Foisonnante et passionnante céramique contemporaine – MO.CO. Montpellier
Gilles Kraemer (envoyé à Montpellier)
Claire Lindner (1982), Blooming et Buisson. Grès chamotté modelé, émaillé au pistolet, cuisson 1260 °C // au fond Tamara Van San (1982), Arcadia, 2021. Céramique émaillée, cuite en bisque puis émaillée à 1030°C au four à gaz © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Contre-nature. Dans le sens que lui accorde Montaigne, ce qui est contre la coutume, état qui est le contraire de l'état de nature. La céramique, une épreuve du feu. Un sous-titre de l’affrontement, une action probatoire, une mise à l’épreuve.
Avec cette première exposition montée en un temps record d'une année, Numa Hambursin (1979), directeur général du MO.CO. – en mars 2020, il succédait à Nicolas Bourriaud dans une ville où le nouveau maire Michaël Delafosse succédait à Philippe Saurel; le jeu de la politique culturelle de l’édile de la place Georges Frêche est perpétuellement source d’étonnements - affronte son baptême du feu. Réussite brillante. Cette exposition est une pyrotechnie géniale de l’étendue et de la richesse insoupçonnée de la céramique dans la création contemporaine, de Caroline Achaintre à Johan Creten, de Salvatore Arancio à Anne Wenzel et au duo Vertigo (Nitsa Meletopoulos & Victor Alarçon). Dix-huit femmes sur trente artistes. La céramique serait-elle une pratique exclusivement féminine ou s’agit-il d'un choix assumé du double commissariat ?
Vincent Honoré et Marlène Mocquet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Une exposition poétique, foisonnante, généreuse avec 200 œuvres souligne Numa Hambursin car la céramique n’est-elle pas passionnante ? Ajoutant, des pièces somptueuses, dans un tissu de transformations en trois paysages ou climats, allant de la relation antinaturaliste de la céramique à un matériau autant culturel qu’architectural en passant par la cuisson et l’émaillage.
Place au merveilleux et à l’envoutement de ce médium qui après avoir subi les avanies d’une avant-garde (le terme n’est pas militaire au hasard) et le mépris des séides de la table rase tient le haut de l’affiche. Numa affirme cette position dans la préface du catalogue – comme s’il s’agissait de sa feuille de route dans ce magma chaotique de l’art contemporain - de cette exposition dont nombre d’artistes sont de sa génération. Il me rappelait que Marlène Mocquet [qui ne découvrira la céramique qu’en 2011 à l’occasion d’une résidence à Sèvres] l’avait fortement impressionné lorsque le MAC Lyon en 2009 eut l’audace de parier une exposition d’un artiste de moins de trente ans, peintre de surcroît.
D’un texte qu’il écrivait en 2018, sur cette artiste, je retiendrais qu’Au-delà des jeux délicieux de matière, / au-delà de ses audaces formelles, / au-delà même de l’étrange poésie de ses sujets, / l’œuvre de Marlène Mocquet me bouleverse / par le défi qu’elle lance au langage. (1)
in situ Marlène Mocquet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Marlène propose 14 grès émaillés parsemés sur un monticule de graviers comme l’aurait fait le Petit Poucet précise-t-elle, autour du thème de l’arbre et de la pomme, présentés dans une pièce noire parcimonieusement éclairée. Ajoutant que sa céramique est peinture en trois dimensions, le spectateur devenant acteur de ses sensations. (2)
Anne Wenzel © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Avec Silent Landscape Anne Wenzel dispose, dans une salle aux murs qu’elle a peints, dans une semi-obscurité, un ensemble de céramiques surgissant comme une forêt pétrifiée posée sur un plateau d’eau. Cette catastrophe, créée en 2006, est d’une beauté tragique, captatrice maintenant d’une valeur écologique.
Claire Lindner © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier
Claire Lindner brouille les pistes dans l’enchevêtrement de ces grès chamottés modelés. Des torsions dans la construction de son œuvre en assemblages, comme des éléments devenant vivants. L’étrangeté de ses Enchevêtrements surgit de cette opposition, la sensation du velouté à l’œil comme la poussière du pastel, l’aspérité lorsque l’on touche ses sculptures.
Johan Creten © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Pour Johan Creten, magnifique sculpteur ayant largement démontré que la céramique doit être présente dans les galeries et les institutions, le regard et la parole sont importants dans mon travail. Mes grès émaillés sont une histoire de sensations dans laquelle la couleur des émaux et les glaçures sont primordiales. Odore di femmina, évocation du séducteur impénitent d’un opéra mozartien, semble tellement fragile, tellement cassante, tellement caressante, tellement attirante au regard. Mais attention à ne pas y toucher car les pétales de la centaine de fleurs la composant sont coupants.
Johan Creten (1963), au premier plan, Community one / Community two, 2013. Grès émaillé et émaux mixtes // sur le mur, Odore di femmina, Brain, 2015-2016. Grès émaillé et émaux mixtes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Elsa Sahal (1975) dans ses céramiques émaillées nous guide dans des magmas assemblés évoquant quelques mystérieuses montagnes sculptées, Roberto Cuoghi invente d’étranges animaux que sont devenus ses crabes alors que Nitsa Meletopoulos (1984) renoue dans le baroquisme jouant des glaçures et de la vie de la terre. Nick Weddell, dans des couleurs somptueuses, crée de mystérieux objets. Duo Vertigo renouvelle merveilleusement notre regard sur le travail de la terre, dans une continuation tellement maniériste, au sens noble du terme, de Bernard Palissy alors que les terres émaillées d’Elmar Trenkwalder affirment par leur maîtrise une connaissance subtile de la Renaissance et un regard connaisseur sur les fontes des sculpteurs florentins ou vénitiens.
Trois Plantasia de Jessica Boubetra, 2021 // Elmar Trenkwalder (1959), encadrant WVZ 135 BTRE 21, 2021 disposé sur le mur, WVZ 338 S et WVZ 338 S, 2019. Grès émaillé © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Anne Wenzel (1972), Silent landscape, 2006. Céramique, eau, socle en bois, peinture murale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
In situ, au premier plan Basin Theology, 2017, de Streling Ruby (1972. Grès blanc et marron, émaux, cuisson par oxydation © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Roberto Cuoghi (1973), SS (VIP) c, 2016. Céramique // SS(XVIIP) c, 2016. Céramique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022, Montpellier.
Une vision poétique, généreuse et gourmande de la céramique contemporaine. Épreuve du feu réussie pour la première exposition du MO.CO. dirigé par Numa Hambursin.
(1) Numa Hambursin, Marlène Mocquet et la critique d’art. Prix AICA France de la critique d’art 2018. Éditions Sometimes
(2) Ascendance / carte blanche à Marlène Mocquet, du 8 octobre 2022 au 28 février 2023 au musée Déchelette à Roanne.
Contre-nature. La céramique, une épreuve du feu
21 mai – 4 septembre 2022
MO.CO Panacée
14, rue de l’Ecole de Pharmacie – Montpellier
Commissariat Vincent Honoré, Caroline Chabrand, assistés de Denis Yoruc
Catalogue [en français et en anglais], éditions Silvana Editoriale, 129 pages pour 18 €. Photographies avec souvent une vue rapprochée permettant de mieux percevoir la matière. Entretien du commissaire Vincent Honoré avec trois femmes céramistes Sylvie Auvray, Claire Lindner et Elsa Sahal. Quant à connaître l'opinion des hommes céramistes exposés … !
Caroline Achaintre, Salvatore Arancio, Sylvie Auvray, Julie Béna, Jessica Boubetra, Gisèle Buthod-Garçon, Marianne Castelly, Cyril Chartier-Poyet, Johan Creten, Roberto Cuoghi, Michel Gouéry, Takuro Kuwata, Claire Lindner, Simon Manoha, Nitsa Meletopoulos, Marlène Mocquet, Sandrine Pagny, Aneta Regel, Brian Rochefort, Sterling Ruby, Elsa Sahal, Mathilde Sauce, Katrina Schneider, Elmar Trenkwalder, Tamara Van San, Marion Verboom, Anne Verdier, Duo Vertigo, Nick Weddell, Anne Wenzel.
Colloque à Sèvres - Manufacture et Musée nationaux le 20 juin et les 22 & 23 juin 2022 à l’Institut national d’histoire de l’art, autour de la céramique et de la politique, tout objet qui, par son mode de fabrication, son décor, son usage, son destinataire ou son commanditaire, est lié à la sphère du politique, c’est-à-dire relatif à l’organisation ou à l’exercice du pouvoir dans les sociétés, aux droits et devoirs des citoyens et à de possibles formes de résistances.