Un Vaisseau fantôme incandescent à l'Opéra de Lille
Gilles Kraemer (déplacement à titre personnel à Lille et achat de ma place, orchestre)
Le Hollandais (Simon Neal), Senta (Elisabet Strid) // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
À la fin de l'hiver 1840, Richard Wagner commence la composition de quelques thèmes du Vaisseau fantôme, rédige le livret en mai 1841, compose la musique en sept semaines. L'on est loin de la rédaction du livret des Maîtres chanteurs de Nuremberg / Die Meistersinger von Nürnberg esquissé en 1845, rédigé en 1861-1862; publié aussitôt; il dut attendre 1867 avant de se voir accompagné de la somptueuse musique composée par Wagner, la première ayant lieu le 21 juin 1868 à Munich. Le livret annoté par Wagner, alors qu'il composait la musique des Maîtres chanteurs, provenant de la bibliothèque de Pierre Bergé, sera vendu à Paris 28 juin 2017.
Die Meistersinger von Nürnberg [Livret annoté par Wagner|, 1862. Édition originale du livret, largement corrigé et annoté par Wagner pendant qu’il composait la musique de son opéra. Les annotations autographes, presque toutes à la plume et à l’encre noire, plus rarement au crayon, apportent des modifications parfois considérables au texte des Maîtres chanteurs. Réalisées sur des feuillets blancs intercalés dans le volume, elles concernent une centaine de pages, soit près de deux tiers du texte imprimé, Wagner notant des idées musicales. Il n’y a pas que le "poème" qui ait subi une vigoureuse révision de la part du compositeur; l’exemplaire comporte des indications scéniques absentes de la version imprimée. La Bibliothèque de Pierre Bergé, troisième vente, Paris, 28 juin 2017, Pierre Bergé associés en association avec Sotheby's © Stéphane Briolant.
Ouverture du Vaisseau fantôme // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
Première à Dresde le 2 janvier 1843 du Vaisseau. Richard Wagner en révisera la partition en 1860, notamment l'ouverture et le finale du 3ème acte. La création française du Vaisseau fantôme a lieu à Lille, le 28 janvier 1893. Lorsqu'en 1988, cette maison fermera pour travaux, le dernier spectacle représenté fut... Le Vaisseau. C'est comme une longue histoire d'amour entre cet opéra romantique - ainsi Wagner le qualifiait-il - et Lille. Dix neuf ans après, Le Vaisseau réaccoste triomphalement lors de la première, dans une mise en scène proprement incandescente, "scotchante" et d'une totale lisibilité d'Àlex Ollé / La Fura dels Baus. La musique et le texte avant tout, au plus près, sans fioriture, même si l'action se déroule au Bengladesch. Ce qui est rare aujourd'hui, combien de mises en scènes prétentieuses subit-on depuis plus de dix ans dans le quartier de la Bastille !
Senta (Elisabet Strid), Le Hollandais (Simon Neal), Daland (Patrick Bolleire), Mary (Deborah Humble) // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
Première éblouissante face à un public captivé, ému, sous le choc, respectueux, n'applaudissant qu'à la fin, une osmose et une vibration fascinante entre salle, direction du chef norvégien Elvind Gullberg Jensen pour ses premiers débuts ici, musiciens de l'orchestre national de Lille - des cuivres merveilleux, caressants -, chanteurs, chœur, décors, lumière, remarquable vidéo. Jamais ces deux heures quinze ne parurent aussi légères, aussi courtes, l'on en redemanderait presque. Encore, encore Eivind Gullberg Jensen, encore quelques mesures, que la musique surgisse de la fosse, des profondeurs, s'extrait littéralement, s'élève mystérieusement et nous submerge comme les dernières images de cette représentation lorsque le Hollandais s'enfonce dans la mer, suivant son équipage de fantômes, rejoint par Santa. La communion touchant au sublime. Que l'on est loin du public du malheureux Opéra national de Paris, applaudissant sans cesse lors de la première de Lohengrin du 18 janvier 2017, n'attendant même pas l'ultime mesure et ses dix secondes de silence ou le dernière vers, venu plus pour assister au retour à la scène de Jonas Kaufmann [et dire ensuite, "j'y fus"] que pour entendre et vivre Wagner.
Le Vaisseau fantôme Acte II // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
Le Vaisseau fantôme Acte III // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
Grande page orchestrale de l'ouverture, onze minutes face à la proue immense d'un bateau rouillée tanguant dans une mer démontée, la pluie, les éclairs, des cieux dans la fulgurance de ceux de Rembrandt de L'Annonciation aux bergers, une trouée lumineuse telle celle de La Montée des bienheureux des Visions de l'au-delà de Jheronimus Bosch. Tout est en place, tout peut commencer.
La magie est bien réelle, celle de la vidéo de Franc Aleu juste là pour accompagner la musique et caresser le décor, celui de cette proue que l'on verra au cours des trois actes être le navire de Dalan, devenir celui du Hollandais puis une carcasse de métal dans un cimetière de bateaux -le chantier de Sirakundu, près de Chittagong au Bangladesh où les navires promis à la casse sont entièrement recyclés, un des endroits les plus pollués de notre planète, méritant le surnom de L'Enfer sur terre - jusqu'à disparaître. Pays où un père - Dalan - n'hésite pas à vendre sa fille - Senta -, au premier venu, en échange d'une valise de billets verts, à l'inconnu, ce Hollandais lui offrant un monceau d'argent.
Le Hollandais (Simon Neal) et Senta (Elisabet Strid) // Le Vaisseau fantôme, répétitions mars 2017 © Frédéric Iovino
Simon Neal, tout au long de la représentation, est un subjuguant Hollandais - bientôt un futur Wotan -, juste, d'un admirable phrasé, l'on serait prêt à le suivre comme Senta, à l'accompagner dans son errance éternelle. Quelle maîtrise à chaque moment. La perfection vocalement et quelle modestie. Patrick Bolleire dans Daland, Elisabet Strid dans Senta -malgré un jeu un peu appuyé , parfois caricatural d'une jeune femme bercée par ses songes -, David Butt Philip dans Erik - un peu difficile dans l'acte II, voix trop intérieure et retenue, dans une projection trop contenue pour s'épanouir dans l'acte final -, Deborah Humble dans Mary et Yu Shao dans le pilote, tous ont permis ce retour triomphal du Vaisseau à Lille.
Richard Wagner Le Vaisseau Fantôme (Der fliegende Holländer), opéra romantique en 3 actes (1843)
direction musicale Eivind Gullberg Jensen
Orchestre national de Lille et chœur de l’Opéra de Lille
Chef de chœur Yves Parmentier et Chef de chant Nicolas Chesneau
Mise en scène Àlex Ollé / La Fura dels Baus
Décors Alfons Flores / Costumes Josep Abril / Lumières Urs Schönebaum / Vidéo Franc Aleu
Production de l'Opéra de Lyon, créée le 11 octobre 2014. En coproduction avec l'Opéra de Bergen, Norvège, l'Opera Australia et l'Opéra de Lille
Der Holländer Simon Neal (baryton)
Daland Patrick Bolleire (basse)
Senta Elisabet Strid (soprano)
Erik David Butt Philip (ténor)
Mary Deborah Humble (mezzo-soprano)
Der Steuermann Yu Shao (ténor)
Représentations: lundi 27, jeudi 30 mars, samedi 1er, mardi 4, vendredi 7, lundi 10 et jeudi 13 avril 2017
Internet Opéra de Lille www.opera-lille.fr/fr/archives/bdd/cat/opera/sid/99623_le-vaisseau-fantome-der-fliegende-hollander
Représentation de l'Opéra de Lyon, octobre 2014 www.youtube.com/watch?v=dDYAjnonBtw
Représentation du Teatro Real de Madrid, décembre 2016 www.youtube.com/watch?v=ywkSXsiRBPY