Philippe Hersant, Jupiter triomphant des Éclairs à l'Opéra Comique
Gilles Kraemer
2 novembre 2021. Création mondiale de Les Éclairs, musique de Philippe Hersant, livret de Jean Echenoz que celui-ci a adapté de son roman Des Éclairs paru en 2010, la vie romancée de Nikola Tesla. Commande de l’Opéra Comique et de son directeur Olivier Mantei. Depuis le 1er novembre, celui-ci est devenu directeur général de l’Établissement public de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris.
Jean-Christophe Lanièce & Marie-André Bouchard-Lesieur © photographie Stefan Brion
Création réussie de cette triste histoire terriblement actuelle de cette course à la modernité et au profit, des conséquences induites, de ce dramma giocoso de la vie de Nikola Tesla (1856, Empire d’Autriche, actuelle Croatie – New York 1943), décrit par ses contemporains comme impeccablement habillé, fréquentant la haute société new-yorkaise mais dans une attitude totalement en contradiction avec l’homme solitaire qu’il voulait être pour ses inventions. Il quitta Paris après avoir électrifié le Palais Garnier en 1882 pour s’installer aux États-Unis en 1884.
Jean-Christophe Lanièce & André Heyboer © photographie Stefan Brion
C’est à cet instant que ce drame joyeux commence. Moment où le transatlantique arrivant près des côtes new-yorkaises tombe en panne. Il saisit l’opportunité, répare de suite les moteurs, arrivée triomphale à New York attendu par la presse. Cette cité sera presque le lieu unique de l’action, sauf la courte incise de son laboratoire au Colorado – se détachant du mur de briques du fond de la scène dans une caressante lumière sable orangé - où il met au point " l’énergie libre à la / disposition de tous ".
Pour les changements à vue puisque cet opéra en quatre actes est donné dans sa continuité de deux heures, Aurélie Maestre a créé des décors interchangeables et réadaptables en fonction de l’action. L’immense poutrelle métallique d’un building en construction sur laquelle Gregor / Jean-Christophe Lanièce trouve souvent refuge avec ses oiseaux jusqu’à ce qu’elle devienne sa sordide chambre, renvoie à la mythique photographie de 1932 Lunch atop a Skyscraper / Déjeuner au sommet d’un gratte-ciel ou devient le comptoir d’un bar. Escalier de secours très cinématographiquement West Side Story naturellement. Importance de la ville en construction avec les buildings en fond de scène, grandissant et saturant la ville à mesure que le temps avance ; comment ne songerait-on pas au photographe Alfred Stieglitz, à l’univers en noir et blanc de Lyonel Feininger et, dans la dernière image, par la magie des éclairages de Bertrand Couderc, à notre contemporain Jean-Baptiste Sécheret ? L’évolution de la mode des costumes des deux femmes permet de saisir les dizaines qui passent, devenant de plus en plus colorées à mesure que Gregor plonge dans son enfermement, insensible physiquement à la journaliste Betty / Elsa Benoit et à sa mécène Ethel Axelrold / Marie-Andrée Bouchard-Lesieur qui quittera inutilement son falot époux Norman / François Rougier pour le suivre. Peine perdue, Gregor n’a aucune attirance pour les femmes, son unique préoccupation reste le bienfait de l’humanité. Cela l’occupe tellement que Parker / Jérôme Boutillier son soutien financier l’abandonnera lorsque la philanthropie gagnera de plus en plus le savant. L’Amérique, terre de profits, accorde peu de regard aux bonnes actions.
Jean-Christophe Lanièce © photographie Stefan Brion.
Clément Hervieu-Léger retranscrit parfaitement l’Amérique, mère du bouillonnement, du progrès, de l’investissement, du profit obligatoire, des fortunes naissantes, du scoop, de l’influence de la presse écrite et des liens pas très clairs que celle-ci peut entretenir avec le monde industriel, - Edison / André Heyboer dans son entretien avec Betty, la journaliste du New York Herald, " Flattez-moi, je vous / prie, flattez moi. Rien n’est plus doux / qu’une presse flatteuse ". Sa mise en scène dans un tempo rapide et ramassé nous offre de belles mises en mouvement du chœur très présent.
Dans l’opposition entre le créateur et l’investisseur, l’utopiste et l’industriel, le concepteur et le décideur, Jean-Christophe Lanièce et André Heyboer sont excellents, l’un grand, l’autre dans les rondeurs du capitaliste ayant réussi, une parfaite complémentarité dans ces différences qui vont les opposer, Edison le méchant faisant tout pour " casser " Gregor.
A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Ariane Matiakh défend avec vigueur la partition de Philippe Hersant, mettant en valeur chaque voix accompagnée d’un instrument soliste.
Opéra Comique. 2 ,4, 6, 8 novembre 2021
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Philippe Hersant, Les éclairs, Livret de Jean Echenoz, d’après son roman Des éclairs
Direction musicale - Ariane Matiakh
Chœur - Ensemble Aedes / Orchestre Philharmonique de Radio France
Mise en scène - Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie-Française
Décors - Aurélie Maestre / Costumes - Caroline de Vivaise / Lumières - Bertrand Couderc
Chef de chant - Christophe Manien/ Chef de chœur - Mathieu Romano
Gregor - Jean-Christophe Lanièce, baryton
Ethel Axelrod - Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, mezzo-soprano
Norman Axelrod - François Rougier, ténor
Betty - Elsa Benoit, soprano
Edison - André Heyboer, baryton
Parker - Jérôme Boutillier, baryton
Le capitaine, un domestique, un adjoint d’Edison - Alban Dufourt / Le second, le médecin légiste - Mathieu Dubroca / Domestiques - Anthony Lo Papa, Paul Kirby / Adjoints d’Edison - Florent Thioux, Sorin Adrian Dumitrascu, Vlad Crosman / Figurants - Stéphane Lara, Antoine Pinquier
Diffusion le 1er décembre 2021 sur France Musique.