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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier. Georges Clémenceau a-t-il prononcé cette phrases, songeant à des amours cachées entre 5 et 7 ? Elle pourrait être de Sacha Guitry, l'homme aux cinq épouses-actrices. Est-ce vrai, est-ce faux ? Peu importe.! 

C’est ce à quoi songe Concepción de L’Heure espagnole du basque Maurice Ravel car elle a besoin d’affection.

Nicolas Cavallier, coincé dans une horloge de parquet & Stéphanie d'Oustrac, L’Heure espagnole © Stéphane Brion.

Elle s'appelait Conception / Et avait besoin d'affection […] Elle s'appelle Conception / Et a grand besoin d'affection / Il ne vient plus jamais personne / Pour lui offrir son corazón / Conception chantait Robert Charlebois en 1972. Chez Franc-Nohain, la fin en sera plus heureuse par la grâce du muletier Ramiro. Une union parfaite que le comique irrésistible du librettiste et la partition du "basque bondissant".

Que choisir comme apéritif à L’Heure espagnole, créée ici même, au Comique, Louis Langrée ayant souhaité la remonter ? En 1911, elle avait été couplée avec Thérèse de Jules Massenet (1907). Le choix s’est porté sur Pulcinella d’Igor Stravinsky, ballet avec chant, créé onze ans plus tard, avec succès, à Garnier, dans des décors, rideau et costumes de Pablo Picasso. Au pourquoi, car l’union la même soirée de deux musiciens est parfois périlleuse, la réponse du directeur du Comique est celle de la réunion d’un ballet avec chanteurs et d’une comédie musicale, œuvres de deux hommes qui se rencontrèrent à la première de L’Oiseau de feu, à l’Opéra de Paris le 25 juin 1910. Deux créations de deux géants de la musique qui ont été amis. Telle une réunion d'œuvres au côté bouffe, au côté commedia dell’arte.

Pulcinella © Stéphane Brion.

Pulcinella © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mars 2024, Opéra-Comique.

Place à Pulcinella, dans la transcription d’une musique baroque, celle de l’italien Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), avec 9 extraits de ses opéras insérés dans un ballet. Six danseurs. Ballet défendu vaillamment par Alice Renavand, la fiancée de Pulcinella Oscar Salomonsson chapeauté d’un melon, dans une chorégraphie charmante mais classique de Clairemarie Osta. Manque de nervosité, tout le monde saute avec cadence. La puissance d’Iván Delgado del Rio et Stoyan Zmarzlik aux mouvements West Side Story, très ragazzi, bouscule un début d’ennui. Pour rester italien, cela manque de spritz !

Intéressante prestation de la soprano Camille Chopin, d’une belle ampleur chez le ténor Abel Zamora et la basse François Lis.

Liant les deux œuvres et pivot de cette soirée, l’escalier central de Silvie Olivé - piranésien pour le Russe, se mutant en Maurits Cornelis Escher pour le Basque après adjonction de quelques éléments [exposition Escher actuellement au Palazzo dei Diamanti à Ferrare].

Nathalie d'Oustrac et son muletier Jean-Sébastien Bou capable de remettre les pendules à l'heure L’Heure espagnole © Stéphane Brion.

Entracte bien venu avant l’orchestration incroyable et somptueuse de L’Heure. Telle que portée par l’enfant de Ciboure sur la partition : un quasi-parlando d’un récitatif bouffe italien. Louis Langrée donne ici toute sa puissance à l’Orchestre des Champs-Élysées plus libéré que chez Igor. Toutes les saveurs, la coquinerie, les amours inassouvies ou espérées, la jouissance, la cacophonie des heures sonnées et des coucous jaillissent avec bonheur de la fosse et se propagent sur le plateau.

Jean-Sébastien Bou, Nathalie d'Oustrac, Louis Langrée & Guillaume Gallienne, L’Heure espagnole © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mars 2024, Opéra-Comique.

On rit, on s’esclaffe aux paroles du livret, aux sous-entendus, au bijou de famille, la montre qui a sauvé la vie à l’oncle toréador, au mécanisme autrement compliqué, la femme, au muletier qui chaque matin dira l’heure à la belle du pays du Guadalquivir, tout l’air génial Oh ! La pitoyable aventure ! / Et faut-il que de deux amants,… de Concepción/ Nathalie d’Oustrac, pétillante, qui n’en fait jamais trop, jamais assez. Elle est la diva de Tolède, au sang bouillonnant, aux deux amants à l’affection bien en berne, encore fidèle à son époux. Quel abattage, elle met la salle à ses pieds, les rieurs de son côté, dynamisant la mise en scène bien alanguie de Guillaume Gallienne. Cela manque de "peps".  Que diable n’a-t-il pas demandé à Sylvie Olivé de mettre des pendules, des cartels, des horloges partout, partout. L’on ne dirait pas la boutique d’un horloger hormis les deux horloges de parquet, obligatoires, dans lesquelles se glissent le poète Gonzalve/ Benoît Rameau et doux euphémisme Don Iňigo Gomez/ Nicolas Cavallier à l’embonpoint de la réussite financière.   

Nicolas Cavallier, Philippe Talbot qui réussira à placer ses deux horloges de parquet & Benoît Rameau, L’Heure espagnole © Stéphane Brion.

Torquemada/ Philippe Talbot – déjà le complice de Nathalie dans La Périchole, une des marques de l’Opéra-Comique est celle de fidéliser ses chanteurs – joue du niais et de l’humour, un Totor plein de charme. (1) Quelle puissance dans les expressions charmeuses et jaillissantes de Nicolas Cavallier. Benoît Rameau, qui perdra sa perruque, l’autre amant platonique, est d’une belle vigueur dans sa ligne de chant. Bien sage, conquérant sans aucun effort la belle, par la force de ses biscoteaux, le muletier Ramiro/ Jean-Sébastien Bou, mêlant profondeur et douceur. L’amant idéal sachant titiller la belle Andalouse.

(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/05/champagne-pour-la-magistrale-perichole-selon-valerie-lesort-opera-comique.html

Conclusion avec un conseil de lecture, plutôt un double sous la plume pertinente d’Étienne Rousseau-Plotto, historien de l’art, musicologue, ancien professeur au lycée Maurice Ravel à Saint-Jean-de-Luz - cela ne s’invente pas -, titulaire des grandes orgues impériales de saint-André de Bayonne puisqu’elles furent offertes par Napoléon III à la ville. Deux ouvrages parus chez Atlantica, maison d’éditions biarrote : Ravel. Portraits basques et Stravinsky à Biarritz : un compositeur russe en exil (1921-1924). Tous mes remerciements à cet auteur pour ses indications données sur ces deux compositeurs.

Igor Stravinsky, Pulcinella - Ballet avec chant en un acte, musique d'après Pergolèse. Créé à l’Opéra de Paris le 15 mai 1920  //  Maurice Ravel, L'Heure espagnole - Comédie musicalenen un acte. Livret de Franc-Nohain. Créée à l'Opéra-Comique le 19 mai 1911

Direction musicale Louis Langrée

Orchestre des Champs-Élysées

Mise en scène Guillaume Gallienne 

Chorégraphie Clairemarie Osta

Dramaturge et collaboratrice artistique à la mise en scène Marie Lambert-Le Bihan

Décors  Sylvie Olivé              Costumes OlivierBbériot                 Lumières John Torres

Pulcinella

Soprano  Camille Chopin (Académie de l’Opéra-Comique)

Ténor Abel Zamora (Académie de l’Opéra-Comique) 

Basse François Lis 

Pulcinella Oscar Salomonsson; La fiancée Alice Renavand (danseuse Étoile de l’Opéra); Un homme Iván Delgado del Rio; Une femme Manon Dubourdeaux; Une femme Anna Guillermin; Un homme Stoyan Zmarzlik

L'Heure espagnole

Concepción Stéphanie d’Oustrac   mezzo-soprano

Gonzalve Benoît Rameau ténor

Torquemada Philippe Talbot ténor

Ramiro Jean-Sébastien Bou baryton

Don Iñigo Gomez Nicolas Cavallier basse

 

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