Hamlet, la funambule mise en scène de Krzysztof Warlikowski - Opéra national de Paris
Gilles Kraemer
première, samedi 11 mars 2023 (place achetée, parterre)
Ludovic Tézier & Lisette Oropesa - Hamlet par Krzysztof Warlikowski © Ber Uhlig - Opéra national de Paris
Est-ce un problème mais, au 20ème rang, les voix avaient quelques difficultées à arriver distinctes dans la salle en franchissant l’orchestre au début de la représentation avant de trouver tout leur éclat au cours de la soirée. Ce n’est nullement la direction lumineuse et remarquable de Pierre Dumousseau, qui en est la cause, à la tête du splendide orchestre de l’Opéra national de Paris, dans toute la plénitude de ses cordes, de ses cuivres et de son solo de saxophone sur le plateau. Comme s’il avait toujours dirigé un opéra dans l’immense vaisseau Bastille, comme s’il existait une connivence si palpable et visible entre lui, l’orchestre et aussi le plateau qu’il sait regarder…lui… et soutenir. Si Pierre Dumousseau était invité par le directeur général une nouvelle fois, quelle excellente nouvelle !
Trop immense le plateau pour cet opéra fait pour le Palais Garnier qui deviendra un airbnb le 16 juillet 2023 à 37 euros, dîner compris, reste la question du fantôme à régler. Manifestement la direction ne sait plus quoi inventer pour buzzer autour du grand vaisseau que les roues dorées d'un tracteur n’ont pas réussi à sortir de l’ornière... (1)
Ludovic Tézier & Eve-Maud Hubeaux - Hamlet par Krzysztof Warlikowski © Bernd Uhlig - OnP
Quelques difficultés de compréhension dès le lever de rideau de cette 378ème représentation à l’OnP et à cette 1ère dans cette mise en scène si reste en mémoire la représentation de cet opéra à l’Opéra Comique en janvier 2023.
Le programme est coi, aucun texte - manifestement tout doit être cérébral - des intentions du metteur en scène Krzysztof Warlikowski qui a conquis les différents administrateurs depuis 2006 à défaut du public et surtout des abonnés. Un bail. Dix mises en scène. Pour cette 11ème apparition, nullement celle du spectre, se serait-il calmé, assagi de sa prégnante volonté de chambouler le livret, d’affadir les chanteurs et de remuer ces bourgeois de regardeurs à 190 € le ticket en optima ce soir de première. Présence du président de l’IMA et de l’ancienne ministre de la rue de Valois, rayonnante. Directeur très attentionné ce soir auprès de ses nombreux invités du rang 15. Il fallait être ici, ce samedi soir. Et, la veille au TCE pour la première de Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias avec Sabine Devieilhe qui chanta Ophélie, en janvier, à l'Opéra Comique.
Pour une fois les incontournables lavabos dans lesquels Iphigénie vomissait bruyamment ont laissé place à un autre élément culte de la salle de bain brevetée warlikowskienne : la baignoire. Ophélie/ Lisette Oropesa s’y noie. Même le changement climatique a gagné le Danemark et les rivières du royaume sont à sec ! (2)
Hamlet par Krzysztof Warlikowski © Bernd Uhlig - OnP
Hamlet à la Bastille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 11 mars 2023.
De ce royaume nordique nulle trace de splendeurs. Un asile psychiatrique l’a remplacé, Charenton est à la Bastille. Hamlet/ Ludovic Tézier est-il réellement fou ou simule-t-il pour tirer facilement le fil de la vengeance auquel le pousse le spectre de son père/ Clive Bayley occis par oncle Claudius/ Jean Teitgen devenu son beau-père en épousant deux mois après sa belle-sœur, la reine Gertrude/ Ève-Maud Hubeaux ? Superbes décors de Małgorzata Szczęśniak, impressionnants, de très hautes fenêtres, des grillages, glacial à souhait dans cette immensité où les chanteurs sont devenus des pantins du destin qu’ils ne maîtrisent pas. Lieu où toute l’action se déroule avec parfois des vidéos du visage en gros plan du spectre ou de la Lune. Ne dit-on pas que Séléné, pleine, a une mauvaise influence sur l’homme ? Les lumières géniales de Felice Ross.
Pour les costumes, également Małgorzata Szczęśniak, c’est tout le contraire du bon goût avec la clochardisation d’Hamlet à l’acte I, la nunuche robe blanche puis le costume d’écolière d’Ophélie. Un joyeux pillage dans une friperie pour tous les figurants.
Ludovic Tézier & Eve-Maud Hubeaux. Vidéos représentant le spectre du roi défunt Clive Bayley - Hamlet par Krzysztof Warlikowski © Bernd Uhlig - OnP
Évacuons quelques questionnements. Un homme qui tricote. Les oranges qu’Ophélie trimbale dans son filet à provisions puis dans un cageot - vieux poncif du malade auquel l’on apporte des oranges – qu’elle distribuera au chœur pour qu’il les agite. Le chœur, hommes et femmes en tutu, devenu corps de ballet, obligé d’effectuer quelques pas de danse. Que le metteur en scène ne fait-il pas faire au chœur ! Ophélie chantant dans les bras d’un danseur, nullement à l’aise mais n’en laisse rien paraître. L’effleurement œdipien lorsqu’Hamlet se glisse dans le lit de Gertrude, mais l’amour physique existe dans les asiles. Ludovic Tézier jouant avec une voiture rouge téléguidée pour empêcher Jean Teitgen de le serrer dans ses bras. Et, si l’on n’a pas compris que l’on se trouve dans ce lieu d’enfermement, un choriste côté cour ne cessant de faire les cent pas vous le rappellera.
"20 ans plus tôt". Tout s’éclaire, expliquant Gertrude dans un fauteuil roulant regardant un film de Robert Bresson à la télévision et Hamlet comme sa mère, tous les deux enfermés dans le même asile depuis l’assassinat de Claudius, lorsqu’au lever du rideau de l’acte II l’on lit cette inscription. Rabachage warlikowskien, rappelant son Iphigénie dans un EHPAD, avec le passé sur le devant de la scène et le présent derrière le mur de plexiglas transparent, Iphigénie à la retraite et vieillissante revivant sa jeunesse et la prêtresse d’Apollon qu’elle fut.
Jeu en miroirs, jeu dans des miroirs de l’âme. Encore un truc du metteur en scène recyclable à l’infini.
Hamlet à la Bastille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 11 mars 2023.
Ludovic Tézier, dans tous les registres de la voix sombre, parcourue de tristesse, exceptionnel dans son arioso Comme une pale fleur / Éclose au souffle de la tombe… Développé magistral des nuances dans un investissement impeccable de son rôle. Beau dialogue avec Lisette Oropesa au timbre éclatant et d’une magistrale clarté. Face à eux, la dramaturgie et la richesse des accents d’Ève-Maud Hubeaux. Restera en mémoire leur fascinant trio à l'acte III. Impressionnant, le spectre en clown de Clive Bayley, son fils se glissant dans les mêmes habits que son père à la fin mais noirs.
Le baisser de rideau fut à l’unisson la mise en scène, il eut quelques difficultés à s'abaisser totalement… Sur l'écran de la télévision de l'asile apparaît le mot "FIN".
Hamlet à la Bastille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 11 mars 2023.
Applaudissements chaleureux adressés au plateau, au chœur sous la direction d’Alessandro Di Stefano et à l’orchestre brillantissime ce soir dans toutes les nuances de la partition d’Ambroise Thomas. Il n’était pas si mauvais que cela l’heureux pensionnaire du Pincio. Huées vigoureuses et spontanées à égalité avec les applaudissements à l’adresse du metteur en scène. Et, cette modeuse pratique, s’institutionnalisant cette saison, celle de cinq énergumènes frénétiques se levant et faisant la claque.
(1) " Sortie de route " discrète au Palais Garnier - Janvier 2020
(2) Les lavabos d’Iphigénie en Tauride ont toujours grand succès au Palais Garnier http://www.lecurieuxdesarts.fr/2021/09/les-lavabos-d-iphigenie-en-tauride-ont-toujours-grand-succes-au-palais-garnier.html
Pour mémoire Y être absolument. Hamlet d’Ambroise Thomas à l'Opéra-Comique http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/01/y-etre-absolument-hamlet-d-ambroise-thomas-a-l-opera-comique.html
Hamlet à la Bastille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 11 mars 2023.
Ambroise Thomas, Hamlet, opéra en cinq actes (1868, version de Paris). Livret de Michel Carré et Jules Barbier d’après William Shakespeare
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Direction musicale Pierre Dumoussaud
Chef des chœurs Alessandro Di Stefano
Mise en scène, décors, costumes Krzysztof Warlikowski
Lumières Felice Ross Vidéo Denis Guéguin Chorégraphie Claude Bardouil
Hamlet : prince de Danemark, fils de Gertrude Ludovic Tézier, baryton
Ophélie : fille de Polonius fiancée à Hamlet Lisette Oropesa, soprano
Gertrude : reine de Danemark et épouse de Claudius Ève-Maud Hubeaux, mezzo-soprano
Claudius : roi de Danemark et oncle d’Hamlet Jean Teitgen, basse
Laërte : frère d’Ophélie Julien Behr, ténor
Le spectre du roi : fantôme du père d’Hamlet Clive Bayley, basse
Amis d’Hamlet : Horatio Frédéric Caton, basse & Marcellus Julien Henric, ténor
Polonius : grand chambellan Philippe Rouillon, baryton
Premier fossoyeur Alejandro Baliñas Vieites, basse
Second fossoyeur Maciej Kwaśnikowski, ténor
Opéra Bastille, Paris
11 mars - 09 avril 2023
Et des prix en yoyo dans la pratique habituelle du vaisseau. Vendredi 24 mars à 209 €, chutant à 171 € le lundi 27. La justification de 38 € de différence est-elle la pénalisation de ceux qui ne peuvent sortir que le vendredi ?