Le Syndrome de Stendhal met les pieds dans le plat de l'art contemporain - Festival d'Avignon 2023 (VI)

17 Juillet 2023

Gilles Kraemer

Déplacement et séjour à titre personnel à Avignon

Avant-première, 6 juillet 2023, 20h 05

Clin d’œil à la banane de Maurizio Cattelan, au pot de fleurs de Jean-Pierre Raynaud, à la branche de Giuseppe Penone, à la pipe de Magritte, comme des oriflammes de l’art contemporain. La compagnie Brut Montage & Le syndrome de Stendhal © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 06 juillet 2023.

Florence, 22 janvier 1817. " J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les "sensations célestes" données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, ce qu’on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. […] Le surlendemain, le souvenir de ce que j’avais senti m’a donné une idée impertinente : il vaut mieux, pour le bonheur, me disais-je, avoir le cœur ainsi fait que le cordon bleu. " Stendhal, Rome, Naples, Florence, 1817. (1).

L'Art contemporain exposé aux rejets. Études de cas (1998), Pour en finir avec la querelle de l'art contemporain (2000) et surtout Paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique (2014), tout arpenteur de la planète art contemporain connaît ces ouvrages de Nathalie Heinich qui ont inspiré ce Syndrome de Stendhal présenté dans le off d'Avigon.

Le verbiage et le disruptif, le curateur béat, béatifié, béatifiant, la grande messe de l’art contemporain, le collectionneur gourmand de dépense carbone pour se rendre à une biennale, le ready-made, le conceptuel, la performance, l’installation, la dématérialisation, la conceptualisation, l’hybridation, l’éphémère, cette logorrhée – se cacher derrière des mots pour tenter d’expliquer ce que l’on ne comprend pas et vendre la macédoine aux gogos - sont le prétexte d’un Syndrome, une joyeuse et irrésistible pièce, malicieusement satirique - heureusement sans l’inclusif exclusif excluant et la culture woke -.

Le Syndrome de Stendhal © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 06 juillet 2023.

Aux manettes, le percutant Matthieu Welterlin, titulaire d’un master en histoire de l’art - régie des œuvres et montages d’expositions. Régisseur d’œuvres d’art dans différentes galeries parisiennes depuis sept années, dont celle de Nathalie Obadia, il est familier de cette sphère vibrionnante de l’art actuel, abonnée compulsive du "fear of missing out" et du "say who". Le syndrome du train raté de l’impressionnisme est toujours marquant pour les collectionneurs captifs et les commerçants de l’art.

Bavardage, historien de l’art chemise blanche obligatoire, bride de conversation, vernissage, visite d’exposition ou d'atelier, dîner, montage, démontage, transport, entretien avec un curateur dans son "trip" - "has been" le mot de commissaire -, toutes ces captations vues et entendues, Matthieu Welterlin et la compagnie Brut montage en ont fait le miel de cet inénarrable Syndrome.

Parfois, cela peut paraître grossi, mais cette dissection très fine du monde de l’art contemporain ne manque ni de justesse, ni d’honnêteté dans "le royaume des bisounours de l’art" parsemé de chausse-trappes. Ne pas prendre position mais montrer des tranches de vie. Rien n’est inventé, tout est vrai. Vu, entendu, lu.

Un peu d’histoire de l’art au début par Welterlin. L’Origine du monde. L’artiste – nom non prononcé - dont les deux roues de tracteurs dorées dérapèrent dans l’escalier du Palais Garnier le 2 janvier 2020 [200 000 euros quand même, avec son diadème sur la façade de l'opéra Bastille, payés par le mécénat. C'était du temps de Stéphane Lissner, parti depuis à Naples, avant de terminer son mandat]. L’apparition du Salon. L'ouverture du palais du Louvre au public en 1793 devenant le Muséum central des arts de la République. L’urinoir sacralisé. Le Pont neuf et l’Arc de triomphe empaquetés.

Le Syndrome de Stendhal © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 06 juillet 2023.

Dérapage puisqu’il faut être familier de ce monde pour le comprendre et percuter sur ce qui se déroule sur la scène. Avoir une connaissance de l’art actuel. Une femme de ménage – incroyable rôle de composition d’Audrey Kougoum - tout de rose vêtue – il n’y pas que le bleu Klein ou le vert Véronèse ou le noir Soulages me confiera Matthieu, pourquoi pas le rose ? – travaillant dans un musée et jetant des cartons, des papiers et des bouteilles de bière vides. Normal de faire le ménage avant l’arrivée des visiteurs et d’évacuer les restes d’une fête. Malheur. Ignorance de cette "intervention-installation". "Les sachants" penseront à Où allons-nous danser ce soir ? une "installation" de Sara Goldschmied et Eleonora Chiari exposée au Museion de Bolzano et à Paul Branca pour l'exposition Display Mediating Landscape au musée de Bari. Des œuvres, disons plutôt des concepts, des expériences de singularité et d’originalité qui rejoignirent allégrement les poubelles... en tout cas, même pas celles bien remplies de l'histoire de l'art...

L’importance du sacro saint curateur – à ne pas confondre avec la personne chargée d'assister un majeur incapable et de veiller à ses intérêts – propre à nous délivrer un discours autour de l’œuvre pour la comprendre. " Le discours fait partie du contexte donc le contexte fait partie de l’œuvre. " proclame l’irrésistible Sybille Margueron (1993), le cou enserré dans des dizaines de badges d’accès aux foires, biennales, expositions, ce marqueur bien visible, débitant son discours, normé et formaté, à toute vitesse. Souvent, il suffit de changer le nom de l'artiste et du lieu d'exposition, la phraséologie restant la même.

Le Syndrome de Stendhal © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 06 juillet 2023.

"Qui bene amat, bene castigat."

Grincements de dents prévisibles. L’on ne peut plaire à tous.

Matthieu Welterlin est le montreur de notre réalité, l’Honoré Daumier et le Paul Gavarni de notre XXIème siècle.

Clin d’œil. L’affiche de Camille Bricout pour le Festival Off Avignon 2023 a ému quelque peu les dubitatifs Avignonnais, une tong scotchée sur les pavés de la place des Corps-Saints. Référence, faut-il le savoir, à Comedian de Maurizio Cattelan. Décembre 2019, foire d’Art Basel à Miami, sur le stand du galeriste Emmanuel Perrotin, qui pourrait vendre un réfrigérateur à des esquimaux, une vraie banane – provenance non précisée - scotchée sur la cimaise grâce à un fort ruban adhésif gris-argent. 120 000 dollars demandés pour ce concept acquis de suite.

© DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 06 juillet 2023.

(1) en référence à la croix de l’ordre du Saint-Esprit suspendue à un cordon bleu, un ruban de soye de couleur bleuë celeste .

https://www.festivaloffavignon.com/programme/