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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

 

Nicolò Bambini (Venise, 1652-1736), Sofonisba prende la coppa di veleno / Sophonisbe s’apprêtant à boire la coupe de poison, ca 1709-1710. Huile sur toile. 104,7 × 79 cm. © galerie Antoine Tarantino, Paris 

Le 24 ou le 25 novembre 1708, était créé à Venise au théâtre de San Giovanni Grisostome appartenant à la famille des Grimani, Sofonisba, opéra en trois actes, musique d’Antonio Caldara (Venise 1670-1736 Vienne), livret de Francesco Silvani. La jeune carthaginoise Sophonisbe était chantée par la soprano Diamante Maria Scarabelli, le rôle de Massinissa tenu par le baryton Giuseppe Boschi.

Opéra bien loin de la réalité de la véritable Sophonisbe puisque celle-ci choisit la mort pour ne pas tomber entre les mains de son vainqueur, un épisode de la Seconde Guerre Punique, rapporté par Tite-Live et d’autres auteurs. Le destin de Sophonisbe, épouse de Siphax, roi de Numidie, tous deux battus à la bataille des Campi Magni (203 avant J.-C.) par les Romains de Gaius Lelius, alliés à Massinissa roi des Massyles. ne pouvait qu’inspirer les peintres émus par ses derniers instants.

Épris par la beauté de Sophonisbe devenue sa prisonnière, Massinissa voulut l’épouser. Scipion - poussé par Siphax, également prisonnier des Romains - demanda Sophonisbe comme captive de guerre. Voulant éviter à sa bien-aimée ce déshonneur, Massinissa fit parvenir du poison à celle-ci afin qu’elle ne tombe pas vivante entre les mains des Romains qui l’aurait exhibée, esclave, enchaînée lors du Triomphe des vainqueurs à Rome. C’est cet instant que le Vénitien Nicolò Bambini saisit, celui où la captive s’apprête à s’empoisonner.

Fine Arts Paris 2021 © galerie Antoine Tarantino, Paris

Fermé depuis avril 2011 pour des travaux de rénovation et d’agrandissement, avec une ouverture probable en 2024, le musée Bonnat-Helleu continue sa dynamique politique d’acquisition sous l’impulsion de son directeur Benjamin Couilleaux. La peinture italienne est à l’honneur dans ses enrichissements ; en 2019, une Nativité de Domenico Corvi est entrée dans les collections muséales. (1)

Cette institution bayonnaise a acquis auprès de la galerie parisienne Antoine Tarantino une toile du peintre vénitien Nicolò Bambini présentée à Fine Arts Paris en novembre 2021. Provenant d’une collection privée parisienne, cette huile, d'un format ovale, est un extraordinaire inédit de Nicolò Bambini. Dans son corpus, elle se place après son retour de Rome, ville où il fut influencé par Carlo Maratta régnant alors sur la scène romaine. Cette œuvre, fascinante, permet de saisir pleinement l’importance de ce maître de la peinture de la République de Saint-Marc, peu fréquent sur le marché de l’art. Anton Maria Zanetti le jeune, qui fut son élève, le définissait comme un "auteur très érudit dans les fondements de l’art, certain de son dessin et rapide dans sa peinture.".

De ce thème, l’on connaît une autre version de Bambini, Sophonisbe recevant le poison de Massinissa, grande toile dans une mise en scène grandiloquente, peinte pour la Villa di Busseto du marquis Alessandro Pallavicino, dans les années 1712-1714. Elle est conservée aujourd’hui à la Banca Popolare de Castelfranco Veneto, province de Trévise.

Chargé d’émotion pathétique, teinté de sensualité, le pinceau de Nicolò, dans un lumineux éblouissant, s’attarde sur les bijoux de la reine s’apprêtant à quitter le monde, plongée dans ses pensées, grave, prête à boire dans la coupe fatale qu’elle tient de sa main droite. L’instant où tout bascule après avoir lu le message de Massinissa l’enjoignant à mettre fin à ses jours.  

En regardant la peinture de Nicolò, le personnage à l’arrière-plan, habillé d’une manière identique à celle des chanteurs baroques, pourrait être reconnu tant comme Massinissa que son rival Sifax. L’ambiguïté de l’identification est mise en évidence par l’attitude de cet homme habillé en militaire au moment où Sophonisbe prend la tasse de poison : il regarde l’aimée en élevant l’index de la main droite, sans faire entendre avec précision s’il veut l'inviter au suicide ou arrêter son geste fatal.

En effet, si l'on revient au livret de Silvani, Sifax "jette de la main le poison" de la tasse de Sophonisbe, lui demandant d’apaiser sa fière décision de mourir et de se fier à la générosité et à la justice du vainqueur romain : la scène se termine par le duo "Tu veux que je vive, oh cher / Tu vuoi ch’io viva, o caro "

La magnanimité de Scipion, rôle chanté par la basse Antonio Francesco Carli, est confirmée dans la scène finale de Sofonisba, quand elle couronne Massinissa et Sifax les deux souverains fidèles à Rome, faisant vaciller "mon orgueilleux dédain".

La ville natale de Nicolò conserve des toiles de ce peintre : L’Adoration des mages à Zan Zaccharia, le Massacre des innocents aux Frari, la Communion miraculeuse de sainte Thérèse et Saint Joseph apparaissant à sainte Thérèse, toiles à Santa Maria de Nazareth, la Communion de Jacques et la Vierge à l’Enfant avec les saints Lorenzo Giustiniani, Francesco et Antonio à San Stae. Entre 1708-1709, il participe à un cycle de fresques au Palazzo Savorgnan à San Giobbe puis à celle du plafond de la salle de bal du Palazzo Dolfin à San Pantalon, en compagnie de l’Émilien Anton Felice Ferrari.

 

Remerciements au professeur Enrico Lucchese, éminent connaisseur de la pittura del Sei e Settecento veneziano – spécialiste de Nicola Grassi - dont la notice de ce tableau a largement inspiré cet article et à Antoine Tarantino.

(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2019/07/un-leon-bonnat-acquis-par-le-musee-bonnat-helleu-de-bayonne.un-domenico-corvi-egalement-acquis.html

 

L’auteur de ce texte est membre du Conseil d’administration de la Société des Amis du Musée Bonnat-Helleu de Bayonne.

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