De la (re)découverte des peintures murales de Yan Pei-Ming. Entretien avec Noëlle Tissier, directrice du CRAC Sète
Vue de la restauration de la salle Yan Pei-Ming. Lycée Charles de Gaulle, Sète, 2016. Détail de l'œuvre Tête - Yan Pei-Ming 1988. Photographie Aloïs Aurelle © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2016.
Têtes revivent à Sète ! Têtes, la Sixtine de Sète ?
Dans un croisement de deux temps du parcours de Yan Pei-Ming (Shanghai 1960), arrivé en France en 1977, diplômé des Beaux-arts de Dijon en 1986. D'un côté, Têtes (1988), dans ce qui fut la caserne Vauban sur les hauteurs de Sète, aujourd'hui le lycée des métiers Charles de Gaulle. De l'autre, Ruines du temps, 48 peintures de 2013 à 2016, au Centre régional d'art contemporain Languedoc Roussillon Midi Pyrénées.
Noëlle Tissier et Yan Pei-Ming © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Sète, 30 juin 2016
Entretien avec Noëlle Tissier, directrice du CRAC-Sète
Le Curieux des arts : Noëlle Tissier, après un parcours d'artiste plasticienne et avoir enseigné à l'école des Beaux-Arts de Toulon, vous prenez la tête de l'école municipale des Beaux-Arts de Sète en 1987. Dès 1988 vous créez la résidence d'artistes : Villa Saint Clair que vous dirigerez et dont vous assurerez la programmation jusqu'en 1997. En 1993 vous élaborerez le projet de création d'un centre d'art dans cette ville, le CRAC dont vous êtes la directrice depuis 1997. Vous vous apprétez à en quitter la direction l'année prochaine - eh, oui la retraite -, après les expositions Johan Creten à l'automne 2016 (qui fut également de la Villa Saint Clair) et Jean-Michel Othoniel à l'été 2017. Revenons sur ce qui nous réunit aujourd'hui, ce jeudi 30 juin 2016, au lycée des métiers Charles de Gaulle : l'inauguration de la restauration de Têtes, trois œuvres murales de Yan Pei-Ming.
Noëlle Tissier : En 1988, j'organise à Sète, une exposition dans le cadre de la résidence d'artistes que j'avais montée : la Villa Saint Clair, que vous venez d'évoquer. Je n'ai pas de lieu d'exposition pour présenter le travail des trois artistes que j'avais invités dans ces ateliers de recherches et de rencontres.
Le C desA : Qui sont-ils ?
N.T. : Jean-Michel Othoniel (né en 1964), Yan Pei-Ming et Philippe Perrin (né en 1960). Jean-Michel, alors étudiant à l'École nationale supérieure d'arts de Cercy-Pontoise, je l'ai rencontré grâce à Bernard Marcadé, professeur d'esthétique et d'histoire de l'art dans cette école. Philippe, je l'ai connu par l'École supérieure d'art de Grenoble. Et, Pei-Ming, en 1986 à l'École des Beaux-Arts de Dijon. Lorsque l'on repense à eux, c'était un peu explosif et ne faisait pas sens de concevoir une exposition collective. Il me fallait un lieu qui puisse accueillir trois projets distincts. Les exposer ensemble aurait trahi quelque chose d'où cette obligation de trois expositions.
Le C desA : Quel fut le lieu choisi ?
N.T. : La caserne Vauban. Devenu un squat. Après son évacuation, le maire de l'époque avait fait murer toutes les ouvertures. Insistant auprès de lui, j'ai obtenu son accord pour utiliser ce bâtiment comme lieu, monument portant encore des traces de squatérisation. Les espaces que les artistes désiraient investir furent nettoyés et repeints. Hormis les salles que Ming souhaitait occuper en l'état.
Le C desA : Que présentent Othoniel et Perrin ?
N.T. : Sur un étage, Jean-Michel proposa des installations autour de la pratique du matériau aux qualités réversibles qu'est le soufre. Philippe intervint dans la cour par une installation faite de tatamis; et sur un étage, des portes fermées portaient l'inscription "Salle de combat n°1", "Salle de combat n°2", ...., avec seules deux ou trois salles ouvertes exposant des installations.
Centre : Tête, 1988, huile sur mur, 345 x 232 cm.. Exposition Yan Pei-Ming, Villa Saint Clair, caserne Vauban, 1988, Sète. Photographie François Lagarde © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2016.
La salle Yan Pei-Ming © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, lycée Charles de Gaulle, Sète, 30 juin 2016
Le CdesA : Revenons à Pei-Ming
N.T. : De lui, dans l'ancienne caserne Vauban, n'était présenté qu'une seule toile par salle, un visage anonyme de 2 mètres sur 2. Il devait y avoir 16 ou 18 Tête, avec à chaque fois cette mise à distance du regardeur par une barre de bois rouge placée à la porte empêchant d'entrer, ne permettant de voir les toiles que de loin. Dans une salle des idéogrammes chinois signifiant têtes étaient dessinés. D'où cette logique de cette salle aux trois fresques, trois visages disproportionnés, gigantesques, monumentaux, où nous puissions entrer. Sans avoir de recul, il nous obligeait à regarder le geste, la peinture, sans être dans l'image. Alors que dans les autres salles s'il nous mettait à distance, ici il nous immergeait dans sa peinture.
Le CdesA : Et, après ?
N.T. : Souhaitant que cette oeuvre demeure in situ, j'avais proposé au maire de garder cette salle qui serait la mémoire de l'exposition mais aussi celle de ce que fut la caserne Vauban. Au fil des années, ces peintures dont le don n'avait pas été contractualisé se sont abîmées. Depuis 20 ans, je me bats pour leur restauration... depuis 1996. Aujourd'hui, le contrat existe, la restauration faite par Thierry Martel et son équipe - 100 000 euros pour la restauration et la remise en état de la pièce pris en charge par la région - est terminée pour cette œuvre importante de Yan Pei-Ming de sa première période.
La restauration des fresques : restitution, pérennisation et préservation, sous la conduite de Thierry Martel, s'est déroulée en deux sessions de 5 mois. Cette œuvre s'était dégradée suite à des infiltrations, des soulèvements de peinture car le support n'avait pas été préparé. Yan Pei-Ming reste le propriétaire de ses trois peintures murales, la Région celui des murs; l'artiste ayant cédé ses droits, celles-ci seront visibles lors des prochaines Journées du patrimoine et par les hôtes fréquentant le restaurant d'application de ce lycée.
Un seul bémol, enfin deux. Pourquoi le remplacement des deux radiateurs de fonte par des métalliques inesthétiques ? L'occultation des deux fenêtres de la salle par des stores en tissu ? Ne pourrait-on pas installer, à l'extérieur, devant celles-ci des filtres pour revoir les hautes fenêtres à petits carreaux ?
Gilles Kraemer (voyage de presse)
Yan Pei-Ming © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Sète, 30 juin 2016
Lycée des métiers Charles de Gaulle 38, rue Robespierre - 34200 Sète
Dans le cadre du parcours "Les premiers seront les derniers" [ceux de la Villa Saint Clair], après Yan Pei-Ming - Ruines du temps réel du 1er juillet au 25 septembre 2016, puis La Traversée - Johan Creten du 22 octobre 2016 au 15 janvier 2017, Jean-Michel Othoniel sera l'invité de l'été 2017.