Chaumont-sur-Loire, la greffe réussie entre la nature et l’art – Saison d’art 2024
Gilles Kraemer
Douze artistes et un duo d’artistes, une commande spéciale de la région Centre - Val de Loire propriétaire du Domaine de Chaumont-sur-Loire, telle se présente la Saison d’art 2024 accueillie dans le parc, les dépendances et le château du magnifique écrin qu’est cet immense domaine en bords de Loire, entre Blois et Amboise.
Ajoutant plus de magie à ce lieu, Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine nous présente Bibliothèque cristallisée [par le feu], imaginée en 2020 par Pascal Convert en souvenir de la bibliothèque des Broglie – détruite par un incendie en 1957 -, entrée définitivement dans les collections permanentes de Chaumont-sur-Loire cette année. (1) Une œuvre supplémentaire intégrant les collections du domaine, comme le sont Capella dans la clairière d’Anne et Patrick Poirier (2010) ou Chemins croisés de Lionel Sabatté (2023) ou la main entée de Trattenere 8 anni di crescita de Giuseppe Penone (2016), concrétisation de la greffe réussie de l’art dans la nature, de ce dialogue artistes et nature. Cette main italienne, icône visuelle du Domaine.
Miquel Barceló, La grotte Chaumont © Éric Sander Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Miquel Barceló, La Grotte Chaumont © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024
La Grotte Chaumont et non Chauvet, dans un jeu de mots, de Miquel Barceló, se devine dans un bosquet du parc. La végétation va peu à peu l’envelopper, pénétrer en elle souligne Chantal Colleu-Dumond. Immense bouche ouverte d’un monstre - même pas peur qu'il nous avale diront les enfants -, cette céramique peinte de l’artiste majorquin est telle la tête d’une baudroie aux canines pointues, dont la tête de ce « diable de la mer » représente un tiers du poids de ce poisson. Au fond de cette gueule béante XXL - un four spécial fut conçu pour cuire cette sculpture de huit tonnes -, des squelettes d’animaux. Une cousine du parc du Sacro Bosco à Bomarzo, imaginé par Pier Francesco Orsini, detto Vicino au XVIème.
Laisser entrer le soleil de Pascal Oudet, 2023 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Commissaire de cette Saison, Chantal Colleu-Dumond aime les bifurcations des artistes comme celle de Pascal Oudet (1972), ingénieur en électronique de formation, maintenant tourneur sur bois, lauréat 2023 du Prix Liliane Bettencourt pour l'Intelligence de la Main ® - Talents d'exception pour Laisser entrer le soleil présenté ici. Le tronc d’un chêne de 70 ans de 130 kilogrammes au départ ne pèse plus que 300 grammes après avoir été tourné sans discontinuité pendant 12 heures. Une œuvre arachnéenne, devenue dentelle, enregistrant dans ses cernes sa vie, la sécheresse, la pluviosité précise-t-il, mais d’une façon clivante puisque l’on y perçoit l’évolution climatique, une croissance d’un millimètre par année maintenant alors qu’elle était de 3 millimètres précédemment. Plombante cette concrétisation du changement du climat ! Autre exploration de l’arbre, Armille d’Olga Kisseleva (1965), dans une communication - l’on est interrogatif lorsqu’un arbre « dit » qu’il est à la limite de la résilience - entre un arbre au Japon et un cèdre de Chaumont porteur d’un cercle de différents métaux. Traces des désordres de l’humain, Oxygen de Pascale Marthine Tayou (1966), dans la si bien nommée Grange aux abeilles, un lustre de bois flottés recouverts de goudron auxquel sont accrochés des bouteilles trouvées sur des plages africaines. Mazout, pollution envahissante du plastique, la réalité de ce que de trop nombreux états côtiers africains sont devenus, les poubelles de l’hémisphère nord.
Damien Cabanes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Damien Cabanes (1959) nous guide vers des instants moins angoissants avec sa longue fresque-portrait des massifs de fleurs de Chaumont, peinte in situ en septembre 2023. Beaucoup de sauges, beaucoup de violet, la couleur fétiche du Domaine.
Anne et Patrick Poirier, Mundo Perdido, 1983-2020. Bronze doré © Éric Sander, printemps 2024.
Anne et Patrick Poirier, Fleurs, lithographies tirées à l'atelier de Michael Woolworth et rehauts de tempera © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Toutes ces fleurs auxquelles est tellement attachée Chantal Colleu-Dumond, iris, pensée, glaïeul, gueule de loup sont retranscrites par Anne et Patrick Poirier, de grandes lithographies pressées par Michael Woolworth et rehaussées de tempera mais, ajoute Anne, nous n’avons pas réussi à faire une tulipe [de couleur violette] aussi belle que celle des massifs de Chantal ! La cour de la ferme accueille, en son pédiluve pour chevaux, des architectures de ce duo, trois Mondo Perdido inspirés du sommet des temples de Tikal au Guatemala émergeant de la forêt. Ici, ils se reflètent dans l’eau, ce liquide très présent dans notre travail précise Patrick.
Prune Nourry, Atys. Bronze doré © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Prune Nourry, Atys. Bronze doré © Éric Sander, printemps 2024.
Vincent Barré (1948), déjà présent dans le parc avec Chaos, sculpture en fonte de fer en six éléments, développe une autre sculpture très forte dans le parc, Fûts, telle des tronçons découpés d’un arbre posés au sol. Portées par le vent, Karine Bonneval (1970) propose une installation de pollens, ces micro-organismes transmetteurs de la vie, émergeant de l’obscurité. De Prune Nourry (1985), deux œuvres en bronze, l’on dirait des cordes par leur réalisme, sont réminiscences d’Atys (1676), opéra de Lully pour lequel elle conçut, en 2022 le décor, une métamorphose du corps humain devenant un arbre avec ses racines. (2)
Le Locataire de Gloria Friedmann © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Kôichi Kurita, Terres de Loire © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Comment ne pas songer au scarabée poussant sa boule de bouse, allusion à l’astre du jour, à la course du soleil pour les Égyptiens avec Le Locataire de Gloria Friedmann (1950) placé sous l’auvent des écuries, face à l’horloge devant laquelle il s’est arrêté. Une sculpture en terre de Bourgogne qu’elle présente comme une " slow " sculpture avec un homme assis à l’envers sur cette boule supportée par une tortue. " Festina lente " si l’on connaît sa locution latine ! Ou, nous ne sommes que les locataires de cette Terre sur laquelle nous vivons.
La terre, les terres, nous en découvrirons d’autres en descendant dans les entrailles du château, en réalité les cuisines placées en sous-sol pour ne pas incommoder par l’odeur les occupants du château. Kôichi Kurita (1962), sur un immense plateau rond, a placé des flacons de verre emplis de Terres de Loire, des terres collectées, dans un camaïeu du marron. Cherchez, vous y trouverez celle de Chaumont.
Vincent Bioulès © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Vincent, Vincent Bioulès (1938), les visions enchanteresses de ses Paysages dans les salles du château. Trente-sept peintures, de La fenêtre de Ribennes, 1968 [avant sa participation, en 1970, à l’éphémère "Supports/Surfaces", mouvement visant à déconstruire la peinture qu’il quitta, car tous des emm……s. Toujours intéressant de revoir au musée d’art moderne de Céret ses portraits des 12 membres de ce mouvement pictural peints en 1990, la dispute n’a pas été longue (3) (4)] à aujourd’hui, des vues de la nature autour de son atelier avec l’excursion céretane des grands Platanes, le jour mémoire d’une rétrospective dans le musée de cette cité catalane. Et surtout sa « Sainte-Victoire », le Pic Saint-Loup. Comme "Le chef d’œuvre inconnu", la peinture n’est jamais terminée, c’est une suite de variations. Pas tellement du côté de Picasso cette référence mais plutôt un regard appuyé sur Henri Matisse.
Vincent Bioulès, Le mois de janvier, 2015. Huile sur toile. Galerie La Forest Divonne © Pierre Schwartz.
Comment n’être pas dans le souvenir de Porte-fenêtre à Collioure d’Henri (septembre 1914) en regardant Le mois de janvier de Vincent (2015) ?
http://www.lecurieuxdesarts.fr/2019/08/de-la-modernite-classique-de-vincent-bioules.html
(2) https://www.live-operaversailles.fr/atys-lully-/watch/2822
(4) Vincent Bioulès. Chemins de traverse. Exposition, musée Fabre, Montpellier, 15 juin-6 octobre 2019. Commissariat général Michel Hilaire. Dans le catalogue, Les dernières avant-gardes, Stanislas Colodiet revient sur les années Supports/Surfaces, expression inventée par Vincent, en août 1970, au cours d’un dîner chez Claude Viallat, en prévision de l’exposition à l’ARC au musée municipal [sic] d’art moderne de la ville de Paris, du 23 septembre au 15 octobre. Le groupe se divise à partir de l’exposition au théâtre de Nice en juin 1971. Au printemps 1972, Vincent rédige sa lettre de démission. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2019/08/de-la-modernite-classique-de-vincent-bioules.html
Clic-clac, Éric Sander démasqué, le photographe photographié © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Vincent Bioulès, L'automne en mon jardin, 2016. Huile sur toile. Collection privée.
Saison d’art 2024
30 mars - 27 octobre 2024
Domaine de Chaumont-sur-Loire Centre d’arts et de nature
https://domaine-chaumont.fr/fr/centre-d-arts-et-de-nature/saison-d-art-2024
Catalogue Vincent Bioulès. Paysages. Textes Apothéose de la couleur, Chantal Colleu-Dumond ; Un lien essentiel avec la nature, Marie-Hélène de La Forest Divonne ; Entretien entre Vincent Bioulès et Michel Hilaire. Belle mise en page de cet ouvrage de 118 pages avec gardes et contre-gardes verte et rose. Éditions Domaine de Chaumont-sur-Loire. Prix 26 € (service de presse).
Patrick Poirier, Chantal Colleu-Dumond, Anne Poirier © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, printemps 2024.
Festival international des jardins 2024
24 avril - 03 novembre 2024
Le thème de l’édition 2024 : Jardin source de vie, précise Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine et du Festival international des jardins démontre que le jardin réunit, de manière prodigieusement condensée, un nombre considérable des forces du vivant. Peut-être est-il d’ailleurs le lieu du vivant par excellence. Haut lieu de pollinisation, de multiplication, de développement exponentiel de la végétation dans toute sa diversité, mais aussi foyer d’une vie animale.
De Soli Vivi de Virginie Alexe, paysagiste et jardinière & Livia Kolb, paysagiste et illustratrice à la bien nommée Ville des pollinisateurs de Scott Biehle, paysagiste & Fiorella Sibaja et Kara Simmons, étudiantes au jardin primaire de Perrine Malautier et Anatole Lasseur, paysagistes-concepteurs.
https://domaine-chaumont.fr/fr/festival-international-des-jardins/edition-2024-jardin-source-de-vie
Prolonger ce déplacement chaumontais en séjournant à l’hôtel Le Bois des Chambres, considéré par le National Geographic Traveller UK comme le deuxième meilleur hôtel écologique du monde, et dîner à son restaurant gastronomique Le Grand Chaume. https://leboisdeschambres.fr/