions : 2005, Bologne, Palazzo di Re Enzo e del Podestà, Primaticcio (1504-1570). Un Bolognese alla corte di Francia. // 2004, Paris, Musée du Louvre, L’Italie à la Cour de France. Primatice, maître de Fontainebleau. // 1998, Château de Fontainebleau, Peintures pour un château. Cinquante tableaux (XVIe – XIXe siècle) des collections du château de Fontainebleau.
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Marie-Christine Labourdette et Yagi Yuzo © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
Ce mécénat exclusif de l’entreprise Yagi Tsucho Limited est porté par son président, président du Conseil d’Administration et directeur général Yagi Yuzo (nom précédant le prénom).
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Muriel Barbier © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fontainebleau, 30 septembre 2025.
(1) Ce texte trouve largement son inspiration dans le bulletin n°46, septembre 2024, de l’association des Amis du Château de Fontainebleau, article rédigé par Muriel Barbier, conservateur en chef du patrimoine, directrice du patrimoine et des collections du château de Fontainebleau depuis juin 2023. Nous remercions également Gérard Tendro, président des amis.
https://www.amischateaufontainebleau.org/le-bulletin-n-46-est-en-ligne/
(2) Ruggiero de Ruggieri Ulysse protégé par Mercure des charmes de Circé. Ancienne collection de Germiny, autrefois au château de Fontenay dans la Manche, puis déposé par le comte de Germiny à Fontainebleau de 1952 à 1982 (avec deux autres toiles de la même série). Vendu par ses héritiers à l'hôtel Drouot le 22 novembre 1985 (Mes E. Libert et A. Castor, n°66, repr. Non vendu). Acquis par préemption en vente publique le 29 novembre 1995 ; Entrée à Fontainebleau le 19 décembre 1995 ; restauré de 1996 à 1998
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/50130000536
https://agorha.inha.fr/ark:/54721/cd432e18-c131-4578-b1c2-7a4544fa2790
Le tableau est présenté, avant restauration, dans le parcours palatial avec les deux seules autres toiles de Ruggiero de Ruggieri connues et inspirées de la galerie d’Ulysse.
30 mai au 31 décembre 2025 - Château, appartement Prosper Mérimée
Fontainebleau est membre de l’association des Résidences Royales Européennes.
Prochaine exposition : Marie-Antoinette et Louis XVI. Luxe et fêtes à Fontainebleau. Du 11 octobre 2026 au 25 janvier 2027.
Train de Paris gare de Lyon pour Fontainebleau / Avon puis bus ligne 3401 direction Les Lilas (arrêt devant le château).