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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

 

Déplacement et séjour à titre personnel à Venise

Représentation du 12 avril 2024, première

Alex Esposito, Enrico Casari, Piero Pretti / Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Mefistofele di Arrigo Boito va in scena al Teatro La Fenice con un nuovo allestimento. L’ultima rappresentazione in laguna risale infatti 1969. Trionfo assoluto alla prima per il maestro Nicola Luisotti, i artisti, la regia di Moshe Leiser e Patrice Caurier.

Il est des prénoms qui portent chance. Tel celui de Fortunato Ortombina, surintendant et directeur artistique du Teatro La Fenice. Euterpe veille sur lui. il vient d'être nommé surintendant à La Scala, remplaçant le français Dominique Meyer qui quittera ses fonctions à l'été 2025. Ortumbina retrouve La Scala où fut coordinateur à la direction artistique de 2003 à 2007 - . Il aime le défi, les défis en osant programmer, d’un coup de dé qui jamais n’abolira le hasard, quatre prises de rôle, dont celui du rôle-titre, sur six chanteurs ! Certain directeur d’une scène nationale parisienne, reconduit dans ses fonctions jusqu'en 2032, y échoue lorsqu’il demande à une wagnérienne de chanter Bellini ? Navrant surtout pour cette Beatrice di Tenda tant attendue !

La muse de Fortunato était au rendez-vous de ce Mefistofele d’Arrigo Boito, absent de Venise depuis 55 ans. A l’issue de cette première du 12 avril, la salle aux pieds d’Alex Esposito, acclamant généreusement son interprétation de Mefistofele.

Nous le retrouverons dans Faust de Gounod à la rentrée 2024 à Bastille. Excellent choix réfléchi…, pour une fois, d’Alexander Neef, en invitant le bergamasque à endosser les habits de Méphistophélès. En attendant, en mai à La Fenice où il endossera - en alternance avec Omar Montanari - les habits de Leporello dans une mise en scène de 2010 de Damiano Michieletto, devenue classique.

Ce baryton-basse nous l’avions entendu, ici même il y a juste deux années dans le rôle de Méphistophélès du Faust de Gounod, un triomphe absolu. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/04/faust-de-gounod-ce-n-est-pas-que-du-cinema-teatro-la-fenice.html

Alex Esposito © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 12 avril 2024, Teatro La Fenice. 

Dès l’ouverture Alex Esposito s’affirme, comme il le sera tout au long de la soirée. Scéniquement, survêtement bleu ou rouge, torse nu pendant la nuit sabbatique après qu’il se soit enduit le torse de rouge, se douchant - nulle censure sur sa nudité - lors du prologue. Il est là pour tout surveiller, manifestant un geste de contentement à la fosse pour les douces et belles attaques de Nicola Luisotti, jaugeant d’un regard circulaire le public des loges. Tous ont intérêt à l’écouter et à le craindre. Wagner / Enrico Casari, à la voix affirmée, qu’il étranglera… avec un chapelet, en sait quelque chose.

Vocalement. Baryton-basse idéal, dans toutes les nuances, pour réussir à vous contraindre, à vous damner, à vous séduire. Sono lo spirito che nega / sempre, tutto ; l’astro, il fior surgit de l’outre-tombe dans un long développé de chaque phrase, jusqu’à faire peur dans son saccadé, dans une dramaturgie de son jeu qu’il ponctue de sifflets de tifosi.

 " Normale. Italia è terra di calcio nel sangue. "

Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Su cammmina, cammina, cammina de la nuit du Sabah nous transporte dans une soirée diabolique pendant laquelle le globe terrestre surgit d’une cuve, que le chœur, très présent vocalement et scéniquement, exulte son Rampiano, rampiano – che il tempo ci gabba, / e il ballo perdiamo – di re Belzebù dans les lumières dantesques de Christophe Forey et la vidéo d’Étienne Guiol, celle d’incendies de forêts dont les flammes lèchent plafond et les avant-loges de La Fenice. Rideau, tonnerre d’applaudissements à la fin de cet acte II. Les actes suivants et l’épilogue ne seront que confirmation de la grande puissance et noblesse de son interprétation, dans sa projection aisée, cette voix profonde jusqu’à son acceptation de son impuissance face à Faust.

Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Dans ce mythe éternel de la tentation et de la rédemption, la mise en scène de Moshe Leiser et de Patrice Caurier sonne juste dans le choix d’un plateau nu, de la tribune des supporters du club de football Eintracht Frankfurt avec l’immixtion de la publicité détournée du taureau de Lamborghini en Bamborghini, d’une marque de bière italienne perdant son L pour le transformer en R et de pom-pom girls et pom-pom boys ou des rangées de fauteuils du parterre de La Fenice. L’idée n’en est pas nouvelle mais finement mise en action, dans les beaux décors de Moshe Leiser.

Piero Pretti, Alex Esposito / Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Piero Pretti, Alex Esposito / Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Faire descendre des cintres Piero Pretti / Faust dans son bureau, une boîte rectangulaire d’une intense blancheur est un beau moment, comme si Pretti quittait son monde pour « toucher terre », se confronter au monde observé mais non vécu, vivre enfin sa passion, ses tentations – grâce à une piqure que lui fait Mefistofele, il retrouve sa jeunesse - même si son âme doit être offerte au diable. L’instant en sera d’une beauté absolue au moment de l’Épilogue, Faust regagnant son bureau, prenant un violoncelle – pour un Concerto à la mémoire d’une Margherita défunte ? – la pièce s’élevant doucement dans le prégnant chœur des anges Gittiamo un profluvio di rose. Rideau, tonnerre d’applaudissements unanimes. Pretti ? Voix jaillissante, de velours, d’une intense projection, émouvant dans Forma ideal purissima confronté à Elena, devenant poignant dans Giunto sul passo estremo / della più estrema, età même s’il y a quelques faiblesses.

Maria Agresta / Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Dans son jeu de Margherita, les metteurs en scène concèdent à Maria Agresta, - belle allonge de la voix, magnifique phrasé -, un côté un peu « nunuche », jeune femme découvrant la vie. L’altra notte in fondo al mare / il moi bimbo hanna gettato, chantée dans son portable – pourquoi pas ? – explose de douleurs, de repentances, dans l’accompagnement des flutistes de l’orchestre du Teatro La Fenice en grande forme. Toute les nuances de l’accablement dans sa voix irisée. Lontano, lontano, lontano, telle une prière implorante, chantée avec Faust ne pouvait que recueillir des applaudissements enthousiastes.

Maria Teresa Leva / Mefistofele, Teatro La Fenice © foto Michele Crosera, avril 2024.

Parfaites Maria Teresa Leva dans les habits d’Elena et Kamelia Kader dans ceux de Marta et de Pantalis.

Fortunato Ortombina © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 12 avril 2024, Teatro La Fenice.

 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 12 avril 2024, Teatro La Fenice.

Teatro La Fenice - V 12, D 14, Me 17, S 20, Ma 23 avril 2024

Arrigo Boito, Mefistofele, livret et musique, opera in un prologo, quattro atti e un epilogo, d’après Faust de Johann Wolfgang von Goethe

Création Teatro alla Scala, Milan, 5 mars 1868

Direction musicale Nicola Luisotti

Orchestra e Coro del Teatro La Fenice – maître du chœur Alfonso Caiani-

Nouvelle mise en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier

Décors Moshe Leiser      

Costumes Agostino Cavalca     Lumières Christophe Forey

Vidéo Etienne Guiol         Chorégraphie Beate Vollack.  

 

Alex Esposito Mefistofele baryton-basse, prise de rôle

Piero Pretti Faust, ténor, prise de rôle

Maria Agresta Margherita soprano    Marta Torbidoni soprano (20/04)

Kamelia Kader Marta / Pantalis mezzo soprano, prise de rôle

Maria Teresa Levae Elena soprano

Enrico Casari Wagner / Nereo ténor, prise de rôle

 

 

 

©  Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 14 avril 2024, Venezia.

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