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Memling. Rinascimento fiammingo. Vue de l'exposition, Scuderie du Quirinal, Rome © photographie Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014

Considéré comme le plus important peintre de la seconde moitié du XVe siècle de Bruges où il s'établit en 1465 après avoir certainement travaillé dans des ateliers de Cologne puis dans ceux de Dieric Bouts à Louvain et de Rogier van der Weyden à Bruxelles, Hans Memling (Seligenstadt, Allemagne, vers 1435-1440-Bruges 1495) bénéficie pour la première fois d'une exposition en Italie.

Si en 1953, Erwin Panofsky le qualifiait de « grand maître mineur », depuis Hans Memling : cinq siècles de réalité et de fiction à Bruges en 1994 et Portraits d'Hans Memling au Museo Thyssen-Bornemisza à Madrid, au Groeningemuseum à Bruges et à The Frick Collection à New York en 2005 - dont Till-Holger Borchert fut le commissaire comme il l'est pour cette exposition romaine – ont modifié cette appréciation.

Rogier van der Weyden (et atelier). Lamentation sur le Christ mort. 1460-1465. Huile sur bois, 111 x 95 cm. Florence, Galleria degli Uffizi

Hans Memling, Triptyque de Jan Crabbe. Crucifixion avec Jan Crabbe (panneau central). Huile sur bois, 84,5 x 66 cm. Vicenza, Musei Civici – Pinacoteca di Palazzo Chiericati

Sur les deux étages des Scuderie - les anciennes écuries du Quirinal - aux murs peints de gris, les différents aspects de son œuvre sont présentés, des grands tableaux d'autel aux petits triptyques, des portraits aux tableaux de dévotion portatifs. Dans une confrontation avec des artistes flamands ou italiens, cette exposition scientifique et grand public – de nombreuses expositions italiennes juxtaposent le plaisir de belles œuvres et la volonté de proposer de nouveaux axes et dialogues - mesure les influences artistiques entre Hans Menling et les peintres de la péninsule italienne.

Un seul bémol : la présentation, en fin de parcours, dans la section ''Rinascimento fiammingo'', de la tempera de Sandro Botticelli : Triptyque de la Transfiguration avec saint Jérôme et saint Agostin (vers 1500), dont la notice du catalogue et le cartel de la salle justifient la présence par une taille voisine et une intense spiritualité identiques à celles des tableaux de dévotion des Flandres et qu'il correspond aux idées du savonarolisme chez des citadins florentins ! ''Soltanto per il piacere degli occhi'' dirons-nous.

Le grand Triptyque du Jugement universel (1467-1472), lui, n'a pas quitté le musée de Gdansk pour cette exposition réunissant une cinquantaine de tableaux - le corpus connu de Hans Memling est estimé à une centaine de tableaux d'autel et de dévotion, triptyques et diptyques et à une trentaine de portraits.

Quelques documents (Lilles, Archives départementales du Nord) évoquent la clientèle du peintre ; un quart de celle-ci ne fut-elle pas celle des Italiens installés dans cette ''Venise nordique ''! Ceci expliquant le pourquoi du nombre de tableaux d'Hans Memling conservés dans des collections et des institutions d'Italie. N'aurait-elle pas été ironique la venue de ce triptyque enfin... en terre italienne, après qu'il eût été commandé par le florentin Angelo di Jacopo Tani, dirigeant la banque médicéenne de Bruges, qui le destinait à la chapelle familiale de l'église de la Badia Fiesolana, en Toscane ? Des pirates au large de Gravelines en décidèrent autrement et l'interceptèrent il y a 541 années ; il fut transporté à Gdansk où il se trouve toujours. Malgré les injonctions de Charles le Téméraire et du pape Sixte IV - comme le précise Federica Veratelli dans son essai ''Les portraits du pouvoir. Les clients italiens de Hans Memling'', largement consacré à Angelo Tani et Tommaso Portarini - le tableau ne fut jamais rendu. Il fut cependant ''prêté'' à l'exposition de Bruges, en 1994, par le musée polonais en échange de devises [ndr article Libération, 30 août 1994]. Des reproductions de détails permettent sa confrontation avec Saint Michel archange avec les saints Jérôme et Jacques de la Marca par un maître napolitain inconnu (1490-1500), ayant vu certainement ce triptyque à Gdansk et répliquant d'une façon étonnante l'archange et son combat contre les démons. Ce triptyque de Hans n'est pas sans rappeler la composition du Christ bénissant et de l'archange Michel du Jugement universel de Rogier van der Weyden de l'Hôtel-Dieu de Beaune.

Autre confrontation, dès la deuxième salle, celle de la Lamentation sur le Christ mort de l'atelier de Rogier van der Weyden (1460-1465), vraisemblablement commandée par Côme de Médicis avec le superbe drapé rouge de l'apôtre Jean, et le Triptyque de Jan Crabbe d'Hans Memling, reconstitué ici - démembré entre Vicence, The Morgan Library à New York et Broeningemuseum à Bruges - dans lequel la connaissance du maître bruxellois Rogier se ressent indubitablement.

 

Hans Memling. Portrait de femme (fragment). Vers 1480-1485. Huile sur bois (chêne), 23,2 x 18,4 cm. États-Unis, collection de l'ambassadeur J. William Middendorf II

Hans Memling. Portrait d'homme. Vers 1470-1475. Huile sur bois, 33,5 x 23 cm. New York, The Frick Collection

Le talent de portraitiste de Memling se manifeste dans la salle réunissant ses portraits. Portrait de trois-quart, fond neutre - Portrait d'homme des collections de la reine Élisabeth II - ou sur un fond paysagé très réaliste se perdant dans le lointain - Portrait d'un homme jeune, Galeries de l'Académie à Venise -, que souligne parfois un encadrement architectural, forte présence du sujet, ces différents éléments seront adoptés par les peintres italiens. Cette introduction du paysage correspondait, sans doute, à un goût de ses commanditaires italiens qui admiraient le paysage retranscrit par les flamands comme le souligne Paula Nuttall dans l'essai du catalogue ''Memling et la peinture italienne''.

Les marchands et banquiers florentins établis à Bruges lui passèrent commande de leur portrait tel Benedetto Portarini (1487), neveu de Tommasso, une œuvre qui influença fortement Léonard de Vinci (La Joconde) et Raphaël (Dame à la licorne), par le placement de Benedetto dans une loggia et devant un paysage ininterrompu, comme le précise Paula Nuttall. Le Triptyque de saint Christophe (Triptyque Moreel), avec les portraits des donateurs peints sur les panneaux latéraux avec leurs 18 enfants, les trois saints, est également une belle représentation de son extraordinaire habilité de portraitiste. 

Hans Memling. Triptyque Moreel. Saint Christophe, Egidio et Mauro (recto) Saint Jean-Baptiste et Saint Georges (verso). Daté 1484. Huile sur bois 141 x 174 cm (panneau central) ;141 x 87 cm (panneau gauche) ; 141 x 86,8 cm (panneau droit). Bruges, Stedelijke Musea, Groeningemuseum

Pour Tommasso Portarini, il peint la narrative Passion du Christ (1470) en suivant fidèlement, dans un vaste panorama très condensé, de la gauche vers la droite, avec des montées et des descentes du regard, les écrits des Évangélistes, de l'entrée à Jérusalem aux pèlerins d'Emmaüs, accordant une place centrale aux souffrances de Jésus. Ceci rappelle les miniatures pleine page d'un Livre d'Heures. La présence de cette Passion, venue de Turin, offre une comparaison avec le Triptyque de la Passion (vers 1500), copie fidèle par un suiveur, témoignage de l'impact pictural du maître de Bruges dont les peintures figuraient dans les collections italiennes des Este et des Médicis.

Peintre des grands formats des tableaux d'autel, Hans Memling réalise nombre de petits tableaux de dévotion, à usage strictement privé tels le Christ aux douleurs (1490) ou la minuscule Vierge allaitant l'enfant (1475-1480), tondo sur fond or dont trois versions sont connues.

Hans Memling. Triptyque Pagagnotti. Vers 1480. Madone sur le trône avec l'Enfant et deux anges (panneau central). Huile sur bois, 57 x 42 cm. Florence, Galleria degli Uffizi

Sa prédominance artistique, face à ses rivaux : le Maître de la Légende de sainte Ursule ou celui de la Légende de sainte Lucie, influence les artistes italiens étudiant ses tableaux tel Bernardino Luini dont la Madone avec l'enfant (vers 1500) reprend les caractéristiques flamandes de l'ovale de la Vierge, du drapé de l'habit, la ville dans le lointain. Vers la fin du XVe siècle, la peinture de Memling subit l'influence de la Renaissance italienne lorsqu'il intègre dans sa peinture des putti tenant des guirlandes de feuilles et de fruits, symbolique du triomphe du Christ sur la mort, dans le Triptyque Pagagnotti (vers 1480) et celui de la Résurrection (1480-1485) venue du Louvre.

La dernière section porte témoignage de l'influence de Memling en Italie avec son Christ bénissant (1485) - réuni ici avec son pendant : la Vierge douloureuse, collection privée britannique – à côté de sa copie fidèle et scrupuleuse réalisée par le florentin Domenico Ghirlandaio (vers 1490).

L'exposition se clôt par le Triptyque Pagagnotti reconstitué - panneau central venu des Offices et volets de la National Gallery - pendant quelques mois.

Merveilleuse exposition que ce qualificatif ne résume qu'imparfaitement. Le ''meravigliosa mostra'' le retranscrit mieux car, au-delà de l'expression du sentiment, l'intonation italienne de toucher à l'extraordinaire s'y ajoute.

Gilles Kraemer

déplacement et séjour à Rome à titre personnel

 

Remerciements à Piergiorgio Paris, du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale, pour les facilités d'accès à cette exposition. 

Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition
Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition
Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition
Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition
Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition
Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition

Memling. Rinascimento fiammingo. Vues de l'exposition aux Scuderie du Quirinal, Rome © photographies Le curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 2014 // Remerciements à Piergiorgio Paris du service presse d'Azienda speciale Palaexpo, Scuderie del Quirinale pour l'accès à cette exposition

Memling. Renaissance en Flandres / Memling. Rinascimento fiammingo

11 octobre 2014-18 janvier 2015

Scuderie del Quirinale - via XXIV Maggio 16 - Rome

Commissariat : Till-Holger Borchert

Catalogue. 248 pages. Éditions Skira. Un catalogue ne se résumant pas à une compilation d'images mais avec des textes et des notes intéressants, un historique de la vie du peintre et une vrai notice détaillée de chaque œuvre ! Un exemple pouvant être suivi outre-Alpes...    www.scuderiequirinale.it

 

Deux autres expositions à voir également à Rome :

Sir Denis Mahon e l'arte italiana del XVII secolo. Da Guercino a Caravagio au Palazzo Barberini, jusqu'au 8 février 2015. Jusqu'à Nicolas Poussin serait plus exact comme titre, la dernière salle présentant trois Poussin. Six Caravage dont L'Arracheur de dents et surtout le merveilleux Atalanta et Ippomene de Guido Reni. Cette exposition et Menling. Renaissance flamande se trouvent à dix minutes de marche, l'une de l'autre.    www.galleriabarberini.beniculturali.it    

http://www.lecurieuxdesarts.fr/2015/01/du-guerchin-a-caravage-da-guercino-a-caravaggio-sir-denis-mahon-et-l-art-italien-du-xviie-siecle-rome-palazzo-barberini.html

L'Académie de France à Rome – Villa Médicis avec I bassifondi del barocco. La Roma del vizio e della miseria / Les Bas-fonds du baroque. La Rome du vice et de la misère ; elle sera visible au Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, du 24 février au 24 mai 2015. Pour le plaisir, aussi, de ces lieux magiques que sont les salles d'exposition de la Villa.  http://www.lecurieuxdesarts.fr/2014/12/les-bas-fonds-du-baroque-la-rome-du-vice-et-de-la-misere-i-bassifondi-del-barocco-la-roma-del-vizio-e-della-miseria-entretien-avec-e

 

 

 

Tag(s) : #Venise et Italie
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