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Gilles Kraemer, représentation de jeudi 16 mars 2023

«  Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. […] L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange des coups, parce que personne n’aime recevoir de coups et tout le monde aime gagner du temps. Selon la raison, il est des espèces qui ne devraient jamais, dans la solitude, se trouver face à face.  » Bernard-Marie Koltès (1948-1989).

Xavier Gallais et Ivan Morane, Dans la solitude des champs de coton © photo Soo Lee

Patrice Chéreau (1944-2013), le dealer et metteur en scène. Pascal Greggory, le client. Manufacture des Œillets, Ivry, 1995. Iconiques représentations de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès toujours dans la mémoire d’un temps que les moins de 50 ans n’ont pas connu. Public sur les deux gradins de bois disposés face à face. Il faisait froid, très froid en novembre, ce soir à Ivry. Au milieu, la très longue scène pour une course incessantes des deux acteurs, des allers-retours, des corps à corps, un duel verbal dans une rafale de phrases. Un théâtre à tout allure dans un choc des mots. Une heure trente. Vingt-huit ans après, toujours en mémoire.

Aux portes de l’Enfer, c’est le choix de mise en scène de Kristian Fredric, connaisseur des mondes souterrains puisqu’il a adapté le chant et la douleur amoureuse d’Orpheo ed Euriydice de Christoph Willibald Gluck (1762) pour le Staatstheater Nürnberg, en 2010,… à 40 mètres sous terre, dans les sous-sols de Nuremberg. Pour cette Solitude, Kristian a voulu la bouche de l’Enfer, les rives du Styx, un rail qui ne mène nulle part et dans lequel le pied de Xavier Gallais/ Le client se prend, comme happé, comme s’il était incapable de remonter vers la surface. Il est au fond, il a voulu entrer, il n’en ressortira pas. Face à lui, le dealer au corps tatoué, Ivan Morane. Deux fabuleux acteurs dans cette danse des mots, à celui qui trompera l’autre, à celui qui vaincra l'autre.

Des moments très beaux, celui où Xavier Gallais ôte sa chemise pour s’enduire torse et visage d’une argile boueuse, celui où Ivan Morane surveille les alentours, posté sur un tertre.

Tout commence par une pluie de cendres, l’orage, le tonnerre, des chiens hurlant dans le lointain, certainement Cerbère polycéphale, gardien des portes de l’Enfer que seul Héraclès vainquit. Une atmosphère glaciale et angoissante qu’Enki Bilal a dessiné, la noirceur à peine éclairée par les lumières cotonneuses d’Yannick Anché, dans un monde de l’après-monde, comme si tout avait disparu et qu’il ne restait plus rien.

Au milieu, un monticule de chaussures, celles des disparus, comme l’obole à Charon pour que ce dernier accepte le passage des âmes de l’autre côté. Au début de la pièce Ivan Morane déposera une chaussure sur ce tas, à la fin de la pièce il y ajoutera celle que Xavier Gallais a laissé avant de se jeter, au sens littéral du terme, dans la bouche de l’Enfer qu’il a lui-même agrandie. Creuser sa tombe de ses mains.

Dans la solitude des champs de coton © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 16 mars 2023.

Kristian Frédric n’a pas souhaité le débit révolver que prônait Koltès. « Il faudrait jouer tout mon théâtre avec l’envie de pisser ! ». Tout le combat est dans la tête, n’a pas besoin d’une extériorisation, le débit de la parole en longueur et en dissection de chaque phrase suffit à cette violence. Prendre son temps pour tromper l’autre et l’amener dans ses rets sans qu’il s’en aperçoive. Le temps du temps donné au texte qui devient lenteur, dissection. Deux heures.

(1) https://www.lezardsquibougent.com/orphee-et-eurydice

Bernard-Marie Koltès Dans la solitude des champs de coton (création en 1988)

Mise en scène Kristian Frédric

Xavier Gallais / Le client

Ivan Morane / Le dealer

Avec l’aimable participation de Tchéky Karyo / voix et chant

Création décor et costumes Enki Bilal

Création lumière Yannick Anché  -  Création sonore et musicale Hervé Rigaud

Chorégraphe Claude Bokhobza

14 au 29 mars 2023 au Théâtre de la Ville, Espace Cardin puis en tournée

https://www.theatredelaville-paris.com/fr

 

Tag(s) : #Théâtre
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