De la poétique dans le regard de Jean Hugo - Musée Fabre
Gilles Kraemer
(déplacement et séjour personnel à Montpellier)
Nom : Hugo. Prénom : Jean. Profession : décorateur, dessinateur de décors et de costumes pour le théâtre, cartonnier, peintre, illustrateur de livres, graveur, lithographe, écrivain. Et aussi donateur des institutions françaises lorsque sa tante Jeanne, sa sœur Marguerite et lui-même offrent Hauteville House (Guernesey) à la ville de Paris en 1927.
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Jean Hugo, Chasse à la licorne, 1980. Huile sur toile © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Artiste protéiforme, à bien des égards inclassables souligne Michel Hilaire, co-commissaire avec Florence Hudowicz en présentant l’exposition Jean Hugo, le regard magique que Montpellier lui consacre cet été. Re-naissance d’un homme oublié ou naissance d’un homme inconnu de très nombreuses personnes ?
Si ce n’était le nom de son illustre ancêtre Victor Hugo (1802-1885), le géant de la littérature française, le romancier, le poète, l’homme politique, l’exilé de Guernesey, panthéonisé à sa mort, le nom de Jean Hugo (1894-1984), le nom de cet arrière-petit-fils de l’écrivain serait-il évocateur pour le grand public ?
Un lourd héritage que de porter un tel nom, celui de " grand papapa ". La romancière et poétesse Louise de Vilmorin, amie de Jean - bien consciente de l’héritage d’un nom de famille puisque née Levêque de Vilmorin -, l’avait prévenu avec esprit " Il est très difficile d’être descendant de Victor Hugo ; aussi il ne s’agit plus de descendre, il faut remonter. "
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Georges d'Espagnat, Réunion de musiciens chez les Godebski, 1910-1911. Huile sur toile © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
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Gustave Colin, Portrait de Pauline Ménard, 1887 // Léon Bonnat, Portrait de Victor Hugo, 1879. Huile sur toile. 137 x 109 cm.. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Qui était-il, alliant en lui deux grands noms de la société parisienne de cette fin du XIXème siècle. Fils de Georges Hugo et de Pauline Ménard-Dorian très vite délaissée de son époux. Ce père inexemplaire, précise Gérard Audinet dans le catalogue, s’enfuit avec Dora Dorian, cousine de sa femme. Jean avait quatre ans. Ses parents divorcent en 1901. Sa grand-mère Aline Ménard-Dorian, tenant salon, sera l’un des modèles de " la patronne ", madame Verdurin chez Marcel Proust. Un milieu et un réseau de sociabilité, un point de ralliement de la gauche républicaine dans lequel Jean passera son enfance. Le petit garçon très sage, parmi ces hommes très sévères de Réunion de musiciens chez les Godesbski de Georges d’Espagnat, c’est lui. (1)
Son aïeul, il ne pouvait le connaître que par de nombreuses représentations dont celle qu’en fit Léon Bonnat en 1879, peinture voulue par ce membre de l’Institut. Nul doute que Jean le vit chez madame Michel de Nègreponte, née Jeanne Hugo, avant qu’il n’entre au Louvre en 1943. Et, qu'il n'eut pas l'idée de lui tirer la langue. (2)
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In situ, salle de la rotonde, Jean Hugo, le regard magique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
A travers 330 numéros, l’exposition adopte un parcours en six sections chrono-thématiques, dans une scénographie nullement directive de Maud Martinot. À chaque visiteur de choisir sa salle, partant d’une rotonde centrale ouverte sur les sections. Sur les murs de celle-ci, des citations. Gustave Thibon Il avait été un peu fatigué de la gloire par son propre nom, qui était extrêmement lourd. Paul Morand À une époque où l’on peint au hasard et sans destination, il a toujours l’air de travailler pour les rois […] Son art vient du cœur. Pablo Picasso Tu devrais montrer tes tableaux ; tu n’es pas aussi connu comme tu mérites ; tu ne te préoccupes pas assez de ta gloire. Jean Cocteau Jean Hugo paysan subtil, moine médiéval, chasse l’ange du bizarre à force de connaître ses ruses par cœur.
Hugo, souligne Pierre Watt dans L’innocence retrouvée, son essai dans le catalogue, ployait sous le poids de sa généalogie avant même d’avoir accompli quoi que ce soit.
Avoir vingt ans en 1914 dans les tranchées, la Grande Guerre éclate. Jean est blessé en 1915, connaît les tranchées de Verdun en 1916 ; ses dessins portent témoignages de la tragédie de ce conflit.
Le temps des permissions, retour à Paris. Le ballet Parade de Jean Cocteau, musique d’Erik Satie, costumes de Pablo Picasso intéresse plus que les nouvelles du front dans ces temps de modernité. Lors d’une permission en 1917, il rencontre Valentine Gross de sept années son aînée, peintre. Son regard se porte sur Picasso, Le Douanier Rousseau, Roger de La Fresnaye.
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Francis Picabia, L'Œil cacodylate, 1920. Huile sur toile et collages de photographies, cartes postales, papiers découpés. Centre Georges Pompidou © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024,
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Jean Hugo, costumes pour Roméo et Juliette de Jean Cocteau, 1924 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Entré dans le monde des avant-gardes artistiques dès leur mariage, en août 1919, Jean et Valentine deviennent les " Zugos " selon ce surnom de Cocteau. Ils auraient fait un malheur " instagrammable ". Le samedi est le jour du dîner des Hugo rue Montpensier. Ils fréquentent l’ange trop tôt foudroyé Raymond Radiguet. Sont de tous les bals à thème du " gratin révolté ", cette aristocratie parisienne associant sa fortune à son désir de sortir des sentiers battus, les Beaumont, Noailles, Polignac, Faucigny-Lucinge pour les soirées desquels Jean imagine les costumes ou les déguisements. Fréquentent naturellement rue Boissy-d’Anglas le bar Le Bœuf sur le toit pour lequel Francis Picabia imagine un portrait de groupe d’un style radicalement nouveau L’Œil cacodylate, uniquement des signatures. Jean dessine les costumes des Mariés de la tour Eiffel, de Roméo et Juliette et d’Orphée de Jean Cocteau. Avec Valentine, il crée les costumes de La Passion de Jeanne d’Arc du cinéaste Carl Dreyer en 1927.
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Jean Hugo, Paravent à cinq feuilles La Mythologie, 2ème version, 1925-1926. Tempera sur toile // Paravent à cinq feuilles La Mythologie, 3ème version, 1928. Peinture laquée à l'huile // Paravent à trois feuilles La Mythologie, 1ère version, 1925-1926. Tempera sur toile © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
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Emilio Terry, Jean Hugo, Germaine Montereau, Banquette de salon, 1929-1931. Saint-Germain-en-Laye, musée Maurice Denis // Jean Hugo, cartons de tapisserie pour le canapé dit aux roseaux d'or dessiné par Emilio Terry, ca 1929-1931. Montpellier, musée Fabre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Époque des " vagabondages décoratifs " comme l’a décrite Jean-Louis Gaillemin dans le catalogue. Exécution d’un paravent pour Misia Sert La Mythologie dont il créera trois versions; elles sont réunies à Montpellier. Collaboration avec l’ensemblier Emilio Terry pour lequel il imagine pour le mobilier dit aux roseaux d’or des cartons de tapisserie peuplés de poissons humains et de huppes.
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In situ Jean Hugo, le regard magique & Le tournant surréaliste de Valentine - Au milieu, Valentine Hugo, Portrait d'Arthur Rimbaud, décembre 1933. Huile, collage, strass sur panneau © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Changement dans sa vie, le couple se délite dès 1929, le regard de Valentine se tourne vers les surréalistes, vers André Breton. Les Zugos divorceront en 1932.
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In situ Jean Hugo, le regard magique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Métamorphose lorsque Jean s’installe au mas de Fourques, près de Lunel, propriété héritée de sa grand-mère maternelle Aline Ménard, à l’automne 1929. Nullement un retrait à la campagne puisque coupé par les séjours de Cocteau, Louise de Vilmorin, Boris Kochno, Christian Bérard. L’inflexion classique gagne sa peinture, regards sur Balthus, Félix Valloton, Poussin pour " la rigueur infaillible de la composition et la claire répartition des figures dans l’espace selon des rythmes colorés jouant sur les tonalités primaires " précise Michel Hilaire dans le catalogue. " Poussinisme " doublé d’une curiosité pour les primitifs italiens de la collection Campana qu’il pouvait observer au musée Fabre.
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Jean Hugo, L’Imposteur, 1931. Tempera sur bois. 49 x 61 cm.. Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, photographie : Frédéric Jaulmes © Adagp, Paris, 2024.
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In situ Jean Hugo, le regard magique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
En 1931, à 37 ans, converti au catholicisme, il est baptisé à Cluny ; la tempera L’Imposteur où figure centrale, couvert d’un manteau d’emprunt, il essaye de se fondre parmi la foule, est révélation de son cheminement spirituel.
En 1949, il épouse Lauretta Hope-Nicholson. Il devient père avec la naissance de Charles, premier né d’une fratrie de sept enfants.
Épilogue de cette exposition, le musée Fabre présente, dans un espace dédié de son premier étage, une sélection des œuvres de Marie, Jean-Baptiste, Adèle et Léopoldine, ses enfants.
Autre phrase de la bien oubliée Louise de Vilmorin : En regardant ses tableaux, nous le regardons dans les yeux et sa vision poétique des choses nous arrête et nous intrigue inlassablement.
Inlassablement… et auquel le musée Fabre a répondu brillamment.
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Jean Hugo, Biarritz ?, s.d. Gouache © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024. Nullement un point d'interrogation puisque se reconnaissent le Rocher de la Vierge, la Roche plate, le phare, l'Hôtel du Palais, l'Aquarium, les escaliers de la colline dite aux hortensias.
(1) Maison Victor Hugo, Paris. Georges Hugo. L'art d'être petit-fils (10 nov. 2023 - 10 mars 2024). Rétrospective invitant à découvrir le parcours de Georges en s’appuyant sur près de 300 pièces dessins, peintures, manuscrits, carnets, gravures, photographies provenant du fonds du musée, de collections privées et particulièrement d’archives familiales inédites. Ayant dilapidé sa fortune, Georges vit entre le Café des gaufres aux Champs Élysées et une petite chambre dans un cercle de jeu proche. C’est là qu’il meurt le 5 février 1925.
(2) Guy Saigne, catalogue raisonné de l’œuvre peint de Léon Bonnat, Léon Bonnat. Le portraitiste de la IIIe République. 2017. Éditions Mare & Martin. Pages 416 à 423 relatives au Portrait de Victor Hugo.
Non venu de sa collection privée mais exposé au Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, au printemps 2022, Boldini. Les plaisirs et les jours, le Portrait de Pauline Hugo avec son fils Jean, 1898. Ne suscitant pas l’enthousiasme attendu chez son commanditaire, ce tableau fut acquis par le baron Maurice de Rothschild (cat. Montpellier, page 19).
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In situ Jean Hugo, le regard magique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, Montpellier, été 2024.
Jean Hugo, le regard magique
28 juin - 13 octobre 2024
Musée Fabre - Montpellier
Commissaire général et scientifique : Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine et directeur du musée Fabre et Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques et décoratifs du musée Fabre.
Scénographie : Maud Martinot
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Catalogue. - Anonyme, Jean Hugo devant ses dessins pour Roméo et Juliette, mise en scène par Jean Cocteau, 1924. Tirage gélatino-argentique développé. Paris, Maisons de Victor Hugo Paris – Guernesey.
Catalogue commun à Montpellier et à Sète. 304 pages. Co-édition des musée Fabre et Paul Valéry par l’excellente maison d’éditions Snoeck. Nombreux essais dont Les liens du sang de Gérard Audinet, directeur des maisons de Victor Hugo, Paris/Guernesey. Prix 40 € (en service de presse).
Les propositions du musée Paul Valéry et du musée Médard invitent à approfondir la vie de Jean Hugo.
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Jean Hugo, le regard magique. Sa vie à Lunel de 1920 à 1984
19 juin - 22 septembre 2024 - Musée Ménard, Lunel - Depuis Montpellier, 23 minutes en train.
Le musée explore dans les plus intimes détails le cocon créatif de Jean Hugo à Lunel : le mas de Fourques, où il séjourna plus de soixante ans, dès septembre 1919 à son décès le 21 juin 1984. Il y passera quelque temps de son enfance, entre 1895 et 1905, dans cette propriété qui appartenait à la grand-mère maternelle Aline Ménard. Il s’y installe après le décès de celle-ci, à l’automne 1929. https://www.museemedard.fr/
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Jean Hugo, entre ciel et terre
29 juin - 13 octobre 2024 - Musée Paul Valéry, Sète – Depuis Montpellier, 20 minutes en train.
Commissariat général de Michel Hilaire et de Florence Hudowicz, commissariat de Stéphane Tarroux, directeur du musée Paul Valéry et d’Ingrid Junillon, conservatrice du patrimoine au musée Paul Valéry. Un important ensemble d’œuvres dominé par la question du paysage montre que la représentation de la nature est pour cet artiste autant une célébration de l’ordre du monde dans son apparence qu’une volonté de faire ressentir ce qui l’anime. https://museepaulvalery-sete.fr/
Jean Hugo à l’affiche de Montpellier, Sète et Lunel. Article de Laure de Gramont paru sur www.parisdiarybylaure.com https://parisdiarybylaure.com/jean-hugo-stars-in-montpellier-sete-and-lunel/