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 Marie-Christine Sentenac

 

 En 1956 Agnès Varda (1928-2019) découvre et photographie le Palais Idéal du Facteur Joseph Ferdinand Cheval (1836-1924). Elle y reviendra souvent comme avant elle, surréalistes en tête, André Breton, Salvador Dali, Max Ernst, Leonora Carrington, Gertrude Stein, Paul Eluard, Pablo Picasso, Simone de Beauvoir, Dora Maar, Lee Miller, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, Marguerite Duras…

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Julia Fabry collaboratrice et interlocutrice privilégiée de la cinéaste pendant de longues années a conçu l’exposition Architextures et Perspectives avec Frédéric Legros, directeur passionné et amoureux de ce lieu qu’il dirige depuis 2019 lui donnant une nouvelle vie en invitant des contemporains dans une salle ouverte à des expositions temporaires (Ali Cherri, Rebecca Horn, Jean-Luc Mylane, Fabrice Hyber. Jean-Michel Othoniel familier du lieu dès son enfance résume parfaitement ce qui suscite l’engouement du public : " Le château des géants, du sable, des coquillages, de la poussière, du soleil, des grottes, des rires et se perdre dans le mystérieux de l’enfance.".

Voici le deuxième volet d’une trilogie consacrée à Agnès Varda, après l’exposition de 2020 Correspondances élaborée à partir de ses archives personnelles, sa collection de cartes postales et ses échanges épistolaires, notamment avec Alexandre Calder, dans la Villa Alicius, maison du " complice du destin " comme elle avait  baptisé les postiers facteurs avec sa malice légendaire. 

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Photographe de plateau officielle du Théâtre National Populaire après avoir été figurante et régisseur au festival d’Avignon, Agnès réalise son premier long métrage en 1954, La Pointe Courte  considéré comme le premier film de " La Nouvelle Vague ". Suivront, parmi les plus connus Le novateur Cléo de 5 à 7 (1962) ; Sans toit ni loi, (1985, Lion d’or à la Mostra de Venise) ; Les Glaneurs et la Glaneuse (2000) ´et Visages, villages (2017) avec la complicité de JR, et, dernier film Agnès par VardaSes films ont toujours flirté avec le documentaire.

Architextures et Perspectives met en évidence le lien qu’elle avait à l’architecture comme le montre le choix de la commissaire, déjà venue par deux fois avec Agnès dans cet endroit mythique. Les photographies dont beaucoup sont inédites, issues du fond géré par Rosalie Varda (collection succession Varda & collection Rosalie Varda - 20 400 négatifs environ), soulignent l’architecture du plan, " sa construction ", avec le choix du cadrage (le hors champs qui en dit parfois plus!), les perspectives, les matières et la texture, notamment la couleur sonore qui font la spécificité d’une œuvre, le montage qui bâtit un film: " Ma différence avec  les  cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est que j’ai toujours été plus intéressée par la structure d’un film que par son histoire ".

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Sont accrochés les clichés des grotesques du jardin de Bomarzo (le Parc des monstres) en Italie dans le Latium,  les Watts Towers de Los Angeles édifiées par Simon Rodia entre 1921 et 1954. En 33 ans, comme le Facteur Cheval, il mène à bien un projet insensé.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Les Terrasses du Corbusier à Marseille, les Sculptures Jeux de Pierre Székely à Clamart. On peut visionner un court métrage Les Dites Cariatides (1984) " Je suis belle ô mortels comme un rêve de pierre " Charles Baudelaire,

L’architecture hante l’univers de la réalisatrice. Leitmotiv de son travail, elle aime réinvestir des lieux désertés en décrépitude en Avignon, au Portugal, à Sète, décor de son premier film et s’y met parfois en scène (comme avant elle Cheval en son Palais).

Agnès Varda, maquette de la cabine du film Sans toit ni loi, 2017 © succession Varda / remerciements galerie Nathalie Obadia 

Agnès Varda,  maquette du bateau de La Pointe Courte, 2017 ©  Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

 Les maquettes de 4 films sont disposées dans la salle. " Je bâtis des cabanes avec les copies abandonnées de mes films. Abandonnées parce qu’inutilisables en projection. Devenues des cabanes, maisons favorites du monde imaginaire ".

Mémoires des lieux encore hantés par ceux qui y ont vécu.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Au printemps 1879, Ferdinand Cheval, facteur postier de son état, trébuche sur une énorme pierre qui semble sculptée, " la pierre d’achoppement " comme il se plaît à la nommer (désormais exposée sur la terrasse sous la Tour de Barbarie). "… si la nature peut faire la sculpture, je ferai la maçonnerie et l’architecture ". Dès lors, il construit dans son potager ce qui devait être son mausolée inventant (avant l’heure) une sorte de béton armé. Il plonge dans de la chaux une maille de métal qu’il durcit à l’aide d’un liant dont le secret n’a pas été encore percé. Il pétrit le ciment comme il pétrissait la pâte lorsqu’il était boulanger. On peut voir encore la trace de ses doigts à l’étage.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021. 

Celui qui rêve en marchant (tournée de 32 à 43 kilomètres par jour) élabore dans sa tête pendant 10 ans les plans qu’il dessinera plus tard. De ses nombreux croquis préparatoires, un seul subsiste.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.  

Réformé pour faible constitution !... il ramasse des pierres qu’il transporte dans sa besace (jusqu’à 40 kg), laissant sur le bord du chemin celles trop lourdes qu’il vient récupérer plus tard, souvent de nuit avec sa légendaire brouette qui aura les honneurs d’une sépulture, dans une grotte du mausolée, sous l’épitaphe Ma fidèle compagne. Breton parle de la brouette bien-aimée, elle fascine Dali.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Érigé à la lumière des bougies dans une région où les maisons depuis l’époque gallo-romaine sont composées de galets, il n’en utilise  qu’un seul, très gros, mis en valeur au pied de l’escalier qui grimpe à la terrasse.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Son neveu, qui vit a Marseille, lui envoie par la poste des sacs de coquillages, éléments décoratifs qui viennent agrémenter son œuvre dans la galerie, une des parties les plus intrigantes de la construction. Certaines zones du Palais étaient peintes.

Bien que bâti de façon empirique par cet autodidacte visionnaire, il n’y a aucune erreur de maçonnerie dans le Palais. Il observe les tailleurs de pierre et lui qui n’a jamais quitté sa Drôme natale, voyage grâce aux magazines Le Magasin pittoresque ou Les Veillées des chaumières dont les gravures et dessins nourrissent ses rêveries. L’Orientalisme si prisé à l’époque, un vieux livre illustré de contes indiens, Pierre Loti, Gustave Doré… abreuvent son imaginaire.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Contrairement aux idées reçues véhiculées depuis des décennies le Facteur Cheval bien que mystique n’était pas l’illuminé que l’on se plaît à décrire. Dés 1887 des journalistes du monde entier sont invités et se déplacent pour admirer son chef d’œuvre. N’ayant jamais réussi à mener à bien son projet de mise en eau de l’édifice, il fait jeter des seaux d’eau, par une trappe prévue à cet effet sur la terrasse, pour donner l’illusion d’une fontaine!

Il ouvre au public le 1 janvier 1905, et très malin met en place une billetterie.

© Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

 Il rajoute un toit terrasse sur la villa Alicius (constituée de parpaings de chaux) pour que les visiteurs aient une vue d’en haut, puis en 1906  un belvédère devant la façade Est permet de mieux apprécier les jeux de lumière, des tables et des bancs sont installés.

Son message de paix et de fraternité inscrit sur un chapiteau  " Pour les hommes de bien tous les peuples sont frères notre devise à nous est de les aimer tous " témoigne de l’universalisme du projet. Les soixante maximes écrites sur les murs, sont aussi bien empruntées à Goethe, à la Bible qu’à des commentaires laissés par les visiteurs sur le livre d’or mis à leur disposition : "cette merveille dont l’auteur peut être fier restera dans l’univers.". 

Il est à l’origine de la jurisprudence concernant les droits moraux et de reproduction à la suite d’un procès intenté au photographe Louis Charvat qui avait publié des cartes postales de son ouvrage sans son accord. Il commercialise alors lui-même  les photographies, il ne dédaigne pas poser en uniforme de postier (même bien longtemps après qu’il a cessé cette activité).

Moderne, précurseur des techniques publicitaires, pas si naïf que cela le brave facteur !

Bâtiment des expositions temporaires © Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Il meurt peu de temps après avoir dicté sa biographie à son fils.

André Malraux, ministre d'Etat chargé des affaires culturelles, fera classer le Palais monument historique au titre d'architecture naïve en 1969, seul exemple au monde d’architecture de ce type.

Précurseurs du recyclage, sujet brûlant s’il en est aujourd’hui, ces deux GLANEURS, dont la devise " A partir de rien on peut tout faire ", Agnès Varda et Ferdinand Cheval ont su entretenir cette part d’enfance et de songes qui est l’apanage des artistes.

Frédéric Legros, directeur du Palais idéal © Marie-Christine Sentenac, automne 2021.

Architextures et perspectives

15 octobre 2021 – 3 avril 2022

Palais idéal du Facteur Cheval – 26390 Hauterives

Commissariat : Julia Fabry et Frédéric Legros, directeur du Palais idéal

https://www.facteurcheval.com/

 

 

Tag(s) : #Cinéma, #Expositions France, #Musées
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