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LE CURIEUX DES ARTS

LE CURIEUX DES ARTS

Curieux des arts, observateur de l'actualité artistique. Focus sur l'Italie. Exposition. Musée. Opéra. Théâtre. Musique. Festival. Livre. Biennale. Salon. Marché de l'art. Entretien.


Des bijoux qui rendent fou !!! Le Petit Palais sort de sa réserve…

Publié par Marie-Christine Sentenac sur 2 Mai 2025, 14:06pm

Marie-Christine Sentenac

 

Charles Jacqueau (1885-1968) pour la Maison Cartier (1847-…), Coiffe de Maharadjah, années 1920. Crayon graphite, encre noire et gouache sur papier translucide. Paris, Petit-Palais. Donation famille Jacqueau, 1998 © photographie Marie-Christine Sentenac.

De merveilleux dessins, des estampes, des photographies, des maquettes et de somptueux bijoux protégés de la lumière dans les sombres réserves du musée, plus de cinq mille sept cents œuvres méconnues, sont montrées pour la première fois en France, DESSINS DE BIJOUX, Les secrets de la créationExposition sous le commissariat magistral de Clara Roca, conservatrice du patrimoine au Petit Palais, chargée des arts graphiques des XIXe et XXe siècles et de la photographie.

Charles Desrosiers (1865-1927), Projet de collier Fuchsias, vers 1905. Crayon graphite et gouache sur papier translucide BFK Rives contrecollé sur papier bleu. Paris, musée des Arts décoratifs  //  Collier Fuchsias, Georges Fouquet, d’après un modèle de Charles Desrosiers, Collier Fuchsias, vers 1905. Or, émaux à jour sur paillons, diamants, perles et opales. 23 x 13 cm. Petit-Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Achat à Georges Fouquet, 1937 © photographie Marie-Christine Sentenac.

La  collection de dessins de bijoux – du Second Empire au milieu du XXe siècle - du musée du Petit Palais, constituée en 1998 seulement, a pu voir le jour grâce à la donation des fonds complets des descendants de Pierre-Georges Deraisme (près de sept cents œuvres et une centaine de modèles en alliage métallique) et Charles Jacqueau (4 400 œuvres) qui se sont rajoutés au legs de quelques pièces Renaissance des frères Dutuit en 1902, aux créations Art-Nouveau données en 1916 par le collectionneur Jacques Zoubaloff, des achats en 1937 auprès du bijoutier Georges Fouquet et du transfert au Petit Palais des joyaux du musée Galliera en 1979.

Vever Frères, d’après un modèle d’Eugène Grasset, Peigne  Cygnes et nénuphars vers 1900. Ivoire, or repoussé, émail cloisonné translucide et opaque, 15,5 x 9,5 x 0,5cm. Petit-Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Don d’Henri Vever, juin 1925 © photographie Marie-Christine Sentenac. Présenté lors de l’exposition universelle de 1900. Qualifié de  " bijou de peintre ".

La collection, c’est sa spécificité, représente l’intégralité du processus créatif du dessin de bijou. En y entrant, le dessin change de statut et prend ici ses lettres de noblesse; le document de travail devient une feuille artistique. Les dessinateurs, praticiens ou non, sortent de l’anonymat et sont considérés comme des créateurs. On connaît enfin la main à l’origine de tant de beauté. Parcours en quatre sections des sources d’inspiration à la naissance du dessin, jusqu’à sa survivance en passant par la mise en œuvre et la réalisation des pièces.

Charles Jacqueau qui a principalement travaillé pour Cartier et Pierre-Georges Deraisme, ciseleur pour Lalique avant d’ouvrir sa boutique, ont gardé leurs études bien rangées dans des cahiers, en vue de remploi, alors que la plupart du temps les recommandations de fabrication passées de mains en mains ont été détruites ou dans un piteux état.

René Lalique (1860-1945), concepteur du modèle et Pierre-Georges Deraisme (1859-1932), ciseleur, Boîtier de montre Pommes de pin, vers 1900. Or, émail translucide à jour, contre-émail opaque. Paris, musée des Arts-Décoratifs © photographie Marie-Christine Sentenac.

La nature est leur principale source d’inspiration comme pour leurs prédécesseurs du XVIIIe siècle alors que la botanique sous l’impulsion de Carl von Linné est en plein essor. Ils observent sur le motif, à la campagne, au jardin botanique. René Lalique dispose dans sa chambre des fleurs coupées afin de les étudier, il va observer et photographier les demoiselles et libellules (emblématiques de son travail) dans l’étang du parc de la Benneterie à Clairefontaine-en-Yvelines, près de Rambouillet, où il acquiert une propriété conçue comme un lieu de contemplation et de contact avec le monde animal et végétal.

Cartier Paris (1847-…), Bracelet Chimères, 1929. Platine, diamants, saphirs, émeraudes, cristal de roche. Collection Cartier © photographie Marie-Christine Sentenac.

Cartier Paris (1847-…), Bracelet rigide Chimères, 1928. Or émaillé, corail sculpté, saphirs, diamants, émeraudes, onyx. Collection Cartier © photographie Marie-Christine Sentenac.

Dessinateur non identifié, pour la Maison Cartier Paris (1847-…), Bracelet Chimères1928. Crayon graphite, encre et gouache sur papier translucide. Paris, archives Cartier © photographie Marie-Christine Sentenac.

Ils fréquentent les musées, les bibliothèques publiques, Charles Jacqueau a accès à la bibliothèque de la Maison Cartier où parmi de nombreux ouvrages hétéroclites il pioche un répertoire de formes parmi les recueils d’ornements et les publications scientifiques. Ils reprennent à leur profit la théorie d’Owen Jones - Grammaire de l’ornement (1856) - selon laquelle " il est impossible de faire du neuf sans l’aide du passé ". Ils connaissent les recueils gravés et imprimés d’ornements et de modèles de bijoux du XVIe siècle, de formes prêtes à l’emploi, les copient, les décalquent, s’en s’inspirent. Ils se penchent sur l’égyptologie, l’Inde, le Japon et la Chine, les tissus, les poteries, l’architecture, l’antiquité grecque et romaine, la préhistoire. Ils reproduisent, interprètent… Où l’on voit qu’ils ont des intérêts qui dépassent largement le domaine de la joaillerie et " font feu de tout bois " avec une rigueur quasi scientifique. Ils abolissent la hiérarchie entre Beaux-arts et Arts-déco.

Le cahier d’idées fait de bric et de broc de Charles Jacquot serait-il l’ancêtre de l’actuel " moodboard " si en vogue auprès des créateurs branchés ?

Dessinateur non identifié pour la maison Cartier Paris (1847 -...) Nécessaire Dragon, 1926. Crayon graphite, encre et gouache sur papier translucide. Paris, archives Cartier © photographie Marie-Christine Sentenac.

Antique, Classique, Renaissance, néo-XVIIIe, Art-Nouveau, Art-Déco…chaque Maison invente son style. Le dessin est le document de référence pour la création d’un bijou qui mobilise différents corps de métiers sous l’œil affûté du chef d’atelier; modeleurs, graveurs, ciseleurs, reperceurs, émailleurs, joailliers, sertisseurs, enfileurs, pour finir dans les mains du polisseur qui lui donne tout son éclat.

Formés dans les écoles d’art ou sur le tas dans les ateliers, les dessinateurs sont parfois également praticiens (cf Deraisme). Les croquis préparatoires cèdent la place à des dessins rigoureux soumis à des codes excessivement précis que chacun se doit de respecter. Le bijou doit impérativement être représenté à l’échelle 1, c’est-à-dire en taille réelle. Selon les Maisons les détails, par exemple les couleurs qui symbolisent les pierres peuvent varier. Les matériaux, l’articulation de la monture, le placement des gemmes minutieusement signalé, la lumière doit toujours venir de l’angle supérieur gauche frappant les arêtes des joyaux, créant l’illusion du volume. Dessin technique remis au chef d’atelier, soumis aux allers- retours pour ajustements ou précisions, à la direction artistique pour validation, à la clientèle pour approbation.

Étui quatre saisons (verso), vers 1945. Crayon graphite, encre et gouache au recto. Gouache au verso sur papier translucide © Marie-Christine Sentenac.

Mise au net puis gouaché, étape ultime du projet qui doit être intelligible par tous. Le gouaché, comme son nom l’indique privilégie la gouache car elle adhère à tous les supports et permet, diluée, des effets de transparence ou épaisse, couvre toute la surface. Les papiers colorés sont choisis pour représenter les diamants, les papiers translucides recto-verso évoquent les reflets lumineux à la surface des éléments les plus saillants des pierres et suggèrent un relief. On remarquera parfois des différences entre l‘étude et sa réalisation, dues aux contraintes techniques, au choix des matières et des pierres.

Un marché parallèle de collectionneurs s’est développé. L’entrée d’une feuille dans la collection du Petit Palais, lui accorde une seconde vie, une valeur historique, patrimoniale et juridique Elle survit au bijou parfois démembré, fondu, détruit. Les Maisons toujours en activité les préservent, les exposent, reconstituent leurs archives, les mettent à disposition des générations nouvelles qui s’en inspirent à leur tour.

Une vidéo tournée à la Haute École de Joaillerie permet d’apprécier la finesse du travail des gouacheurs et la maîtrise de leur savoir-faire, gestes intemporels qui perdurent au fil des générations dans tous les métiers artisanaux.

Léon Bonnat, Madame Georges Ehrler [née Pauline-Joséphine Desouches (1836-1908)], 1880. Huile sur toile. Don de madame Soyer, fille du modèle, en 1908 au Petit Palais - Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.  Cette œuvre est reproduite, sous le n°178, dans Léon Bonnat. Le portraitiste de la IIIe République, Catalogue raisonné des portraits rédigé par Guy Saigne, publié en 2017.  Selon cet historien de l'art, Mme Ehrler porte une robe qui pourrait être de Jean-Philippe Worth, un des fils de Charles Frederik le fondateur de cette maison, dans le style Louis XIII, imitant un pourpoint avec pointes métalliques au bout de l'échelle de rubans et dentelles au point de Venise.

En fin de parcours, une vitrine, encadrée par deux portraits de femmes du monde de Paul Baudry, Madame Louis Singer [née Thérèse Stern] (1884) et Léon Bonnat, offre une sélection d’éblouissants bijoux de la collection du Petit Palais rarement exposés. 

 

© photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.

 La scénographie de Violette Cros immerge le visiteur dans l’univers d’un atelier en recréant les verrières, puis le mobilier spécifique, grandes tables plates des bibliothèques, pupitres de bureaux d’études, établis et vitrines écrins pour confronter dessins et bijoux exécutés.

© photographie Marie-Christine Sentenac. L’affiche de l’exposition reproduit de Raymond Subes, Collier, années 1910. Crayon graphite et gouache sur papier gris, 23,8 × 16 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Achat, 2007.

DESSINS de BIJOUX. Les secrets de la création

1er avril – 20 juillet 2025

Commissariat général Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du Petit Palais - Commissariat scientifique Clara Roca, conservatrice du patrimoine, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, chargée des arts graphiques des XIXe et XXe siècles et de la photographie.

Petit Palais https://www.petitpalais.paris.fr/

Le catalogue reproduit, à l’échelle 1 qui respecte le principe crucial du dessin technique, tous les documents présentés. Conception graphique Arnaud Roussel. 232 pages. 225 images. Paris- Musée. Diffusion Flammarion (39 euros). En service de presse.

https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/dessins-de-bijoux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clara Roca © photographie Marie-Christine Sentenac.

Autre exposition au Petit Palais : Worth. Inventer la haute couture - 07 mai - 07 septembre 2025

Commissariat général : Annick Lemoine, conservatrice générale du patrimoine, directrice du Petit Palais & Miren Arzalluz, directrice honoraire du Palais Galliera (où elle fut en poste de janvier 2018 à mars 2025) ; directrice générale du Musée Guggenheim Bilbao depuis le 1er avril 2025 - Commissariat scientifique : Sophie Grossiord, directrice par interim du Palais Galliera, conservatrice générale du patrimoine, responsable des collections mode début du XXe siècle jusqu'à 1947, Marine Kisiel, conservatrice du patrimoine, responsable des collections mode du XIXe siècle et Raphaële Martin-Pigalle, conservatrice en chef du patrimoine, département des peintures modernes (1890-1914) du Petit Palais. Assistées d'Alice Freudiger et Jacqueline Dumaine

https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/worth-

 

 

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