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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (envoyé spécial)

" Redonner une place à Marcelle Cahn ", souligne Aurélie Voltz, directrice du MAMC+, présentant cette exposition Marcelle Cahn. En quête d'espace initiée et co-produite avec le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg - où l’artiste naît en 1895 - et le musée des Beaux-Arts de Rennes - Marie Berhaut en étant la directrice, elle participe, en 1961, à l’unique exposition du groupe Mesure dans cette institution -. (1)

Au premier plan, Deux nus blancs, 1925. Huile sur toile. 71 x 80 cm.. Collection SC Murs jaunes Lyon. Au second, Le pot, 1926. Huile sur toile. 98 x 85 cm.. Liège, collection de la Fédération Wallonie-Bruxelles © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+. Le pot est reproduit dans le catalogue de l’exposition de la Société anonyme organisée au Brooklyn Museum de New York en novembre 1926.

Exposition dans l’air du temps - préoccupation actuelle de bien des musées -  en choisissant de montrer une femme dont l’on ne cessera de dire, dans les essais du catalogue " son invisibilisation trouve probablement son origine dans le refus de positionnement théorique et stratégique de l’artiste puis de souligner que dans un siècle de marqueurs identitaires, elle fit le choix de n’appartenir à aucune école ni aucun regroupement d’artistes, et passa pratiquement sous silence ses origine juives, ainsi qu’une grande partie de sa vie personnelle " (Cécile Godefroy) en précisant que " La carrière de Marcelle Cahn est ponctuée de points de suspension, de présence discrète, de disparitions subites et d’éparpillement "(Serge Lemoine).

En la définissant : " célibataire ostracisée " (Anne Montfort-Tanguy dans son essai à l’appel duchampien La modernité mise à nu par sa célibataire, même). Femme, célibataire, ostracisme… A Athènes, l’ostracisme n’était que de dix années. Le sexe et la vie privée doivent-ils être les critères importants pour apprécier et exposer un.e créateur. trice ? " Le paysage muséal se montre encore trop avare en rétrospectives consacrées aux femmes " ; qu’ajouter de plus après cette préface du catalogue ? (2)

Composition abstraite, 1925. Huile sur toile. 72,5 x 54 cm.. Collection Coleçao Berardo, Lisbonne  //  Composition puriste ou Le tram, 1925. Huile sur toile. 73 x 54 cm.. Centre Georges Pompidou, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Exposer son œuvre, " c’est rendre hommage à cette ambassadrice du musée de Saint-Étienne ", explicite, dans le catalogue, Bernard Ceysson - enfant du pays, il fut de septembre 1967 à 1986 conservateur puis directeur de cette institution en succédant à Maurice Allemand, puis éphémèrement directeur du musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou pour une année et, de 1987 à 1998 de nouveau directeur du musée d’Art moderne de Saint-Étienne et des musées de Saint-Étienne - dans un entretien dans le catalogue accompagnant cette exposition. Ambassadrice par ses liens d’amitié tissés avec Maurice Allemand dès 1957 lors de la préparation de l’exposition Art abstrait : les premières générations (1910-1939). C’est par son intermédiaire que de nombreux artistes, auprès desquels elle intercédait, offrirent des œuvres au musée stéfanois : Aurélie Nemours, Nicolas Schöffer, Arden Quin, André Bloc, Alicia Penalba, Léon Tutundjian ou Marta Pan. Le parcours de cette exposition se prolonge par une section spécifique à Saint-Étienne consacrée à une quarantaine d’œuvres issues de la collection du MAMC +. 

Une exposition de l’amitié, 50 années après. Les liens de Marcelle Cahn se poursuivirent lors de son exposition rétrospective itinérante en France, initiée à Saint-Étienne en avril-mai 1972; elle est organisée par le Centre national d’art contemporain, co-commissariat de Daniel Abadie et Bernard Ceysson. Cinquante ans après, l’exposition stéphanoise de 2022 célèbre la continuité de cette amitié muséale à travers une œuvre de cette artiste offerte par Bernard Ceysson au musée : Atmosphère bleue (1966) qui figura à l’exposition de 1972. En 1980, Marcelle Cahn donne plus de 350 œuvres et des archives personnelles avec sa correspondance personnelle et professionnelle au musée d’art moderne de Strasbourg. Les archives, apprend-on, ne seront exploitées, qu’en 2020, pour la préparation de cette exposition itinérante. Un petit oubli !

Salle Autour du purisme © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+. 

Pas facile de la placer dans une case de l’histoire de l’art, précise Alexandre Quoi, dans la liberté de son parcours et sa diversité, dans les zones d’ombres émaillées sa vie. La scénographie523 très limpide, dans son jeu d’ouvertures et de meurtrières participe à la monstration de la porosité de son œuvre. Un espace largement ouvert dans un parcours chrono-thématique.

Comment ne pouvait-t-elle pas être frappée, dans sa jeunesse, par la vision de l’iconique Retable d’Issenheim porteur d'une force émotionnelle, religieuse, esthétique, bouleversant dans l'expressivité de ses personnages De formation académique à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, elle fréquentera l’atelier de Lovis Corinth lors de son séjour berlinois de 1914 à 1918. Retour à Strasbourg après la défaite de l’Empire allemand. Séjours entre Paris et Strasbourg avec sa mère très présente dans sa vie. Regard vers Cézanne, vers le cubisme puis le purisme d’Amédée Ozenfant (1886-1966).

Les trois raquettes, 1926. Huile sur toile. 59 x 70 cm.. Musée d’Art et d’Histoire, Cholet  //  Femme à la raquette, 1927. Huile sur toile. 73 x 53 cm.. Maçon, Musée des Ursulines  //  Avion. Forme aviatique, 1930. Huile sur toile. 62 x 73.5 cm.. Saint-Étienne, MAMC+ © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Salle Autour du purisme © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+. 

Abstraction dans la couleur avec Le lavabo (1925) et le magnifique Pot (1926) nous accueillant par la force et la simplicité de leur majesté dans la section Autour du purisme. Écriture figurative dans la construction rigoureuse de la ville La rue (1927). En 1929, elle rejoint le groupe Cercle et carré à l’invitation de Michel Seuphor et participe, en 1930 à la première et unique exposition de ce mouvement. Magique présence d’Avion. Forme aviatique (1930, collections de Saint-Étienne), dans une palette de synthèse dynamique construite de diagonales énergiques, une peinture dans un halo lumineux et éblouissant ; son cartel y voit une évocation de la traversée sans escale de l’Atlantique, Paris - New York en 1930 par Costes et Bellonte à bord du Le Point d’interrogation, après 37 heures de vol. Regard aussi vers Les trois raquettes et Guitare et éventail, des années 1926. Cette salle est d’une immense force et impose Cahn comme une grande, une grande artiste tutoyant ses pairs ; l’immense siège rond au milieu de la salle ne peut qu’inciter à rester en contemplation devant de telles œuvres, d’une forte prégnance.

Je tiens à cette liberté. Elle vivifie les choses strictes. Marcelle Cahn.

Sans titre (projet pour spatial), 1966. Collage sur boite de médicament. Collection particulière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Affiliée à aucune école, elle s’adonne au dessin de nombreuses années, des nus féminins et des visages, aux traits appuyés ou évanescents. Elle est libre, totalement libre, elle peut tout se permettre insiste Alexandre Quoi. Ce qu’elle sera tout au long de son parcours, un parcours de liberté même si elle adhère à la Société des artistes indépendants avec laquelle elle expose dès 1927 puis périodiquement jusqu’à 1972. Même si cette liberté la place dans la pauvreté doublée de problèmes oculaires graves et d’une santé fragile. Sa petite sculpture, faite en 1966, avec du carton, une boite de Valium 2 mg, est évocatrice des difficultés financières dans lesquelles elle se débat dès 1925. Enfant de la bourgeoise strasbourgeoise, à l’abri de difficultés dans sa jeunesse, revers de fortune au crépuscule de sa vie, elle intègre en 1969, la fondation Galignani, une maison de retraite parisienne pour artistes, grâce à l’appui du ministre des Affaires étrangères Michel Debré, un parent.  

Salle des tableaux-reliefs © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Apres la Seconde Guerre mondiale, regard vers l’abstraction géométrique, elle participe régulièrement au Salon des Réalités nouvelles. Son langage de liberté s’exprime dans ses Tableaux-reliefs, l’artiste incisant dans un support bois peint de blanc des traits noirs parallèles ou perpendiculaires induisant des figures géométriques, des architectures, des cercles, dans des ponctuations de couleurs.

Salle des compositions spatiales © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Salle des collages © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Sur les conseils du Suisse Gottfried Honegger, elle s’envole de la surface plane et tutoie le volume, la structure. Sa conquête de l’espace, ce sont les Objets cosmiques dénommés Spatial, des sculptures se fermant et se dépliant. 1976, année de deux commandes publiques, dans le cadre du 1%, passées par Serge Lemoine à l’époque conseiller artistique de la région Bourgogne : Spatial C pour le collège Paul Fort d’Is-sur-Tille et Plan dans l’espace avec sphère pour le collège du Parc à Dijon. Puis, sa démarche sera celle du collages faits de petits riens, de papiers de couleurs, d’enveloppes, de morceaux de journaux, de cartes postales " enluminées " de gommettes colorées selon le mot de Serge Lemoine.

(1)  Présentée en premier au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, du 29 avril au 31 juillet 2022, cette exposition sera visible au musée des Beaux-Arts de Rennes cet été 2023. Son format varie, à chaque étape, en fonction de l’institution.

(2) Se souvenir de Viera da Silva et Élisabeth Louise Vigée Le Brun, au Grand Palais, respectivement en 1988 - il y a 34 ans - et à l’automne 2015. Sonia Delaunay en 1967 - il y a plus d'un demi-siècle - et à l’automne 2014 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Frida Kahlo à Rome au printemps 2014.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Marcelle Cahn. En quête d'espace

15 octobre 2022 - 5 mars 2023

MAMC+ - Saint-Étienne

Commissariat général Cécile Godefroy - Commissariat associé : Alexandre Quoi, responsable du département scientifique du MAMC+ & Barbara Forest, conservatrice en chef du Patrimoine au MAMCS Strasbourg.

Plaquette remise aux visiteurs.

Catalogue commun aux trois liens d’exposition. Essais de Serge Lemoine, Cécile Godefroy, Barbara Forest, Sophie Goetzmann, Anne Montfort-Tanguy, Domitille d’Orgeval, Isabelle Ewig. Entretien de Bernard Ceysson avec Alexandre Quoi : Une ambassadrice du musée de Saint-Étienne. Entretien croisé Serge Lemoine, Cécile Godefroy & Alexandre Quoi Autour de l’Hommage à Dijon. Version anglaise des essais, entretiens et biographies. L’on aurait souhaité l’avis de Daniel Abadie, co-commissaire de l’exposition de 1972, alors que son confrère Bernard Ceysson le suggère dans le catalogue. Difficile décryptement de la liste des œuvres exposées. Dommage que les qualités des auteurs ne soient pas précisées à l’en-tête de leurs propos. Co-éditions musées de Strasbourg, musée d'art moderne et contemporain de Saint-Eetienne Métropole et musée des Beaux-Arts de Rennes. 344 pages, 360 illustrations. Prix : 44 €.  

Le musée se trouve à l’extérieur de la ville de Saint-Étienne, à Saint-Priest-en-Jarez - Plein tarif : 6,50 € - Tramways T1 ou T3.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Autres expositions au MAMC+ - 19 novembre 2022 - 10 avril 2023

Marc Camille Chaimowicz. Zig Zag and Many Ribbons. L’artiste (né en 1947 ; date de naissance non indiquée sur le site de cette institution) fait dialoguer plus de quatre-vingt de ses œuvres conçues depuis les années 1960 avec une trentaine de pièces issues des fonds du MAMC+. Commissariat d’Aurélie Voltz.

Nathalie du Pasquier © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.

Guerrilla Girls © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Saint-Étienne, MAMC+.  https://www.poitiers.fr/guerilla-girls-femmes-en-actions  Les Guerrila Girls apparaissent sur la scène de l’art contemporain en 1985.

The House of Dust. Collections au féminin (1960-2020). L’exposition emprunte son titre à une œuvre de la plasticienne et poétesse étasunienne Alison Knowles récemment acquise par le musée. Co-fondatrice du mouvement Fluxus, elle crée en 1967 The House of Dust, une installation multimédia. De Magdalena Abakanowicz à Geneviève Asse et les Guerrilla Girls, d’Anna-Eva Bergman à Nathalie Du Pasquier, d’Annette Messager à Tania Mouraud, de Nathalie Talec à Tatiana Trouvé et Jackie Winsor. L’exposition bénéficie d’un partenariat avec le Centre national des arts plastiques qui prête une cinquantaine d’œuvres, dont la majorité rejoindra en dépôt la collection du Musée. Commissariat d’Alexandre Quoi.

 

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