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Gilles Kraemer 

 

Moment d’émotion souligne Louis Langrée, directeur de l’Opéra-Comique, présentant Fantasio de Jacques Offenbach qui n’avait plus été joué dans ce lieu, celui de sa création le 18 janvier 1872. Dix représentations seulement dans le contexte de l’après-guerre franco-prusienne, d’une IIIème République naissante mais vacillante, pour une action se déroulant, de surcroit, dans le royaume de Bavière. Pas très heureuse cette localisation.

Gaëlle Arquez © Stefan Brion.

Place à ce compositeur qui laisse parler son âme sur un texte d’Alfred de Musset, revu par son frère Paul lorsque la pièce sera jouée au Français en 1866 et ne dépassera pas les 30 levers de rideau.

L’Opéra-Comique en travaux, la production actuelle fut créée au Théâtre du Châtelet en janvier 2017 sous la baguette de Laurent Campellone et dans la mise en scène de Thomas Jolly auréolé de ses succès shakespeariens au théâtre, Henri VI et Richard III. Au soir du 6 juillet 2018, la monstruosité de Thyeste triomphait dans le Graal des metteurs en scène, la cour d’Honneur du palais des Papes où il interprétait aussi le rôle d’Atrée, porté par la ligne musicale de Clément Mirguet, la Maîtrise populaire de l'Opéra-Comique – déjà un pas dans le domaine du chant ! - et la Maîtrise de l'Opéra Grand Avignon. (1)

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2023, Opéra-Comique, les Fantasio vous accueillent.

Cette mise en scène de 2017 de Thomas Jolly, reprise six ans plus tard par Katja Krüger, respire encore le théâtre, Fantasio étant le deuxième contact de Thomas avec un plateau d’opéra après Eliogabalo de Francesco Cavalli en septembre 2016 à Garnier. Les mouvements de foule tardent à se mettre en place. Les effets de lumière d’Antoine Travert (que l’on retrouvera dans Macbeth Underworld) et de Philippe Bertomé, certes impressionnant dans leur précision millimétrée, sont une succession de diagonales, verticales, croisements ou balayent la salle dans les dernières notes de cet opéra-comique. (2) Presque un éclairage de music-hall pour Fantasio « meneur de revue bouffon » dans un Munich en fête et de cabarets puisque célébrant la paix mais plongé dans le noir et le gris, sous la neige. Seul le costume de Fantasio, veste jaune et pantalon Arlequin et le costume blanc du roi selon Sylvette Dequest apportent quelques heureuses couleurs. Décors de Thibaut Fack nous plongeant dans des effets de lanternes magiques lorsque des découpes de châteaux forts en ombres chinoises apparaissent au fond, comme dans l’obturateur d’un appareil photographique. Idée heureuse, celle des lettres de Fantasio, descendues des cintres, Gaëlle Arquez se lovant par deux fois dans le O. Comme la lune se place tel un point sur un i sur le clocher jauni dans la nuit brune. Respectant le livret et la musique, Thomas Jolly n’a pas sombré dans cette fâcheuse tendance d’adapter au goût du jour des paroles en y incluant quelques éléments décervelant.

Jean-Sébastien Bou, François Rougier, Franck Leguérinel, Jodie Devos, Anna Reinhold © Stefan Brion

Trois actes, trois ouvertures, la seconde en douceur et en tristesse, la dernière mélodieuse, reprenant La ballade à la lune alors que derrière le rideau l’ombre de Fantasio apparaît. Ce n’est pas l’Offenbach de la vie pétillante, des viveurs dans lequel on l’a enfermé mais celui de la gravité, du questionnement, de la remise en cause et de l’interrogation de l’existence, à l’image de l’étudiant Fantasio, mélancolique, criblé de dettes, blasé, légèrement ivre, prenant la place du défunt bouffon de la cour du roi de Bavière. Provocation, dérision, se prouver qu’il est quelqu’un pour chasser son spleen, cette comédie fut écrite en 1833, Alfred avait 23 ans. Tel un portrait chinois, cette musique sincère et réfléchie, humoristique dans le duo le prince de Mantou/Marinoni, grave lorsque le peuple de Munich s’oppose à un nouveau conflit armé, annonce son chef d’œuvre, son opéra fantastique, Les contes d’Hoffmann (1881) dont l’on retrouve nombreux emprunts ici, particulièrment des intonations de la poupée Olympia, parfois, chez la princesse obéissante puis rebelle Elsbeth/Jodie Devos, rousse, diaphane à souhait, émouvante dans la fraicheur de sa voix lors de ses adieux au bouffon Fantasio propices aux larmes. L’on comprend que Fantasio/Gaëlle Arquez ait quelques inclinations à son égard. Sa Ballade à la lune dans sa beauté poétique de la nuit brune face à la lune et sa langueur dans son prononcé est pur scintillement. Leur duo parlé, car Fantasio est un opéra-comique puis chanté, de l’acte deux est merveille de charme. Ce duo fonctionne d’une heureuse façon. Près d’eux, Flamel/Anna Reinhold est la parfaite confidente de la princesse. Franck Leguérinel/le roi de Bavière s’impose par ses longs dialogues parlés, très paternel à l’égard de sa fille chérie dont il souhaite le bonheur. Second duo mais masculin, parfait et à l’unisson, le prince de Mantoue/Jean-Sébastien Bou vêtue ancien régime et François Rougier dans les habits Empire de l’aide de camp Marinoni, même si leurs rôles et leur échange d’identité les font paraître ridicules. 

Fantasio, Opéra-Comique © Stefan Brion.

À la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, Laurent Campellone, directeur général inspiré de l’Opéra de Tours, insuffle tout son dynamisme, sa vélocité et sa douceur à cette musique dans la partition reconstituée de Jean-Christophe Keck de 2013. Le chœur, Ensemble Aedes, incarne le peuple de Munich, prêt à s’émouvoir des amours de leur princesse chérie mais également critique des volontés belligérantes de leur gouvernant.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2023, Opéra-Comique.

Rires et applaudissements, la salle est conquise. Fantasio revient ducalement et princièrement à l’Opéra-Comique puisque c'est ainsi que le duc de Mantou et le roi de Bavière ont décidé de nommer le bouffon. Qu'en a pensé Jules Barbier, le librettiste des Contes d'Hoffmann, coiffé tel un Fantasio ?

(1) Avec Thomas Jolly, la monstruosité de Thyeste triomphe à Avignon. - (lecurieuxdesarts.fr)           

(2) Dans les outrenoirs de Macbeth Underworld - Opéra-Comique - (lecurieuxdesarts.fr)

 

 

 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2023, Opéra-Comique.

Jacques Offenbach, Fantasio, opéra-comique en trois actes, livret de Paul de Musset d’après la pièce d’Alfred de Musset. Créé à l’Opéra-Comique le 18 janvier 1872

Opéra-Comique - Paris - 13, 15, 17, 19, 21 et 23 décembre 2023  https://www.opera-comique.com/fr

direction musicale Laurent Campellone

Orchestre de chambre de Paris - chœur Ensemble Aedes

chef de chant Martin Surot - cheffe de chant Héloïse Bertrand (de l’Académie de musique de l’Opéra-Comique) - chef de chœur Mathieu Romano

mise en scène Thomas Jolly - reprise de la mise en scène et dramaturgie Katja Krüger

collaboration artistique Alexandre Dain

décors Thibaut Fack - costumes Sylvette Dequest - lumières Antoine Travert et Philippe Berthomé

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2023, Opéra-Comique.

Fantasio/ Gaëlle Arquez mezzo-soprano

la princesse/ Elsbeth Jodie Devos soprano

le roi de Bavière/ Franck Leguérinel baryton

le prince de Mantoue/ Jean-Sébastien Bou baryton

Marinoni/ François Rougier ténor

Flamel/ Anna Reinhold mezzo

Spark/ Thomas Dolié baryton   -  Facio / Matthieu Justine  ténor

Max/ Yoann Le Lan ténor  -  Hartmann / Virgile Frannais  baryton

Rutten/ le tailleur / le garde suisse  Bruno Bayeux

premier pénitent/ Pascal Gourgand (membre de l'Ensemble Aedes)

le monsieur qui passe/ Pierre de Bucy (membre de l'Ensemble Aedes)

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, décembre 2023, Opéra-Comique.

Production Théâtre national de l'Opéra-Comique - Coproduction Grand Théâtre de Genève ; Opéra de Rouen Normandie ; Opéra Orchestre national Montpellier ; Théâtre national croate de Zagreb

 

 

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Opéra et Musique
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