Véronique & Louis-Antoine Prat, une vie pour le dessin – La collezione Prat, una vita per il disegno
Gilles Kraemer
Il y a cinq décennies, au printemps 1974, Louis-Antoine et Véronique Prat commençaient leur collection ! Exposée dès 1990-1991 aux États-Unis et au Canada, au Louvre en 1995 – élu Président de la Société des amis du Louvre en juin 2016, il ne postulera pas un 3ème mandat cette année -, en 1995 en Grande-Bretagne, 2004-2005 nouvelle traversée transatlantique, Barcelone 2007, Sydney 2010, en 2017 le vénitien musée Correr et la toulousaine Fondation Bemberg, en 2020 le Petit Palais. Avec Orléans, le 8ème catalogue de leurs expositions ! En remerciements, ce couple de collectionneurs a offert des dessins, sous réserve d’usufruit, au Louvre et au Petit Palais. Même geste insigne - Pierre Brebiette et Pierre-Paul Prud'hon - aujourd’hui à l'égard du musée des Beaux-Arts d’Orléans qui présente 118 dessins leur appartenant.
Mélancolie et Fortune se côtoient © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Terminant cette exposition thématique, sept dessins donnés sous réserve d'usufruit au Louvre sont présentés, de La Mélancolie de François-André Vincent à La Forune de Pierre-Paul Prud'hon dont une association française, contribuant au rayonnement du dessin, a emprunté le dessin pour sa page d'accueil Instagram ! Il est généreux celui que quelques amateurs de la belle feuille, le croisant dans les allées du Salon du dessin, à Drouot ou chez les marchands, appellent par son prénom. (1)
Antoine Watteau (Valenciennes, 1684 - Nogent-sur-Marne, 1721), Étude pour les deux figures centrales de Le Pélerinage à Cythères. Sanguine. 18,6 x 14,8 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Le musée des Beaux-Arts d’Orléans est un musée de collectionneurs souligne Olivia Voisin directrice de cette institution qui ouvrit en novembre 1825 ses portes au public. Orléans continue son éclairage sur ceux qui édifièrent l’histoire de la vie muséale de la cité, consacrant concomitamment une exposition à Paul Fouché (1840 – 1922) qui léguera ses collections à la ville ce qui justifia l’aménagement d’un bâtiment dédié. Les bombardements allemands de juin 1940 entraînèrent la disparition de cette annexe du musée et l’interrogation d’œuvres pillées avant l’incendie et non retrouvées. (2)
Olivia Voisin ajoute que cette exposition des dessins des Prat est une façon d’expliquer ce qu’est un collectionneur qui se consacre à cette passion, fréquente les musées et le marché de l’art, achète mais aussi vend pour acheter une nouvelle feuille. Pour Louis-Antoine, cette présentation est une nouvelle façon de voir mes dessins, de les redécouvrir sur les cimaises alors que dans mon appartement parisien ils sont présentés à touche-touche. Un moment de partage, dans la quête de la beauté en ne présentant ici que des feuilles du XVIIe et du XVIIIe, du règne des quatre Louis comme aimait à le dire le collectionneur Mathias Polakovits.
Nicolas Poussin (Les Andelys, 1594 - Rome, 1665), Pluton enlevant Proserpine. Plume et encre brune, lavis brun © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Une collection, comment naît-elle ? De la vente d’un bien familial et en gardant quelques œuvres dont un Jean Pillement conservé par tendresse paternelle. Ce souci de donner son regard au dessin, si fragile, si sensible, dans une définition précise de l’espace (la France) comme du temps (1600 – 1900). Des choix et des sacrifices. Être au-delà du raisonnable précise L.-A. P.. Adieu à tout le XXe siècle, adieu Modigliani, Balthus, Léger…, vendus pour l’acquisition de Pluton enlevant Proserpine de Nicolas Poussin en 1995 dans un état miraculeux de fraîcheur, comme au premier jour, leur second Nicolas après une Feuille d’études d’animaux, de figures et de bâtiments en 1975. Adieu également et révision déchirante à une centaine de dessins pour Femme à genoux auprès d’un berceau d’Antoine Watteau en 1990, présenté dans un cadre du temps. Éviter de laisser un beau dessin dans une encadrement médiocre et surtout postérieur à sa date de création.
Jacques Callot, Deux gentilhommes vus de dos, un « pantalon » dansant, plusieurs gnomes. Ca 1612-1617. Plume et encre brune; collée en plein. Au verso, plusieurs croquis se distinguent par transparence de la feuille. 11,6 x 16 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans. Dessin de l'ex-collection du marquis Philippe de Chennevières (1820-1899), un des grands collectionneurs de l'école française avec 3 600 dessins. En renvoi, catalogue de l'exposition présentée au musée du Louvre (8 mars - 7 juin 2007) La collection Chennevières. Quatre siècles de dessins français. Louis-Antoine Prat, avec la collaboration de Laurence Lhinares.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Le cadre mais aussi la restauration de la feuille qui saura lui rendre une partie de sa fraîcheur est importante. Moment de rappeler qu’il acheta nombre de dessins à Jacques Petithory, avec lequel les négociations étaient compliquées mais parfois fructueuses, plus collectionneur que marchand si ce n’est l’inverse, une étonnante personnalité. (3) Dont Simon Vouet, Charles Le Brun. Et, en 1981 Deux gentilhommes vus de dos, un « pantalon » dansant, plusieurs gnomes de Jacques Callot, feuille trop fragile et par endroits trouée de puissants accents à la plume, et dont on distingue pourtant d’autres mystérieuses figures au revers. Le mystère restera.
Claude Gellée (Chamagne, 1600 Rome, 1682), Paysage aux grands arbres. Plume et encre brune, lavis. Au verso, reprise de la composition à la plume et encre brune. 30 x 39,5 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Est-il prémonitoire, ce texte D’un siècle à d’autres, de Sydney à Orléans que Louis-Antoine Prat consacre à sa (leur) collection de dessins, y incisant certains traits de sa forte personnalité, mais fêlant parfois l’armure. Un texte si personnel, tout en intimité, comme le journal de 50 années passionnées. Comme pour tourner une page. Le verbatim d’un amoureux du dessin qui fréquente Les allées du Salon, s’approchant parfois Bien trop près du feu même s’il invoque saint Augustin. Trouver quelque lieu secret.
Et ensuite, continuer, acheter d’autres belles feuilles, eux qui en eurent plus de 1 000 et aujourd’hui 240 ? Seize nouvelles depuis l’exposition du Petit Palais dont Paysage au grand arbre, plume et encre brune de Claude Gellée dit Le Lorrain, acquis en ligne, lui qui achète en ventes publiques pour un tiers, chez les marchands pour deux tiers. Le second Claude après La Madeleine en prières en 1988. Trente-cinq années entre les deux !
« Grand âge, nous voici ». Ultime étape ? J’en doute.
Le devenir de cet ensemble ? Il nous semble qu’il serait à sa place dans un musée, ayant toujours été, nous l’avons dit au début de ce texte, des compagnons de route de cette institution. Comme écrit dans le catalogue orléanais
In situ l'exposition et quelques catalogues des expositions de la collection Prat © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
(1) Véronique et Louis-Antoine Prat offrent deux dessins au musée des Beaux-Arts d’Orléans http://www.lecurieuxdesarts.fr/2024/02/veronique-et-louis-antoine-prat-offrent-deux-dessins-au-musee-des-beaux-arts-d-orleans.html
(2) Paul Fourché (1840-1922), l'amasseur d'art. 12 novembre 2023 au 24 mars 2024
(3) Jacques Petithory (1929-1992) a fait don de sa collection au musée Bonnat-Helleu de Bayonne où elle est déposée depuis 1997. Fermée depuis avril 2011 pour des travaux de rénovation urgents et d’agrandissement, cette institution devait rouvrir en 2021, 2022, 2023 et maintenant… à l’automne 2025. Quatorze années...
François-André Vincent, Borée enlevant Orithye, 1782 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans. Offert sous réserve d'usufruit au musée du Louvre
À la poursuite de la beauté. Journal intime de la collection Prat
12 novembre 2023 au 24 mars 2024
Musée des Beaux-Arts d'Orléans
Commissariat général Olivia Voisin / scientifique Medhi Korchane
Scénographie Agence Nathalie Crinière
Catalogue. Très belles et complètes notices des provenances. Un seul texte - L.-A. P. a déjà publié 10 romans et nouvelles -, celui de Louis-Antoine Prat D’un siècle à d’autres, de Sydney à Orléans. 216 pages. Éditions El Viso/Musée des Beaux-Arts Orléans. Prix 32 €. (service de presse).
Compléter avec la lecture du catalogue de l’exposition au Petit Palais La force du destin. Chefs-d’œuvre de la collection Prat. Commissariat général Christophe Léribault / scientifique Pierre Rosenberg, Laurence Lihinares, Côme Rombout. Prévue du 24 mars au 12 juillet 2020, accrochée, le 1er confinement en décida autrement. La fin de celui-ci permit son ouverture au public [16 juin au 04 octobre 2020]. 184 dessins y furent présentés. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2020/07/force-demeure-toujours-au-dessin-la-collection-louis-antoine-et-veronique-prat.html
Toulouse, fondation Bamberg http://www.lecurieuxdesarts.fr/2024/02/la-collection-de-dessins-de-louis-antoine-prat.de-nicolas-poussin-a-paul-cezanne.chefs-d-oeuvre-du-dessin-francais.da-poussin-a-cezanne.capolavori-del-disegno-francese-dalla-collezione-prat.html
Exposition Paul Fourché (1840-1922), l'amasseur d'art - du 12 novembre 2023 au 24 mars 2024 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans. Tableaux sauvés et tableaux perdus, un appel est lancé pour retrouver ces derniers représentés par des photographies.
Inauguration de l’exposition de la collection Prat par Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, 10 novembre 2023.
Offert sous réserve d'usufruit, Pierre Brebiette (Mandres, près de Brie-Comte-Robert (?) 1598 (?) – Paris, 1642, Jeune homme vu en buste, légèrement penché en avant, le menton dans la mains gauche. Plume et encre brune, pinceau, lavis gris sur papier © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.
Offert sous réserve d'usufruit, Pierre-Paul Prud'hon (Cluny 1758-1823 Paris), Portrait de Charlotte de Talleyrand-Périgord, âgée de 7 ans (1798-1873). Signé 'Prud'h[on]' (en bas à droite). Pierre noire et craie blanche sur papier brun (anciennement bleu) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans.