Gilles Kraemer
avril 2025
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Les liaisons dangereuses. Delphine Depardieu & Valentin de Carbonnières © photographie Cédric Vasnier
" Si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure, n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ? .
Oublions toutes adaptations des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos et surtout celle cinématographique de Stephen Frears en 1988 avec Glenn Close et John Malkovich, il y a … 37 ans.
Dans l’écrin vieux rose et or de la Comédie des Champs-Élysées, Arnaud Denis a adapté et mis en scène Les Liaisons dangereuses, roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803). Publiées 6 années avant la fin de ce temps du " plaisir de vivre " – enfin pour quelques-uns – qu’évoquait le jeune boiteux libertin Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, songeant aux années d’avant la Révolution.
La langue ciselée et précise de Laclos est le parangon des amateurs de " curiosa ", langue qu’abhorrent des modernes se proclamant bien pensant, dénonçant un passé sans chercher à le comprendre. Arnaud Denis n’est nullement l’Anastasie du roman de cet officier d’artillerie qui fit scandale à sa publication en 1782. S’il a touché le texte, il n’a fait que l’effleurer, ne succombant pas à la modeuse et insupportable manie d’enter par la force des expressions actuelles dans le texte, comme si le public était considéré bête au point de ne pas entendre ou comprendre les mots d’un autre siècle. Défloration commandée, allusion saphique, nuit de noce violente, libertinage, vengeance d’une femme abandonnée par son amant, initiation au plaisir, l’on ne s’interdit rien dans ses jeux des amours et des non hasards, enfin pour ceux à qui la naissance et le patrimoine permettent d’être détachés de toutes contraintes. Et ne songeant, par un jeu malsain, qu'a nuire à la réputation et au rang d’autrui.
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Les liaisons dangereuses. Delphine Depardieu & Marjorie Dubus © photographie Cédric Vasnier
Quelques sièges, une bergère prête aux rapides coïts, la coiffeuse du boudoir de la marquise de Merteuil, des toiles peintes évoquent les espaces créés par Jean-Michel Adam, entre la demeure parisienne de la marquise et le château en Bourgogne au grand escalier chez madame de Rosemonde, toiles permettant les changements rapides.
Lumières de Denis Koransky, dans des graduations d’éclairage à la bougie. Costumes du temps, du XVIIIème de David Belugou, pli Watteau pour Merteuil comme si elle était toujours en représentation, tenue petite ingénue de Cécile, habit obligatoirement noir de Rosemonde. Perruqués et visages blanchis, comme il en était de coutume, pour le couple infernal, avec cet instant de violence paroxystique lorsque Valmont enlève à Merteuil sa perruque. Elle n’est plus en représentation, la vérité de son abjection en est des plus criante dans ce jeu avec le feu.
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Les liaisons dangereuses. Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers & Michèle André © photographie Cédric Vasnier
Le quatuor de ce jeu tournant au drame entre le duo manipulateur et celui des manipulées. Au milieu Michèle André/ madame de Rosemonde, tante de Valmont dont elle est bien consciente de la mentalité perverse mais l’acceptant. Un scélérat dont la testostérone l’amuse, un chenapan, un fripon comme elle le qualifie. Elle aussi joue avec le feu, se rendant parfaitement compte du jeu de séduction de son neveu adoré à l’égard de Tourvel et de Volanges qu’elle aura prévenues.
Marjorie Dubus/ Cécile de Volanges, cousine de madame de Merteuil. 15 ans, âge normal pour se marier, si l'on se replace dans le contexte du 18ème, où la cinquantaine était la vieillesse. Quittant le couvent pour épouser le comte de Gercourt, l’ancien amant de Merteuil, cet élément sera le déclencheur de l’ire de la marquise. Tigresse blessée, seule la vengeance lui permettra de griffer cet affront. Candeur de l’innocente Cécile au début de l’action et transformation rapide sous les mains expertes de Valmont, lui enseignant l’ouverture des portes du " serpent " et de " la grotte d’amour ", jetant avec plaisir sa gourme.
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Les liaisons dangereuses. Salomé Villiers & Valentin de Carbonnières © photographie Cédric Vasnier
Toute en retenue, Salomé Villiers/ présidente de Tourvel. 22 ans et pieuse. Un long séjour chez la bonne madame de Rosemonde, son époux étant absent. Un peu naïve à l’égard de Valmont, n’ayant pas perçu la veulerie du rouet, alors qu’elle a été prévenue. Il saura jouer avec perfidie le repentir pour la séduire et l’emprisonner dans ses rets.
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Les liaisons dangereuses. Delphine Depardieu & Valentin de Carbonnières © photographie Cédric Vasnier
Veuve au bout de trois ans d’un riche barbon qui eut la bonne idée de mourir, Delphine Depardieu est LA marquise de Merteuil, l’instigatrice des malheurs et de son propre malheur. Le visage toujours impassible, ne rien montrer face à son monde où règne la comédie des bonnes mœurs. La narration de sa nuit de noce, un viol conjugal, violence qu’elle ressent toujours, sera le moment où elle dévoilera la détresse de son sexe. Cette origine de la vengeance qu’elle a adoptée et fait sienne. Une cuirasse face aux hommes. Prix du Brigadier de l’année 2024 pour cette interprétation.
Vicomte séducteur mais vaincu moralement par la présidente, la seule femme aimée d’amour, Valentin de Carbonnières a endossé les habits de Valmont, le séducteur invétéré. Costume à la française un peu trop sage ; l’on aurait espéré un gilet brodé, orné de fleurs et de branches – comme les hommes en portaient - pour ce conquérant réduisant l’amour à un tas de fumier, je suis le coq qui y chante tous les matins. Si coq il l’est, il n’est que le jouet de Merteuil qui saura le manipuler jusqu’à la dernière extrémité.
Parfaite interprétation de Pierre Devaux et Guillaume de Saint Sernin, le chevalier et le serviteur.
Dernière image, Delphine Depardieu, entre le vicomte et la présidente morts. Après s’être longuement scrutée dans son miroir reflet impartial de son âge, s’avançant vers nous, le visage décomposé, le rouge à lèvres défait. Au fond, une longue table couverte de bougies, plus les flammes de l’Enfer qu’une veillée funèbre, Une image à la Don Giovanni. Mozart, 1787, drame qualifié de joyeux, crée deux années avant la Révolution.
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Les liaisons dangereuses (1782) d’après le roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803)
Adaptation et mise en scène d’Arnaud Denis
Décors Jean-Michel Adam - Costumes David Belugou
Lumières Denis Koransky - Musique Bernard Vallery
Delphine Depardieu, marquise de Merteuil
Valentin de Carbonnières, vicomte de Valmont
Salomé Villiers, présidente de Tourvel, elle a 22 ans
Michèle André, madame de Rosemonde, tante du vicomte de Valmont
Pierre Devaux, chevalier Danceny, professeur de musique de mademoiselle de Volanges
Marjorie Dubus, Cécile de Volanges, cousine de madame de Merteuil, elle a 15 ans
Guillaume de Saint Sernin, valet de madame de Merteuil
Les liaisons dangereuses - Comédie des Champs-Elysées – Paris
depuis le 20 septembre 2024, prévu jusqu’au 29 décembre, prolongé en 2025. https://www.comediedeschampselysees.com/