Diktats du corps pour bombasse & musclor selon Marine Le Clézio - Festival d'Avignon 2023 (VII)

18 Juillet 2023

Gilles Kraemer

Déplacement et séjour à titre personnel à Avignon

9 juillet 2023, 17h 50

Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Le corps n’aurait-il pas des raisons qu’un minimum de lucidité devrait ignorer ?

Marine Le Clézio © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 09 juillet 2023.

Immense sourire, yeux pétillants. Á la terrasse de Barretta, place Saint-Didier - un des lieux stratégiques d’Avignon pendant ce mois de juillet – ou sur le plateau de Paradise République où elle joue, elle est la même. Nature. Spontanée. Rencontre avec Marine Le Clézio, quelques instants après la représentation de Votre corps me parle. Thème astral : bélier, ascendant cancer, le feu et l’eau. Sur la scène ou dans la rue, sa façon de se déplacer emplit l’espace d’une façon divine. A ses côtés, Marie Lussignol, co-metteur en scène, terre et air. Normal que ce duo fonctionne, complémentarité parfaite. " Marie m'a appris à me canaliser pour être la plus juste sur scène, à maîtriser mon corps, moi qui ne suit qu'’une boule d’énergie. ".

Marine Le Clézio © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 09 juillet 2023.

" Marine Le Clézio, comment vous qualifieriez-vous ? Êtes-vous comédienne ou danseuse ? ". Car Marine est professeur de danse moderne et de renforcement musculaire, en dehors de son métier de comédienne. Réponse immédiate. " Formation de danse classique puis modern jazz. Je suis venue au théâtre il y a trois ans. Je n’ai nullement envie de faire une séparation. Sur la scène, je suis dans l’expression du corps et de la voix, dans cette pièce que j’ai écrite en juillet 2019 à Dinard. Et oui, je suis bretonne, mon patronyme le souligne bien. ".

Coach corporel, c’est ainsi qu’elle se présente sur scène, dans sa combinaison rose, endossant divers rôles, hommes comme femmes. Elle est une actrice-performeuse, dans son interprétation, en différentes scénettes, du corps décrété et érigé par notre société comme devant être parfait, prompt à la charcuterie esthétique. Dictature des paraîtres traitée avec humour. " Conditionnés, nous sommes enfermés dans nos propres codes qui pèsent sur nous et nous façonnent, consciemment ou inconsciemment. ".

Jessika, " avec un j comme jolie, s comme sexy, surnommée Ikéa comme facile à monter ". Trente-deux ans, accent tchi. Son copain, Bastien, un peu fruste, travaillant dans la sécurité, se rongeant les ongles, pas un Apollon loin de là mais, la beauté n’est-elle pas intérieure ? Comment peuvent-ils s’entendre ? Mystère. Marco, un peu musclor, magnifique dans son short avec des bananes, piercing et épilation obligatoires. Raoul Escabèche, le seul dont l’on connaîtra le nom, de Marseille, humour gentiment lourdingue, légèrement enveloppé, " taillé en B et non en V, " l’on s’en serait douté. L’on apprendra qu’il existe une codification alphabétique du corps, en H, F, X. Journée non perdue pour les spectateurs. Face à lui, Alice est une plume dans l’excès, folle de son corps, " ma balance est mon phare ", 28 ans, dans l’obsession convulsive de la minceur, ne pas dépasser le 34. Lyla et son chien, végétarien, pourquoi pas ? La bêtise n’a pas de limite. Musique de Mission impossible caractérisant Gertrude, accent allemand jusqu’à l’excès, experte en hygiène, " prenant de l’antioxydant et non anti Occident, ni alcool, ni cigarette. "

Un monde de l’apparence dans cette galerie de portraits de paumés manipulés par le diktat de la perfection corporelle, enfermés dans la pauvreté de leur existence. Une authenticité dans ces multiples personnes. Des cas sociaux sobrement présentés dans ce regard si juste et sans concession de Marine Le Clézio.

Un spectacle dans la sincérité.