Il strano e appassionante Maestro dell'ambulante Canesso. Una meravigliosa scoperta. De Brescia à TEFAF, l’étrange et passionnant Maître de l’ambulant Canesso.
Gilles Kraemer
Maître de l’ambulant Canesso (actif en Italie du nord à la fin XVIIe siècle), Vendeur ambulant de libri da risma (« canzonette » dramatiques et populaires), ca 1670-1690. Huile sur toile. 171,5 x 103,5 cm. Galerie Canesso // Provenance : Famille Home Robertson, Wedderburn Castle and Paxton House ; vente Christie’s, Londres, 25 novembre 1960, n° 136 (comme Giacomo Ceruti) ; Paris, Galerie Knoedler en 1969 ; Paris, collection Maurice Rheims (1910-2003) ; depuis 2005, Suisse, collection particulière // Expositions : Maîtres Anciens, M. Knoedler et Cie, Paris, 1969, n° 4 (comme Giacomo Ceruti) ; - Giacomo Ceruti nell’Europa del Settecento, Miseria & Nobiltà, Roberta d’Adda, Francesco Frangi, Alessandro Morandotti (dir.), Brescia, Museo di Santa Giulia, 11 février-28 mai 2023.
Lo strano e appassionante Maestro dell'ambulante Canesso. Una meravigliosa scoperta. Un quadro difficile ma così straordinario per un prezzo ragionevole. Una grande istituzione farà il passo dopo una riflessione. O tornerà in una collezione privata? Risposta a TEFAF Maastricht, dal 9 al 14 marzo 2024.
Que l’on puisse donner votre nom à un maître encore inconnu avant qu’il ne soit un jour identifié ! Incroyable histoire que celle survenue à Maurizio Canesso, le marchand de la rue Laffitte. C’est ainsi que les historiens de l’art ont décidé de donner, à un peintre encore inconnu, le nom de Maître de l’ambulant Canesso, toile présentée par Maurizio Canesso, l’un des plus éminents et ardents défendeurs de la peinture italienne moderne. (1)
La récente exposition de Brescia consacrée à Giacomo Ceruti nell’Europa del Settecento (2023) dans laquelle figurait cette peinture, a reconsidéré cette magistrale composition dans le contexte du mouvement de la peinture de genre en Lombardie, entre la fin seicento et le début du settecento.
Devant la difficulté d’en identifier le peintre, les auteurs du catalogue de l’exposition ont proposé de lui donner le nom éponyme de « Maître de l’ambulant Canesso », tant cette galerie parisienne a soumis ce tableau à la sagacité des historiens de l’art pour tenter de percer le mystère de sa paternité. (2)
https://www.ilgiornaledellarte.com/articoli/non-chiamatelo-pi-pitocchetto-un-grande/141793.html
Campé devant un paysage vaporeux en un puissant portrait en pied, le modèle est calé à gauche par le mur en pierres dont le bâton sur lequel il s’appuie en suit la trajectoire. Le regard fixé sur le spectateur est direct et son visage sérieux nous indique qu’il prend la pose, figé pour l’éternité dans une page d’une grande dignité et d’une réelle poésie. Ses chaussures trop grandes, éculées, font écho à ses vêtement usés et rapiécés, sans oublier son pittoresque chapeau aux larges bords qui le protège du soleil et des intempéries, du fait de son activité de colporteur, arpentant les rues des villes et des villages pour vendre ses dépliants.
Détail du Maître de l’ambulant Canesso (actif en Italie du nord à la fin XVIIe siècle), Vendeur ambulant de libri da risma (« canzonette » dramatiques et populaires), ca 1670-1690. Huile sur toile. 171,5 x 103,5 cm. Galerie Canesso.
Il évoque les séries iconographiques sur la représentation des petits métiers. Ici, celui de vendeur de libri da risma que sont ces petits opuscules non reliés, de quelques pages pliées sur elles-mêmes, en brochure d'usage. Le peintre se montre méticuleux dans le rendu de ces feuillets, autant que dans la nature morte que constituent le panier en osier et le morceau de cuir qui le recouvre pour les protéger de la pluie, ainsi que dans la description – presque anecdotique – des petites fleurs et des feuillages au premier plan. Le papier manuscrit collé sur le mur ne semble pas porter la signature de l’artiste, seul le premier mot « Chi a[----]», est déchiffrable. Ces affichettes évoquent les échanges quotidiens en ville, souvent ce sont des annonces de particuliers, par exemple pour informer d’une chambre à louer, encore un détail réaliste sur la société de son temps.
Grâce à la récente étude de Carlo Dumontet et Dennis E. Rhodes, l’on on sait un peu plus sur ces petits opuscules que tient dans la main ce vendeur ambulant. Le plus grand des deux évoque le drame de Pyrame et Thisbé, tiré des Métamorphoses (IV). En effet, l’on peut y lire le titre « Pirramo e Tisbe. Historia compassioneuole, amorosa, antichisima, & essemplare », au-dessus d’une xylographie dont seul se voit le haut du fond de paysage, et au-dessous de laquelle dépasse un « NO » [sans doute imprimé à Bassano]. Le second opuscule cache la scène du drame d’Ovide qui est bien connue, il s’agit de l’histoire reprise par Shakespeare dans Songe d’une nuit d’été.
Pour la seconde brochure, le « Gallo di Mona Fiore » (« le coq de Madame Fleur » se dit de celui qui tombe amoureux de toutes les femmes qu’il rencontre), il s’agit d’une chanson satyrique populaire, sans cesse reprise depuis le Moyen Âge, tombée dans le répertoire classique puisqu’on la rencontre aussi dans un livre de tablature pour guitare espagnole, datant de 1665 (semble-t-il publié à Rome)
De la collection Home à Paxton House – où il était conservé depuis le XVIIIe siècle –, pour être proposé aux enchères en 1960, il est attribué à Giacomo Ceruti (1698-1767), le principal représentant lombard de la peinture paupériste, identification suivie par la galerie Knoedler de Paris. Les auteurs de la notice du catalogue de Brescia ont écarté l’attribution à Ceruti, suggérant qu’il puisse s’agir de la même main, peut-être italienne, qu’une œuvre des collections médicéennes représentant une Vieille femme achetant une broche à un marchand ambulant (Florence, Uffizi, Depositi Gallerie, inv. 1810, n. 2782).
De l’une à l’autre composition, se retrouve une mise en page identique avec le mur de pierre sur lequel une affichette manuscrite est collée, ici partiellement déchirée.
À la fin de l’article de Country Life (1925), sur Paxton House, la villa construite peu après 1766 par Patrick Home (1728-1808), l’auteur, Christopher Hussey, évoque la collection de tableaux et reproduit ce vendeur ambulant qu’il légende comme « anonyme romain, vers 1630 ».
Il pourrait s’agir d’un peintre étranger, et ce malgré l’usage de la langue italienne sur les dépliants et sur l’affichette, d’un artiste vraisemblablement venu en Italie du Nord entre Lombardie et Vénétie, tant il anticipe les sujets véristes de Giacomo Ceruti
Riccardo Lattuadai a suggéré qu’il puisse s’agir de l’espagnol Pedro Núñez del Valle (1590 c. -1654/1657). (3)
Comme le souligne Véronique Damian, directrice scientifique de la galerie Canesso et historienne de l’art, cette peinture est éminemment intéressante sur de nombreux points de vue, aux multiples entrées. C’est d’abord un portrait mais un portrait ambitieux puisque témoignage des petits métiers. Il ne s’agit pas d’une scène intérieure mais de rue. Cette peinture est d’un intérêt historique et documentaire de premier plan grâce la présence de l’affichette manuscrite sur le mur et des éditions imprimées de libri da risma, transcrites fidèlement par l’artiste. Un témoignage passionnant de la place de l’écrit dans l’espace public et de sa diffusion directe auprès de lecteurs.
Un tableau difficile mais tellement extraordinaire. Et pour un prix raisonnable. Une grande institution franchira-t-elle le pas après réflexion car il n’est pas facile de le présenter à sa commission d’achat ou à son board. Il faut qu’une institution publique ou une fondation fasse preuve d’une grande ouverture. Ou retournera-t-il dans une collection privée, celle d’un vrai amateur ou il sera LE tableau ? Réponse à TEFAF Maastricht, du 9 au 14 mars 2024. https://www.tefaf.com/fairs
(2) Commissariat de Roberta D’Adda, Francesco Frangi, Alessandro Morandotti - Commune di Brescia, Fondazione Brescia Musei, Alleanza Cultura et J. Paul Getty Museum di Los Angeles - 14 février au 11 juin 2023 à Brescia, puis du 18 juillet au 29 octobre à Los Angeles. https://www.bresciamusei.com/evento/miseria_e_nobilta_giacomo_ceruti_nelleuropa_del_settecento/
(3) Riccardo Lattuada, « Vite di giovani picari, perdute o redente. Note su un curioso pendant di Pedro Nuñez de Villavicencio e Luca Giordano al Prado, e un’aggiunta al catalogo di Nuñez: il Venditore di libri da risma Canesso », Rendiconti dell’Accademia di Archeologia, Lettere e Belle Arti di Napoli, vol. LXXXI-LXXXII, 2020-21 (à paraître).