Le château de Pierrefonds se met en scène entre Moyen Âge et second Empire
Costumes pour Till Eulenspiegel ou Till l'Espiègle. Musique de Richard Strauss. Chorégraphie de Vaslav Nijinsky. Décors et costumes de Robert Edmond Jones. Création par les Ballets russes de Diaghilvev, New York, 23 octobre 1916. Entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra, Palais Garnier, 9 février 1993. Costumes réalisés dans les ateliers du Palais Garnier. Prêt de l'Opéra national de Paris. Exposition Armures, hennins & crinolines, château de Pierrefonds © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
« Tout est vrai. Tout est faux à Pierrefonds » souligne Martine Kahane, co-commissaire avec Noëlle Giret de cette exposition au château de Pierrefonds, édifice grandement détruit sur l'ordre de Louis XIII, reconstruit par Eugène Viollet-le-Duc à partir de 1857. Et terminé après la chute de l'Empire.
Un tel lieu où le faux est plus vrai que le vrai, un tel lieu architecturalement spectaculaire par lui-même, réinventant un Moyen Âge idéalisé, n'était-il pas prédestiné à être l'écrin pour accueillir le royaume de l'illusion et de l'émerveillement avec une trentaine de costumes, les plus délirants ou frappants, prêtés par l'Opéra national de Paris, le Théâtre du Capitole de Toulouse et l'Opéra national de Bordeaux, présentés dans trois salles de ce château ?
Comme ce château est une réinvention par Viollet-le-Duc de l'édifice construit par Louis d'Orléans au tournant du XVe siècle, les deux commissaires partirent « de l'idée de montrer comment le spectacle, aujourd'hui interprète un Moyen Âge idéalisé » avec une prolongation vers l'évocation du second Empire puisque nous sommes à Pierrefonds.
Vues de l'exposition Armures, hennins & crinolines, château de Pierrefonds © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
Monde de la science-fiction pour une production du Roi d'Ys, opéra de Lalo, dans cette mise en images de la légende d'une ville bretonne qui sera engloutie par les flots, avec des costumes de Franca Squarciapino très largement inspirés du fantastique. Cette première salle, dite des Armures, ne peut qu'être évocation du drame, de la passion, de la jalousie et du bruit des armes opposant les protagonistes. Le roi de cette ville est vêtu de rouge et d'or, couleurs du pouvoir, entouré de soldats entièrement en noir, aux casques ornés d'animaux fantastiques, dans un rappel de personnages issus de mangas. Avec au milieu, deux princes, bien caractérisés par la couleur de leur habits symbolisant leur personnalité, l'un en bleu royal, l'autre en vert néfaste.
Place à la démesure théâtrale, le plateau étant le lieu de tous les excès et de l'exagération. Aurait-on l'idée de voir une danseuse vêtue d'un hennin de presque deux mètres de haut, d'une robe avec une traîne de trois mètres et d'une étole de douze mètres ? Le théâtre le permet et cette fantaisie jaillit sous le crayon de Robert Edmond Jones, en 1916, pour les habits des châtelaines du ballet Till Eulenspiegel chorégraphié par Vaslav Nijinsky sur une musique de Richard Strauss. Cette production sera reprise à Garnier, en 1994, d'après les maquettes originales de ces costumes très audacieux par le mélange magique de leurs couleurs, faisant souvenir d'un grand couturier arlésien, mais nullement pratiques pour des danseuses. Les coiffures des autres danseuses, ceux de la bourgeoise et de la bourgeoise riche n'avaient rien à leur envier, un hennin à double corne pour l'une, une coiffure en forme de coquille Saint-Jacques pour l'autre. A côté, l'habit de Judith dans Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók semble bien sage hormis la coiffure et la très large collerette évocatrices de l'architecture gothique.
Vues de l'exposition Armures, hennins & crinolines, château de Pierrefonds © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
Clin d'œil au second Empire, dans la salle dites des Preuses, et aux « séries de Compiègne » de novembre et décembre, lorsque le couple impérial invitait dans ce palais, non loin de Pierrefonds, séjour pendant lequel l'excursion dans ce château en chantier était une visite que l'on ne pouvait éviter. La Chauve-souris de Johann Strauss, pour cette évocation, s'impose naturellement. Comme le précisent les deux commissaires, il paraissait « intéressant de montrer cette extravagance entre les hennins qui ont crû en hauteur et les crinolines en largeur », l'un soulevant les récriminations du clergé, l'autre les moqueries de la presse et des caricaturistes assimilant la coquette à une femme-ballon.
Une belle leçon sur les arts du spectacle qui impressionneront et feront rêver grands et petits, se terminant par une évocation du Moyen Âge stylisé de Roméo et Juliette, La Célestine et Le Poirier de misère, le plus ancien costume présenté puisqu'il est de 1927.
Gilles Kraemer
Vue de l'exposition Armures, hennins & crinolines, château de Pierrefonds © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
Armures, hennins et crinolines. Costumes de scène
15 avril – 18 octobre 2015
60350 Pierrefonds
Internet www.pierrefonds.monuments-nationaux.fr
Catalogue. 48 pages, 48 illustrations. Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux. Prix 12 euros.
Pour prolonger votre visite et le nouveau parcours dans les salles de Pierrefonds, lisez les ouvrages de Robert Dulau et Gérard Delmaz, tous les deux consacrés à ce château.
Cette exposition sera reprise, à partir de novembre 2015; sous une forme adaptée, au Palais du Tau à Reims.