Encore d'autres merveilles à Fine Arts Paris 2019 (II)
Retour sur le salon Fine Arts Paris 2019. Quelques autres merveilles. Atmosphère intimiste, propice aux achats réfléchis et pertinents de collectionneurs et d'institutions muséales. C'est ceci le mystère réussi de ce salon.
École flamande 2e moitié du XVIIIe siècle, Saint Sébastien. Terre cuite polychrome. Hauteur 66 cm.. Galerie Trebosc + Van Lelyveld, Paris © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fine Arts Paris, 12 novembre 2019.
Cette sculpture au rendu très vivant, d'une incomparable maîtrise, l'on dirait de loin un bois, s'inspire du Saint Sébastien en marbre de Pierre Puget (Marseille 1620-1694) pour la Basilique Santa Maria Assunta de Carignano à Gênes, vers 1668.
Le corps de Sébastien, entraîné par son poids, dont les genoux ploient, témoigne de sa détresse. Il est suspendu par les deux bras à l'arbre du supplice. L'armure et le casque, à son côté, rappellent le martyr de ce centurion romain à Rome au IIIe siècle sous le règne de l'empereur Dioclétien. Très expressif, les yeux à demi-clos tournés vers le ciel dans l'imploration de Dieu, semblant avoir quitté notre monde. Mais son temps n'est pas encore arrivé; laissé pour mort, sainte Irène le soignera.

Bernardo Canal (Venise 1664 - 1744), Vue de la place Saint Marc vers l’église San Geminiano. Huile sur toile. 57 x 73,5 cm.. Galerie Jacques Leegenoek, Paris.
Tableau inédit qui parle beaucoup actuellement, en ces temps d'acqua alta catastrophiques à Venise, voyant mardi 12 novembre le niveau de l'eau atteindre 187 centimètres. Mais ici, l'histoire de San Geminiano est autre, sa destruction est récente. L'église est vue depuis la basilique San Marco; elle sera abattue sur l'ordre de Napoléon en 1807 pour construire à sa place l’aile napoléonienne et l'immense escalier, aujourd'hui le musée Correr.
Bernardo Canal ne fut longtemps considéré que comme le père de Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto. C’était oublier qu’il fut le seul maître connu de son célèbre fils, et qu’il réalisa avec son aide, entre 1716 et 1718 à Venise, pour les théâtres de San Cassiano et Sant’Angelo, de nombreux décors. Puis à Rome, entre 1719 et 1720 et toujours avec l’aide de son fils, d’autres décors. De la carrière de peintre de Bernardo Canal, peu de choses sont connues. Il devient membre de la guilde des peintres de Venise en 1717 et il peint lui aussi de nombreuses vedute sous l’influence directe de son aîné Luca Carlevarijs (1663-1730). Toutes les attributions à Bernardo reposent sur un groupe de cinq vedute vénitiennes autrefois dans la Collection Salom à Venise, toutes signées et datées au revers "Bernardo Canal Fecit 1734". Son style se reconnaît à sa palette dominée par les bruns rehaussés de touches de couleurs très subtiles et une façon très caractéristique de dessiner les nuages.

Bartolomeo Passarotti (Bologne 1529 -1592 Rome), Étude pour une Vénus. Plume et encre brune. 43,5 x 19,5 cm.. Galerie De Bayser, Paris. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fine Arts Paris, 12 novembre 2019.
Ce dessin, par l'emploi d'une plume d'argent vigoureuse en hachures croisées, reflète la double influence de deux grandes figures du cinquecento, Michel-Ange et Baccio Bandinelli (1494-1560, Le Louvre lui consacra une exposition en 2008).
Girolamo Muziano (Brescia, 1532 – Rome, 1592), La Pentecôte, 1576. Huile sur toile. 113 x 156 cm.. Galerie Antoine Tarantino © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Fine Arts Paris, 12 novembre 2019.
Œuvre parfaite, correspondant à ce que je nomme "la quadrature du cercle", une découverte, une histoire, un jalon dans l'histoire de l'art. Une toile difficile, pour un collectionneur, un vrai. Elle quitte une collection privée pour intégrer une autre grande collection privée. Antoine Tarantino avait eu la judicieuse et pertinente idée de présenter cette toile accrochée au dessus de céramiques anciennes dont une Hydrie à figures rouges attribuée au peintre de Baltimore, 320 av. J.-C. Une restitution idéale des œuvres telles qu'elles étaient montrées dans les palais de la Rome papale.
Cette toile est réapparue pour la première fois sur le marché (Seattle, Pacific Galleries, 12 février 2011) avec l’attribution étonnante à un "artiste anonyme de la fin du XIXe s.". Il s’agit au contraire d’un magnifique, rare et très grand "bozzetto" exécuté par Girolamo Muziano en vue de la réalisation de la toile de la Pentecôte pour le plafond de la Salle des Parements (autrefois du Consistoire secret) du palais du Vatican. Les sources mentionnent ce bozzetto au Vatican jusqu’au XVIIIe avancé, dans la salle du Consistoire (aujourd’hui bibliothèque des appartements pontificaux). En 1576 Muziano fut chargé par le pape Grégoire XIII (1572-1585) d’exécuter l’immense tableau (375 x 588 cm.), déjà encastré dans un plafond à caissons en décembre 1577. La solution de la toile insérée au centre d’un plafond en bois est tout à fait inhabituelle à Rome à cette époque et fut probablement inspirée à Muziano par les exemples de grands cycles de toiles répandus à Venise, ville que le peintre fréquenta dans sa jeunesse. L’artiste étudia l’œuvre en différentes étapes : il exécuta probablement d’abord ce bozzetto sur toile, lequel montre un grand nombre de variantes par rapport à l’œuvre définitive, en particulier dans la disposition des groupes de personnages du fond, mais également des modifications iconographiques, comme par exemple la colombe du Saint Esprit, remplacée dans la version finale par une mandorle rayonnante de lumière. Ensuite, il réalisa le dessin à la plume et lavis sur papier, conservé au musée du Louvre, beaucoup plus proche de l’œuvre finie. Les nombreux repentirs et la technique monochrome, avec de riches rehauts de blanc pour définir les formes et le clair-obscur, attestent que le bozzetto sur toile dût non seulement remplir la fonction de présentation pour le pape, mais également celle d’étude de la composition complète, pour mieux en définir la répartition dans l’espace, les effets plastiques, les gestes et les mouvements des figures. Dans le bozzetto, les effets de perspective et le raccourci de la composition sont moins accentués que dans le tableau final, passant d’un "quadro riportato", c’est-à-dire vu frontalement, à une solution plus illusionniste, avec une plus nette vision en trompe l’œil.

Gaspar de Crayer (Anvers 1584 - Gand 1669), Laissez venir à moi les petits enfants. Huile sur toile. 111 x 150 cm.. Galerie Jacques Leegenoek, Paris.
La récente exposition consacrée à de Crayer par le musée de Cassel en 2018 a redonné du lustre à cet artiste oublié. "Pourquoi consacrer une rétrospective [sa première exposition monographique] à un artiste inconnu du grand public, mort il y a 350 ans, et que les historien de l'art eux-mêmes, à quelques exceptions notables, négligent ? écrivaient Alexis Merle du Bourg et Sandrine Vézilier-Dussart, commissaires de l'exposition que ce musée consacrait à l'Inconnu du Nord : Gaspar de Crayer. Avec l'appel "Entre Rubens et Van Dyck" dans le titre de l'exposition pour le situer dans l'histoire de l'art. www.lecurieuxdesarts.fr/2018/07/gaspar-de-crayer-l-inconnu-du-nord-flandre.html
Célèbre de son vivant, présent dans L’iconographie de Van Dyck, son heure de gloire se situe à la fin du 18ème siècle. La critique du 19ème siècle, oublia de Crayer jusqu'à ce qu'Hans Vlieghe lui redonne une place de premier rang, par la publication en 1972 du catalogue raisonné de son oeuvre peint et dessiné.
Ce tableau important, récemment réapparu, est un magnifique témoignage de sa production juvénile, encore marquée par Rubens, et déployant une composition parfaitement maîtrisée, une grande qualité d’exécution et un coloris lumineux et audacieux. Si certains types physiques, notamment les deux figures masculines à l’arrière-plan sont directement issues de modèles rubéniens, le visage du Christ, lui, appartient totalement au répertoire de Gaspar de Crayer et se retrouve dans d’autres œuvres de l’artiste; ainsi, le visage de Dieu le Père dans la Sainte Trinité, passée récemment en vente publique à Liège (21 mars 2019). Ce tableau étant daté autour de 1620, une date similaire peut convenir à ce tableau
Gilles Kraemer & Antoine Prodhomme