Marie Madeleine passionnée et démultipliée. Monastère royal de Brou
Guido Reni (Calvenzano 1575 - 1642 Bologne), Sainte Madeleine en prière, XVIIe siècle. Huile sur toile, 111,5 x 93 cm.. Collection Roger du Plessis de Liancourt, Paris, 1644; entrée dans les collections royales de Louis XIV, 1670. Musée des Beaux-arts de Quimper.
Étonnante Marie Madeleine. Dans le langage courant, elle ne cesse de pleurer et a donné son nom à une Eau de la Magdeleine, en 1875, censée entretenir et conserver la chevelure ! À lire l'essai que lui consacre Isabelle Renaud-Chamska dans le remarquable catalogue accompagnant l'exposition Marie Madeleine. La passion révélée au monastère royal de Brou, il pourrait s'agir de quatre femmes évoquées par les évangélistes. La pécheresse anonyme essuyant les pieds du Christ après les avoir oint de parfum, lors d'une repas chez Simon, selon l'apôtre Luc. La femme anonyme, lors d'un repas chez Simon, versant sur la tête du Christ un parfum de grand prix selon les évangélistes Matthieu et Marc. Marie de Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare, obtenant la résurrection de son frère, versant un parfum sur les pieds du Christ qu'elle essuie de ses cheveux et qui sera témoin de la résurrection de Jésus, selon l'apôtre Jean. Marie de Magdala, disciple de Jésus selon Luc et qui rencontrera le Christ, après sa résurrection, selon l'évangéliste Jean.
Lucas de Leyde (Leyde, 1494-1533), La danse de Marie Madeleine, 1519. Gravure au burin, 18,3 x 14,5 cm. Daté et signé en bas au milieu. Paris, Fondation Custodia – collection Frits Lugt
L'on s'y perd dans l'évocation de ces quatre femmes différentes, citées dans les Évangiles. Heureusement que le pape Grégoire le Grand synthétisa ceci en 591 et agrégea ces femmes en une seule personne. Une sainte souvent représentée myrrophore, élégamment vêtue et portant un flacon de myrrhe, huile parfumée coûteuse, symbole de l'onction de Béthanie et de l'onguent funèbre, comme dans des statues de Bruxelles ou du Bourbonnais (vers 1490-1500). Ou celle qui fut, selon la Légende dorée, Marie de Magdala, princesse se livrant à tous les plaisirs terrestres comme ceci est visible dans la gravure de Lucas de Leyde (1519). Ou la pénitente, dont la nudité se vêt uniquement de sa longue chevelure, nourrie de la musique des anges qui l'élèvent 7 fois par jour au ciel, dans le panneau attribuée à Bartolomeo di Giovanni (1480-1500).
Alkis Boutlis, (né à Thessalonique, 1978), Sans titre, 2013, Gouache sur bois, 50 x 37,5 cm. Collection particulière, courtesy galerie Suzanne Tarasieve, Paris
L'unité faite, l'on n'était pas d'accord sur le lieu de sépulture de cette figure très présente dans l'Église. L'on imagine qu'après la Résurrection de Jésus, cette amante parfaite du Christ est devenue ermite ou serait partie dans le sud de la France pour se retirer dans la grotte de la Sainte-Baume. Dans un développement du culte des reliques, Vézelay la bourguignonne affirmera détenir son corps depuis 882 alors que ces reliques sont opportunément découvertes dans l'église de Saint Maximin en 1279. Quel était ce personnage fascinant et foisonnant, inspiratrice des artistes, auquel le monastère royal de Brou - en union avec le musée des beaux-arts de Carcassonne et le musée de la Chartreuse de Douai - consacre, pour la première fois en France, une exposition explorant les différentes représentations qu'elle a inspirées dans l'histoire de l'art, de la Chasse reliquaire historiée de Nantouillet, œuvre de Limoges de la fin du XIIe siècle qui renfermait ses reliques à la peinture d'Alkis Boutlis (né en 1978), une Marie Madeleine pénitente vivant dans sa chair la Passion du Christ, portant la couronne d'épines et marquée par les stigmates.
Pour les deux commissaires de cette exposition à Brou, Magali Briat-Philippe et Pierre-Gilles Girault, il s'agissait en huit sections "d'évoquer Marie Madeleine dans un cheminement de la construction de son personnage, la pécheresse qui s'est convertie par amour. Puis nous avons déroulé le fil de son histoire telle qu'elle apparaît dans les récits des Évangiles et telle qu'elle sera enrichie par la légende" tout au long du Moyen Âge jusqu'à nos jours, insistant sur le fait que la présentation de 131 œuvres n'est nullement une exposition d'art religieux mais de beaux-arts. Marie Madeleine va devenir bien plus qu'une figure biblique en intégrant une figure de la féminité, à mi-chemin entre Ève qui a terni l'image de la femme par le péché originel et la Vierge Marie si pure qu'une simple mortelle ne peut s'identifier à elle. Marie Madeleine pêche mais accède à la rédemption par sa pénitence et son amour inconditionnel du Christ.
Abraham Janssens (Anvers, 1575-1632), Jan Wwildens (Anvers, 1586-1653) et Adrian Van Utrecht (Anvers, 1599-1652), Noli me tangere, Après 1620. Huile sur toile, 151,8 x 202,8cm. Achat de la ville de Dunkerque avec la participation du FRAM en 2001. Dunkerque, musée des Beaux-Arts © Jacques Quecq d'Henripret
Le sous-titre de l'exposition, La passion révélée revêt un double sens. L'évocation de la Passion du Christ que Marie Madeleine fut une des seules à l'accompagner avec la Vierge au contraire des apôtres qui l'abandonnèrent excepté Jean. En apparaissant même toute seule au pied de la Croix selon Laurent de la Hyre (avant 1630), comme plongée dans une rêverie. Ce sera celle aussi qu'il aura le plus aimé, presque d'une passion amoureuse comme Auguste Rodin la laisse sourdre du marbre dans le Christ et la Madeleine (vers 1894) lorsqu'elle étreint le corps de celui qu'elle est désespérée d'avoir perdu. Ce corps perdu, elle le retrouve, ressuscité dans l'épisode Noli me tangere - Ne me retiens pas. Elle ne le reconnaît pas de suite, le prenant pour un jardinier, instant inspirant pour les Livres d'Heures enluminés par Jean Colombe ou un maître de l'entourage de Jean Bourdichon (vers 1495), le burin de Martin Schongauer (1475-1480), les émaux de Limoges du XVIe siècle, la toile d'Abraham Janssens, Jan Wildens et Adrien van Utrecht (après 1620) du musée des Beaux-Arts de Dunkerque [fermé depuis le ... 1er avril 2015 et qui se trouve maintenant en caisses, une raison de plus de faire le voyage de Brou] ou chez Puvis de Chavannes (1857).
Quelle est belle Marie Madeleine lorsque sa sœur Marthe l'exhorte à renoncer à sa vie mondaine, sortant de la pénombre dans une toile d'après le caravagesque Carlo Saraceni (1er quart du XVIIe siècle) ou qu'elle apparaît dans la lumière, dans la même scène, chez Francesco Cairo (vers 1650-1655) dans des temps de la Contre-Réforme d'une nécessité absolue de la conversion et du repentir ! Dans ses moments de douleurs, après la mort du Christ, la représentation de la sainte confine au sublime chez Pietro Faccini (vers 1590) [musée des Beaux-Arts de Caen] dans un tourbillon de couleurs exacerbant les sentiments de grande confusion dans laquelle elle se trouve lorsqu'elle arrive au Tombeau.
Gerrit Van Honthorst (Utrecht 1590 - 1656 Utrecht), Marie Madeleine pénitente, vers 1624-1625. Huile sur bois, 73,5 x 58 cm. Collection particulière © DR
Plongée dans la méditation, sa tunique légèrement ouverte dévoilant un sein et une épaule, Madeleine ne se soucie plus de son apparence. Dans le clair-obscur du caravagesque hollandais Gerrit Van Honthorst (vers 1625-1626) surnommé "Gherardo delle notti" par les Italiens pour ses effets de scènes nocturnes, le visage en pleurs, la pénitente sourd de la nuit dans le jeu de lumière d'une bougie cachée. Ce sujet inspirera les déclinaisons nocturnes de Georges de La Tour dans sa série de Madeleine dont une copie est présentée ici (2ème quart du XVIIe siècle). Elle est plus extatique chez Jacques Blanchard (vers 1636-1638) [musée Fabre de Montpellier ] dans sa pénitence, les yeux levés vers les cieux, "vers un faisceau lumineux, symbole de la lumière divine et de la grâce de la conversion" ou d'une magistrale sensualité toute en retenue chez le maître bolonais Guido Reni.
Sujet inspirant, Marie Madeleine l'est encore aujourd'hui. Deux œuvres à retenir ? Philippe Lejeune, Le Repas chez Simon (1952) dans une mise en espace si balthusienne en regard du Jean Bérault La Madeleine chez le pharisien (1891), avec une Christ socialiste - le journaliste Duc-Quercy - entourés d'écrivains et de savants tels Alexandre Dumas ou Ernest Renan. Et une Madeleine repentante épurée à l'extrême, un projet de... chenets pour Coco Chanel par Jacques Lipchitz (1921). Jusqu'où les feux de la passion enflammée ne vont-ils pas ?
Gilles Kraemer
Marie Madeleine. La passion révélée
Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse, 29 octobre 2016 - 5 février 2017
Puis au Musée des Beaux-arts de Carcassonne, du 24 février - 24 mai 2017 & au Musée de la Chartreuse de Douai du 17 juin - 24 septembre 2017. Exposition itinérante conçue en partenariat avec le Musée de la Chartreuse à Douai et le Musée des Beaux-Arts de Carcassonne. Commissariat : Marie-Paule Botte, historienne de l’art ; Magali Briat-Philippe, conservateur du patrimoine, responsable du service des patrimoines du Monastère royal de Brou ; Pierre-Gilles Girault, administrateur du Monastère royal de Brou ; Anne Labourdette, directrice du musée de la Chartreuse de Douai ; MarieNoëlle Maynard, directrice du musée des Beaux-Arts de Carcassonne.
Au sein du Monastère royal de Brou, un parcours spécifique est consacré à la dévotion toute particulière de Marguerite d'Autriche pour la sainte, qui figure à plusieurs reprises dans la statuaire et les vitraux de l'église et apparaît dans une sélection d’œuvres du musée.
Catalogue sous la direction de Bernard Ceysson, François Ceysson, Loïc Bénétière, Marie-Paule Botte, Magali Briat-Philippe, Marie-Noëlle Maynard. 216 pages. 203 illustrations couleurs Prix : 25 € © IAC Éditions d’Art
Internet http://www.monastere-de-brou.fr/Actualites/Marie-Madeleine-la-passion-revelee
Futures expositions : Quel chantier ! 1er juillet 2017 - 24 septembre 2017 (dates à confirmer). l'exposition propose une immersion au cœur des différents chantiers du monastère royal de Brou, en premier lieu celui de sa construction. Puis Georges Michel, le Ruysdaël français (titre provisoire) 7 octobre 2017 - 7 janvier 2018 puis du 27 janvier 2018 – 29 avril 2018 à la Fondation Custodia, Paris
En résonance à Marie Madeleine la Passion révélée au musée du monastère royal de Brou, H2M accueille 18 artistes contemporains pour rendre hommage à cette figure de tous les paradoxes, avec une sélection d’une quarantaine d’œuvres allant du dessin à l’installation, de la photographie à la vidéo en passant par la broderie. Œuvres d'Anaïs Albar, Pilar Albarracin, Héla Ammar, Mariette Auvray, Carolle Benitah, Louise Bourgeois, Ninar Esber, Ymane Fakhir, Leïla Gadhi, Kaveh Golestan, Perrine Lacroix, Myriam Mechita, Myriam Mihindou, Zanele Muholi, ORLAN, Hanane Ourraht, Damien Rouxel, Kiki Smith. Commissariat de l’exposition : Sonia Recasens. Les sept démons à H2M, espace d’art contemporain de Bourg-en-Bresse, du 5 novembre 2016 au 12 février 2017.
Internet http://www.bourgenbresse.fr/Agenda
Vues de l'exposition Marie Madeleine. La passion révélée, Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition