Un Eugène Onéguine dans un jeu de chaises - Théâtre des Champs-Elysées
Mercredi 10 novembre 2021, place achetée, orchestre
La lecture du programme avant de s’asseoir dans son fauteuil du Théâtre des Champs-Elysées est toujours conseillée. Première d’Eugène Onéguine. Stéphane Braunschweig est le metteur en scène de cet opéra largement représenté à Paris. Toutes les mises en scène, qu’elles soient théâtrales ou opératiques, de ce remarquable patron de l’Odéon-théâtre de l’Europe vont toujours à l’essentiel, s’attachant au texte, à la musique, mettant en valeur tous les acteurs ou les chanteurs. Toujours dans la perfection de ses incises. Son Iphigénie aux ateliers Berthier reste un modèle de pureté et du respect de la langue racinienne.
Tatiana & Eugène © Vincent Pontet
Cette soirée au TCE laisse un sentiment étrange avec sa pelouse verte, son échelle, une impression d’une Flûte enchantée vue et revue à Bastille avec une pointe d’Alcina de Haendel dans cet enfermement de l’action entre de hautes parois. Une immersion en Pays Basque avec la danse des paysans, béret sur la tête; ne manque plus que la ceinture verte ou rouge euskarienne pour les costumes de Thibault Vancraenenbroeck. Il aurait fallu de la couleur, des couleurs pour apporter plus de dynamisme à cette scène d'offrande de gerbes de blés à Mireille Delunsch/madame Larina. Que penser du palais du prince Grémine transformé en tripot / lieu de plaisir, choristes aux yeux bandés, nous transportant chez Traviata ou l’hôtel de Transylvanie de Manon ? Quand aux chaises blanches ou vertes bien rangées, que le chœur place ou déplace le long des murs, quelle est leur signification ?
Tatiana, scène de la lettre © Vincent Pontet.
Hormis ces bémols, la mise en scène épurée de Stéphane Braunschweig va à l’essentielle dans la démonstration des sentiments, saisissant les liens brûlants unissant les protagonistes, nous permettant d’écouter pleinement musique, chœur très présent de Bordeaux, et chanteurs. L’œil n’est pas contraint aux exercices inutiles et obligatoires de décrypter les intentions cérébrales de certain metteur en scène modeux du palais Garnier nous imposant des lavabos ou de voir dans cet opéra un épais secret homoérotique entre Onéguine et Lenski.
A la tête de l’Orchestre national de France, Karina Canellakis. Respect de la partition mais peu d’émotion, une belle indifférence, la scène de la lettre de Tatiana/Gelena Gaskarova est bien froide, applaudie du bout des doigts. Il faudra l’acte II et III pour un surgissement d’énergie, un ressenti, enfin de l’émotion, une impulsion, un dynamisme. Pour un accueil chaleureux de cette partition tellement belle permettant d’en oublier la direction.
Eugène & Lenski © Vincent Pontet
Les voix masculines s’imposent. Magnifique présence physique et vocale de Lenski/Jean-François Borras, un couple parfait avec Olga/Alisa Kolosova, magnifique dans la scène de la jalousie du bal et encore plus dans son air du pressentiment de ses adieux à la vie Où, où, ou avez-vous fui / Jours dorées de ma jeunesse ? conclu par une ovation, enfin la première de la soirée.
Onéguine/Jean-Sébastien Bou, le bel indifférent, habillé toujours de même, dans la tristesse de son habit noir très spleen baudelairien, traverse ses années de jeunesse – il n’a que 24 ans au début, 26 ans à la fin - déjà las de ses conquêtes féminines – avec brio, de sa voix précise.
ZPrince Grémine & Tatiana © Vincent Pontet
Face à lui, Gelena Gaskarova – dont ce n’est pas la prise de rôle - est bien effacée, trop effacée, se complaisant dans la lecture de romans de folles amours. Elle ne s’arrache pas assez de son personnage la réduisant à une jeune fille, dans une chambre surgissant du plancher, avec des meubles d’un enfant de cinq ans. Son interprétation de la princesse Grémine va enfin la libérer, rôle dans laquelle elle devient merveilleuse de présence et d’intensité. Très court rôle du Jean Teitgen/le prince Grémine mais quelle présence dans cet acte III lui valant une salve d’applaudissements après son air de déclaration passionnée L’amour ne se soucie pas de l’âge / Ses joies réjouissent autant / Ceux de la fleur de l’âge.
Acte III © Vincent Pontet.
Piotr Ilitch Tchaïkovski, Eugène Onéguine, 1878
Livret de Constantin Chilovski et du compositeur d’après Alexandre Pouchkine
Théâtre des Champs-Élysées 10, 13, 15, 17, 19 novembre 2021
Karina Canellakis | direction
Stéphane Braunschweig | mise en scène et scénographie
Marion Lévy chorégraphie - Thibault Vancraenenbroeck costumes - Marion Hewlett lumières
Orchestre National de France - Chœur de l’Opéra National de Bordeaux | direction Salvatore Caputo
Mireille Delunsch | Madame Larina soprano
Gelena Gaskarova | Tatiana soprano
Alisa Kolosova | Olga mezzo soprano
Jean-François Borras | Vladimir Lenski ténor
Jean-Sébastien Bou | Eugène Onéguine baryton
Jean Teitgen | Prince Grémine basse
Delphine Haidan | Filippievna mezzo-soprano - Yuri Kissin | Le Capitaine / Zaretski baryton-basse
Marcel Beekman | Monsieur Triquet ténor - Stanislas Siwiorek | Guillot (rôle muet)
Danseurs : Cécile Fargues, Justine Lebas, Ilario Santoro, Stanislas Siwiorek
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 10 novembre 2021.