Gilles Kraemer (22 /01/ 2022, générale)
Hamlet © Vincent Pontet
Y être ou ne pas y être ? Il faut absolument y être pour cette reprise d'Hamlet d'Ambroise Thomas, mise en scène de Cyril Teste. Même chef d'orchestre Louis Langrée mais revenu ici avec la casquette de directeur de ce théâtre national puisqu'à l'automne 2021 il a succédé à Olivier Mantei.
Hamlet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 janvier 2022
Le chef est à la tête de l'Orchestre des Champs-Élysées dans une communion parfaite avec tous les musiciens, palpable dans la fosse et sur le plateau avec le poignant solo du saxophoniste Sylvain Malézieux dans l'acte du Meurtre de Gonzague. Assis au premier rang, quel plaisir d'être comme au cœur de l’orchestre, les observant, ressentant l'osmose et la complicité entre eux, le plaisir visible, si visible de jouer même masqués pour les cordes comme l’est aussi l’admirable chœur de chambre Les Éléments.
Sur scène, même distribution que celle de décembre 2018 si ce n'est Lucile Richardot mezzo-soprano dont la prise de rôle était prévue pour cette série de représentations. Chaque représentation relève du miracle souligna Louis Langrée quelques instants avant la générale, avec une vie monacale pour tous les chanteurs pendant toutes les répétitions. Mots lourds de sens, dans ces temps de la permanente épée de Damoclès de la pandémie, lorsqu'il annoncera que Géraldine Chauvet – prévue uniquement le 24 janvier – interprètera ce soir le rôle de Gertrude, remplaçant Lucile Richardot testée positive à la Covid-19.
Si appréhension elle eut, elle n’en laissa rien paraître lors de cette soirée. Elle fut une reine parfaite, mariée à son beau-frère Claudius deux mois après la mort subite de son époux – aime-t-elle vraiment son nouveau époux, en tout cas elle assure parfaitement sa fonction de reine ? -, une mère émouvante dans le duo avec son fils, tentant de le raisonner, d’obtenir son pardon, implorant la vie. Comment n’être pas, à cet instant, dans les habits de Stendhal, ressentant ce syndrome palpable à d’autres moments de cette soirée, emporté par la distribution et cette musique nullement terne, proche parfois des envolées de Verdi – Macbeth - ou de Meyerbeer – Robert le diable - avec la pointe de la basse mozartienne du Commandeur.
Pas si académique que cela Ambroise même si obéissant au parfait cursus du XIXème siècle : Grand Prix de Rome à 21 ans, membre de l’Institut à 40 ans lorsqu’avec ses librettistes, il décida d’une autre fin incroyable que celle du drame shakespearien : faire mourir uniquement Ophélie et couronner Hamlet, roi du Danemark. Violant ainsi l’histoire pour lui faire un bel enfant ! Dénouement peu apprécié des Anglo-Saxons, pour lesquels Ambroise recompose, pour la représentation londonienne de 1869, une fin conforme à la trame de William, ne souhaitant pas les froisser.
Hamlet © Vincent Pontet
Tout commence avec le plan rapproché du visage de Claudius / Laurent Alvaro, très apparatchik, cerné par une forêt de téléphones portables de ses courtisans immortalisant son couronnement dans cette mise en scène de Cyril Teste. Ce dernier ne peut gommer l’homme de théâtre qu’il est par la présence prégnante de la vidéo en direct ou enregistrée – un bémol lorsqu’Ophélie noie, dans le foyer de la salle Favart, son chagrin dans le whisky, le champagne eut été préférable -, nullement perturbante, courante chez Christiane Jatahy ou Ivo Van Hove lorsque l’on est spectateur à Avignon. Cela fonctionne parfaitement de A à Z, pour cette première intrusion de Cyril sur un plateau d’opéra. Bravissimo. Jamais les sentiments ne furent aussi palpables, émouvants, criants de vérité, de désarrois, glaçants, douloureux dans cette façon si respectueuse de filmer les visages et les yeux sans en " faire trop ou grand guignol ". Chapeau bas à Nicolas Dorémus et Mehdi Toutain-Lopez pour leur grande retenue dans les projections sur l’écran d’avant-scène et l’écran souple suspendu à un rail dans l’espace de Ramy Fisschler se limitant à trois arches avançant ou reculant soit individuellement ou ensemble, dans l’accompagnement des lumières de Julien Boizard.
Laurent Alvaro est criant de vérité dans son rôle de régicide après avoir empoisonné son frère avec la complicité de Polonius, père d’Ophélie, amoureuse d’Hamlet. Plus compliquée comme trame, cela ne pouvait qu’échoir dans le dramatique. Ce baryton-basse, dans son jeu pertinent, est dans l’interprétation parfaite de l’usurpateur que gagnent très vite les tourments – Moi j’ai livré mon âme / à l’éternelle mort ! - après son forfait.
Hamlet © Vincent Pontet
Hamlet © Vincent Pontet
Face à ce père " adoptif ", le vrai père, le Spectre de Jérôme Varnier, assis au rang C de l'orchestre, revenu errer dans son royaume pour confier à son fils, de sa voix de basse glaçante, la mission de le venger. L'on ne peut résister à l’injonction du Venge-moi mon fils ! / Venge ton père ! / N’attends pas, pour frapper, / l’heure de repentir. Sa haute stature, sa forte présence, sa façon lente de bouger contribuent à cette personnalité ne souffrant d’aucune objection. Même mort, il est toujours le roi.
Hamlet © Vincent Pontet
Stéphane Degout EST Hamlet, exceptionnel chanteur doublé d’un comédien hors pair, présent dans la salle dès l’ouverture, côté Jardin. L’on sent en lui toute sa colère rentrée, cette violence contenue - never complain; never explain - qui l’accompagnera tout au long de ces trois heures de musique, jusqu’au dénouement. Avec une tristesse dont il ne peut se départir. Au salut final, dans le tonnerre d’applaudissements consacrant cette reprise, il retrouvera comme tous ses collègues le sourire. Interprétation princière, diction parfaite, visage filmé en plan rapproché bouleversant. Fascinant chanteur aux nerfs à vif, se consumant littéralement sur scène jusqu’à l’assassinat de son beau-père. Mais, retrouvera-t-il sa joie après son régicide qui devait le libérer ? J’en doute.
Hamlet © Vincent Pontet
Ophélie / Sabine Devieilhe époustouflante dans son interprétation, dans le registre de l’amour jusqu’au désespoir, jusqu’à la scène si attendue de sa noyade dans le lac de l’acte IV, dans un engagement absolu – même si la vidéo, façon Tristan et Isolde de Bill Viola vue à Bastille en 2005 et La mer d’Ange Leccia, renvoie à celle d’une noyade en mer -.
Y être ou ne pas y être ? Pour cette quadrature du cercle époustouflante d’Hamlet d’Ambroise Thomas y être, s'y rendre. Absolument. Triomphe absolu pour tous.
Hamlet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 janvier 2022
Hamlet. Louis Langrée remerciant l'orchestre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 janvier 2022
Hamlet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 22 janvier 2022
Ambroise Thomas, Hamlet, opéra en cinq actes sur un livret de Michel Carré & Jules Barbier d’après la tragédie de Shakespeare – Création le 9 mars 1868 à l’Opéra
Opéra-Comique - Paris
24 janvier au 3 février 2022
Direction musicale - Louis Langrée
Chœur - Les éléments - Orchestre des Champs-Élysées
Mise en scène Cyril Teste - Scénographie Ramy Fischler
Costumes Isabelle Deffin - Lumières Julien Boizard
Conception vidéo Nicolas Dorémus, Mehdi Toutain-Lopez
Vidéo de vague Heewon Lee pour l’Opéra-Comique
Cheffe de chant Marine Thoreau La Salle - Chef de chœur Joël Suhubiette
Hamlet - Stéphane Degout, baryton - Ophélie – Sabine Devieilhe, soprano
Claudius – Laurent Alvaro, baryron-basse - Gertrude – Lucile Richardot, mezzo-soprano (Géraldine Chauvet le 24 janvier)
Laërte – Pierre Derhet, ténor - Le Spectre – Jérôme Varnier, basse
Marcellus / 2nd Fossoyeur – Yu Shao, ténor - Horatio / 1er Fossoyeur – Geoffroy Buffière, basse
Polonius – Nicolas Legoux - basse
Reprise de la production de 2018
Sous-titrage en français et en anglais et non, malencontreusement en anglais et en français comme à l’Opéra national de Paris depuis des années.