L'Europe avant l'Europe - Une immersion dans le monde des Carolingiens / Saint-Riquier
L'Europe avant l'Europe – Les Carolingiens © Photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, juin 2014
Charlemagne a-t-il inventé l'Europe ? A-t-il inventé l'école ? Non, elle existait et, s'il lisait le latin, il ne l'écrivait pas. Il s'intéressait à l'astronomie. Était-il grand ? Oui, 1, 92 mètres mais contrairement à la légende, sa barbe n'était pas fleurie ; il portait une moustache fournie comme tous les Francs. Une figure à la fois réelle et mythique.
Qui était donc Charles, couronné empereur à Rome le jour de Noël 800, dont le 1200e anniversaire de sa mort à Aix-la-Chapelle se célèbre cette année ?
« L'Europe avant l'Europe - Les Carolingiens nous plonge au cœur de l'histoire carolingienne, dans le fracas des guerres, des fastes de la Renaissance carolingienne, des lointaines ambassades en Orient et aussi la vie de tous les jours » souligne Ariane Kveld Jaks (spécialiste de l'ekphrasis ou description d'une œuvre d'art, réelle ou imaginaire), la commissaire de cette exposition présentée dans le cadre si approprié de l'abbaye de Saint-Riquier, « dans un temps allant de la création de la dynastie en 751 par Pépin le Bref à la mort de Charles le Gros en 888. L'exposition célèbre naturellement le 1200e anniversaire de la mort de l'empereur, l'Europe dans ses aspects positifs et le rôle de l'abbaye de Saint-Riquier à travers ses deux comtes abbés ». Ce lieu ecclésiastique, fondé par Riquier en 625, fut par la volonté de Charlemagne reconstruit en 790 par son gendre et ambassadeur : l'abbé laïc Angilbert (vers 745-814) auquel son fils Nithard (?-858/859) succédera à la tête de l'abbaye. Ils y seront enterrés.
Ossements de Nithard décédé en 858 ou 859 © Photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, juin 2014
D'une façon fort opportune pour cette abbaye, labellisée Centre de rencontre en janvier 2014, les restes de Nithard furent « redécouverts » dans une boîte en carton, à l'automne 2011, dans les soupentes de l'abbaye ! Retrouvés en 1989 lors de fouilles sous le portail de l'abbatiale, envoyés pour examen au CNRS, réexpédiés à Saint-Riquier, ils y furent égarés ! « Où était donc passé Nithard, disait-on à l'époque ? » rappelle non sans humour Anne Potié, la dynamique directrice du Centre. Le voici, enfin présenté, avant qu'il ne soit réinhumé.
C'est étonnant les richesses que l'on redécouvre dans ce Centre ! Après les plâtres cambodgiens des temples de la région de Siem Reap de Louis Delaporte mis en dépôt ici, trouvés par Anne Potié dans un état lamentable dû à presque 40 années d'impéritie dans les caves au sol en terre battue de l'abbaye et exposés après restauration au musée Guimet à l'automne 2013 - Angkor : Naissance d'un mythe - Louis Delaporte et le Cambodge -, voici que « ressurgit » le squelette de Nithard qui fut le premier écrivain de langue française auquel l'on doit l'Histoire des fils de Louis le Pieux dans laquelle figure le texte des Serments de Strasbourg.
Quelle sera la prochaine découverte ? Étonnant meuble à tiroirs que ces bâtiments abbatiaux !
Pour mémoire, le Musée départemental de la vie rurale, autrefois dans les locaux de l'abbaye est fermé depuis 2011 ; les objets en sont conservés dans des caisses dans ce Centre. Quel en sera le devenir envisagé par le département de la Somme ?
Je renvoie à l'article publié dans La Tribune de l'Art, le 25 juillet 2013 (http://www.latribunedelart.com/le-musee-departemental-de-saint-riquier-s-efface-au-profit-d-un-centre-culturel-de-rencontres).
Évangiles de Saint-Riquier, fin du VIIIe siècle, parchemin pourpré. Abbeville, bibliothèque municipale // Manuel de Dhuoda ou Libellus manualis, 841-843, Uzès, parchemin. Nîmes, bibliothèque Carré d'art // Évangéliaire de Saint-Vaast, 3e quart du IXe siècle, parchemin, or, argent et pourpre. Arras, bibliothèque municipale // Liber de laudibus sanctae crucis ou Livre des Louanges de la Sainte Croix, 1er moitié du IXe siècle, Raban Maure, parchemin. Amiens métropole, bibliothèque. La page est ouverte à la représentation de l'empereur Louis le pieux © Photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, juin 2014
Le fracas des armes, le hennissement des cheveux, le croassement des corbeaux, nous voici tout de suite immergé 1200 années en arrière. C'est cet environnement sonore qui nous accueille, suggérant que les souverains de cet empire, point de convergence entre le monde romain dont ils héritent et le monde germain dont ils sont issus, passèrent leur temps sur les routes à combattre et à étendre leurs possessions. Epée, umbo de bouclier, mannequin d'un soldat carolingien, maquette d'un navire viking - Nithard meurt, au cours d'une escarmouche des Vikings, d'un coup fatal porté à la tête – évoquent les combats. Deux rarissimes et précieuses étoffes : Le suaire de Saint Calais et la Soierie dite aux Amazones illustrent les échanges commerciaux, au-delà des dissensions et antagonismes politiques et religieux, entre les empires byzantin et carolingien, dans cette recherche des objets rares.
« Dans cette effervescence culturelle, les réseaux des abbayes, instruments de contrôle territoriaux du pouvoir, sont comme la capillarité des idées » précise Ariane Kvekd Jaks. L'abbaye de Saint-Riquier, située au coeur de l'empire, rayonne par la personnalité de ses deux abbés laïcs si proches du pouvoir et l'importance de son scriptorium. Le manuscrit entièrement transcrit en lettres d'or sur parchemin pourpré, c'est-à-dire trempé dans une bain de pourpre : Les Évangiles de Saint-Riquier, est à la gloire des textes sacrés. Offert par Charlemagne à l'abbaye, il évoque la richesse de sa bibliothèque. Dans une scénographie de Philippe Nguyen, deux folios de cette merveille - elle ne figurait pas à la grande exposition de 1977 de la BnF consacrée aux livres manuscrits carolingiens - sont agrandis et reproduits au sol, une façon immersive d'être dans le livre et d'apprécier l'importance de la caroline mise au point en Picardie, à l'abbaye de Corbie. Cette écriture, issue d'un mélange de l'écriture mérovingienne et des écritures onciale et semi-onciale latines, qui fut l'écriture du pouvoir.
La représentation idéalisée de Charlemagne, les relations diplomatiques entre Orient et Occident, entre Bagdad et Aix en des intérêts communs contre Byzance (Julius Köckert, Haroun-al-Rachid recevant les ambassadeurs de Charlemagne, 1864), les lieux du savoir, les arts sont évoqués dans le parcours à travers tableaux, astrolabe, fibules, bijoux, sculptures, photographie des mosaïques de l'oratoire de Germigny-des-Prés et trois insignes manuscrits : Le Manuel de Dhuoda ou Libellus manualis rédigé par Dhuola à l'usage de son fils Guillaume, rare témoignage de l'éducation laïque, l'Évangéliaire de Saint-Vast et le Liber de laudibus sanctae crucis avec la représentation de l'empereur Louis le pieux. La vie quotidienne, c'est celle de la ferme, retranscrite de nouveau dans un parcours immersif par les bruits de la vie rurale et de l'atelier du forgeron et l'agrandissement du calendrier agricole dit de Saint-Pierre de Salzbourg (809-818).
Continuation de la présence de Charles, souverain européen avant l'heure ? Chaque année le prix Charlemagne, décerné à Aix-la-Chapelle, récompense une personnalité ayant œuvré pour l'unité européenne comme il existe un Prix Charlemagne pour la Jeunesse européenne.
L'Europe avant l'Europe – Les Carolingiens // Julius Köckert, Haroun-al-Rachid recevant les ambassadeurs de Charlemagne, 1864, Munich, fondation Maximilianeum, Allemagne © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, juin 2014
L'Europe avant l'Europe – Les Carolingiens
29 juin – 29 septembre 2014
Abbaye royale de Saint-Riquier – Baie de Somme / Centre culturel de rencontre
80135 Saint-Riquier
Internet : ccr. abbaye-saint-riquier.fr
Ouvrage et non catalogue de cette exposition (comme spécifié) avec de courtes notices en français, allemand et anglais, 112 pages. Prix 20 euros. L'on aurait apprécié d'en savoir plus sur les Évangiles de Saint-Riquier pièce maîtresse de cette exposition, sur l'histoire et l'importance du scriptorium de l'abbaye de Saint-Riquier et sur la (re)découverte des ossements de Nithard présentés ici. Un index des œuvres exposées plus étoffé ainsi qu'une ébauche de bibliographie auraient été préférés à des notices développées sur les contributeurs.
Lecture enrichissante du cahier spécial du Courrier Picard, daté du 25 juin 2014.
Dans le cadre de l'année Charlemagne autres expositions
Des moines et des plantes de Charlemagne à Anne de Bretagne
20 avril au 02 novembre 2014
musée de l'Ancienne abbaye – 29560 Landévennec
Internet : http://www.musee-abbaye-landevennec.fr/
et
Pouvoir art trésors l'année Charlemagne 2014 à Aix-la-Chapelle
Aix-la-Chapelle, du 20 juin au 21 septembre 2014
Internet : http://www.karldergrosse2014
et
découvrez La route Charlemagne à Aix-la-Chapelle avec http://www.route-charlemagne.eu/
Pour mémoire, catalogue de l'exposition Trésors carolingiens. Livres enluminés de Charlemagne à Charles le Chauve, BnF – site Richelieu, du 20 mars au 24 juin 2007.
L'Europe avant l'Europe – Les Carolingiens © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, juin 2014