
Au second plan, Michel Journiac (1935-1995), Contrat pour un corps, 1972. Squelette humain laqué d'or, socle en bois peint. H 98 x L 82 x P 79 cm.. Remerciement galerie Christophe Gaillard, Paris // Au premier plan, Benoît Huot (né )en 1966 à Montbéliard), Le Cerf de Saint Hubert, 2012. Cerf naturalisé, tapisseries, perles, fleurs artificielles, crânes. 210 x 210 x 60 cm.. Remerciement galerie Eva Hober, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Georges Bataille (1897 - 1962) est un écrivain français, l'auteur de La Part Maudite publiée en 1949. Labanque, centre de production et de diffusion en arts visuels implanté dans les locaux de l'ancienne succursale de la Banque de France de Béthune depuis 2007, accueille une exposition autour de cet auteur. Le thème ? Dépenses. Pourquoi dans ce lieu, un ancien établissement bancaire, y évoquer la dépense, les Dépenses, comme le souligne Léa Bismuth, en faisant appel à cet écrivain et philosophe ? Aujourd'hui, influencerait-il de façon explicite ou implicite, consciente ou inconsciente l'art contemporain ? Réponse autour de la pensée de cet auteur dans un dialogue avec 21 artistes, "Bataille étant au centre, tout en étant à la périphérie. Ce n'est nullement une lecture historique de ses écrits. Les œuvres des artistes [onze étant produites, d'autres existantes] se rencontrent, se côtoient et peuvent même lutter entre elles. Pour moi, c'est une expérience d'exposition". Cette exposition - Dépenses - est la première d'une trilogie, autour d'un scénario librement inspiré de la pensée de Bataille, dialogue que cette commissaire continuera de mettre en images aux automnes 2017 et 2018, dans cette même institution.
Léa Bismuth, commissaire de l'exposition, présentation presse. Michel Journiac, Contrat pour un corps, 1972. Squelette humain laqué d'or, socle en bois peint. Remerciement galerie Christophe Gaillard, Paris. Benoît Huot, Le Cerf de Saint Hubert, 2012. Cerf naturalisé, tapisseries, perles, fleurs artificielles, crânes. Remerciement galerie Eva Hober, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Que fait Bataille lorsqu'il décrit une économie paradoxale qui au lieu de se fonder sur un principe de capitalisation se conçoit sur une économie de perte, de brûlure, de tout ce qui se consume ? Au lieu de consommer on consume. Le feu est très présent dans l'exposition sur le plateau central, au rez-de-chaussée, dans la section Énergie. Car telle une plante, l'exposition étend ses rhizomes dans ce bâtiment patrimonial, se complaisant en Excès dans la salle des archives du sous-sol, abordant le Don dans ce qui fut l'appartement privé du directeur, se mutant en Rituel au second étage pour aboutir dans l'ancienne chambre aux coffres individuels à une intervention collective Des voix pour Bataille - Potlatch sonore, laissant à entendre le personnel de Labanque et de La Comédie de Béthune, la commissaire et les artistes invités à lire des textes de Bataille. N'est-il pas antinomique, en ce lieu qui fut celui de la collecte, de l'entassement de l'argent d'évoquer la dépense, "cette «notion de dépense» présente dans La Part Maudite, dans laquelle Georges Bataille étudie une «perte inconditionnelle». L’économie dont il est question ne dépend plus d’une logique de profit et de consommation, mais d’une considération beaucoup plus large prenant en compte «l’effervescence de la vie», les ressources énergétiques de la Terre et «l’énergie excédante», qui finira par se diffuser dans la brûlure".
Au second plan, Manon Bellet (née en 1979), Brève Braise (2016). Papier de soie brûlé, dimensions variables // Au premier plan, Lionel Sabatté (né en 1975 à Toulouse), Chants silencieux, 2003-2014. Souche de chêne, pièces de un centime d'euro, fer, étain, laiton. Dimensions variables. Remerciements l'artiste et galerie Eva Hober, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Avec l'axiome "Le soleil donne sans jamais recevoir", au spectateur à se laisser guider. Pour voir mais aussi sentir comme y incite Manon Bellet et sa fragrance À la recherche d'une intimité perdue qu'elle a demandé au maître parfumeur Andreas Wilhelm de lui créer dans une volonté de faire resurgir des désirs car elle souhaitait "une référence au texte de Bataille Le Langage des fleurs (1929) dans lequel il réfléchit au pouvoir des fleurs, à leurs symbolismes sexuels et charnels, tout autant qu'à leur pouvoir de répulsion ou d'attraction.". Kendell Geers (né en 1968) irradie son intervention Kaput Mortuum sur et autour du comptoir d'accueil considéré tel un autel sacrificiel, autour duquel courent des phrases en anglais traduites d'ouvrages de Bataille. Un crâne d'hippopotame recouvert de tissu nous accueille et dialogue avec des trophées de chasse et des statues d'art africain. Manon Bellet, dans une seconde démarche non plus olfactive mais tangible, privilégie l'intégration dans le lieu par son intervention murale Brève braise, des papiers de soie brûlés, très fragiles, disposés sur un mur, résidus de l'antagonisme entre le feu producteur de lumière mais disparaissant dans sa combustion. Ceci dans un dialogue avec la vidéo Alma, Silveta en Fuego d'Anna Mandieta (1948-1985) nous amenant à l'interrogation sur les rituels funéraires, ces moyens pour entrer en relation avec des forces.

mounir fatmi (né en 1970 à Tanger), Le Reste, 2016. Graisse de mouton séché, dimensions variables. Remerciements l'artiste et galerie Analix Forever, Genève © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Lionel Sabatté avec des pièces d'un centime d'euro disposées sur une souche d'arbre, Chants silencieux, suggère la monétisation et l'écologie et nous guide vers ses arbres brûlés Printemps 2017 de la montagne Sainte Victoire, cette montagne chérie de Paul Cézanne, qu'il fait renaître de fleurs constituées de rognures d'ongles et de peaux mortes. Démarche pouvant apparaître extrêmement brutale mais teintée d'une extrême élégance, cette floraison apparaît au moment du surgissement de la mort, dans cette métamorphose du vivant faite de parcelles humaines. Ses sculptures dialoguent avec ses deux toiles Souvenir d'un incendie I et II, évocatrices du feu et de l'incendie, dans un étirement de la matière. Feu, il en est encore question chez mounir fatmi lorsqu'il oppose dans un geste de réappropriation une page manuscrite raturée de La Part maudite lui appartenant à Le Reste, graisse de mouton séchée, rémanence de la fête sacrificielle de l'Aïd al-Kabir. Vision mais aussi odeur tellement cette intervention se sent. Le sous-sol est entièrement dévolu à Antoine d'Agata (né en 1961) avec son installation de plusieurs écrans White noise, quatre heures de vidéo sur de multiples écrans posés au sol dans l'obscurité, dans cette expérience impossible de tout voir, une impossible traversée à travers les images et les sentiments.

mounir fatmi (né en 1970 à Tanger), L'Horloge du temps suspendu. God's time, 2016. Dimensions variables. Production Labanque / Artois Comm.. Remerciements l'artiste et galerie Analix Forever, Genève © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Retour vers le premier étage, le noble, celui qui fut celui de l'appartement du directeur. Pourquoi les pièces considérées comme précieuses, n'auraient-elles pas le droit d'être présentées ici puisqu'aucun trésor ne demeure plus dans la salle des coffres ? Le Sanglier-Soleil et Le Cerf de Saint Hubert de Benoît Huot (né en 1966) nous accueille dans l'excès de la surcharge de leurs ornementations. Dans le salon d'honneur Michel Journiac (1935-1995), Contrat pour un corps, une pièce muséale, une pièce emblématique, un squelette humain - celui du corps du Christ ? - plaqué d'or nous entraîne sur la liturgie christique dans ce dialogue avec un autre corps, celui de l'érotisme de deux grands crayons de couleurs de Pierre Klossowski (1905-2001), romancier, peintre et ami de Bataille : Les Barres parallèles et La récupération de la plus-value. Ou des Étreintes d'Éric Rondepierre (1950) autour du baiser entre un homme et une femme, bien loin de l'étreinte pornographique de L'Horloge du temps suspendu de mounir fatmi, dans la mesure temporelle de l'extase érotique.
Yannick Haenel (né en 1967 à Rennes), Trésorier-payeur, 2016. Création littéraire originale, mise en scène d'un bureau et installation sonore (lecture du texte par son auteur). Production Labanque / Artois Comm. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Dépenses, Labanque, Béthune, 2016
Emprunter l'escalier et se retrouver dans des bureaux au second étage, dans un Rituel, à la recherche du fantôme de Georges Bataille que l'on retrouvera devant sa table selon Yannick Haenel imaginant l'écrivain devenu Trésorier-payeur de la Banque. alors qu'Edouard Levé (1965-2007) joue du trouble dans ses Portraits d'homonymes en photographiant des homonymes de Bataille. Beaucoup plus dans le réel, la nocturne Déposition de Clément Cogitore (né en 1983) réinterprète l'iconographie Déposition chrétienne, le corps se retrouvant drapé d'une couverture de survie.
Gilles Kraemer
Dépenses, premier volet de La Traversée des Inquiétudes. Une trilogie d’expositions librement inspirée de la pensée de Georges Bataille
8 octobre 2016 - 26 février 2017
Commissariat : Léa Bismuth
Labanque 44 place Georges Clémenceau 62 400 Béthune
Comment s'y rendre. Train : gare TGV à 10 minutes à pied de Labanque. Aller-retour depuis Paris dans la journée.
Trois expositions futures à Labanque avec le couple d'artistes Scenocosme, les dernières créations d'Aurore Pallet & Évidences singulières, Jean-Michel Meurice et ses amis.
La suite de la trilogie La Traversée des Inquiétudes. Intériorités (octobre 2017 - février 2018). C'est au tour de L’Expérience intérieure (1943) de servir de terrain de rencontre entre les artistes et la commissaire pour ce second volet consacré à la nuit, cette nuit intérieure qu’il faut vivre jusque dans ses limites les plus obscures, en passant par le secret, l’énigme, le silence, les refoulements, et l’invisible. Nous entrerons dans un labyrinthe sans savoir véritablement s’il y aura une issue. Vertiges (octobre 2018 - février 2019). Le vertige est avant tout une sensation physique, un trouble, une perte d’équilibre. C’est aussi un état mental d’ouverture sur un impossible que l’on aimerait pouvoir décrire, mais qui se laisse difficilement saisir.
Et aussi, Jean-Michel Meurice et Jean Le Gac, retour à Béthune. Musée de Béthune, 3 février - 25 juin 2017.