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Publié par Gilles Kraemer

Paul-César Helleu, Intérieur de la cathédrale de Reims, vers 1892, huile sur toile, 201,3 x 131 cm.. Musée des Beaux-Arts, Rouen © Photographie Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Paul-César Helleu, Intérieur de la cathédrale de Reims, vers 1892, huile sur toile, 201,3 x 131 cm.. Musée des Beaux-Arts, Rouen © Photographie Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Paul-César Helleu, Intérieur de la cathédrale de Reims, vers 1892, huile sur toile, 201,3 x 131 cm.. Musée des Beaux-Arts, Rouen © Photographie Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Temps des cathédrales et mythe moderne. À Rouen puis à Cologne, villes dont ce monument emblématique ne fut achevé qu'au XIXe siècle - avantage à Cologne dont la flèche de la cathédrale dépasse de 6 mètres celle de la cité normande haute de 151 mètres, si décriée par Flaubert dans Madame Bovary - c'est toute la symbolique de la cathédrale, ce monument religieux, nationaliste et aussi républicain, qui est magnifiquement évoquée. Ce bâtiment gothique, hérité d'un passé lointain, celui de l'époque médiévale, ayant essaimé dans toute l'Europe, fut délaissé, oublié, parfois incompris. Surnommé gothique puisque art considéré du Nord alors qu'il naquit en France, art des Goths donc barbare, il sera supplanté par la Renaissance puis le classicisme. Art dont deux « piliers » de la littérature, l'allemand Johann Wolfgang von Goethe et le français Victor Hugo, signeront le retour en grâce.

Co-produite par les musées de Rouen et de Cologne, cette exposition déborde des limites chronologiques données : 1789 et le début de la Révolution française, 1914 et l'incendie de la cathédrale de Reims lors de la Grande guerre. Prologue avec la châsse de Saint-Taurin en forme d'église et un tableau du Maître à la Vue de Sainte-Gudule avec une représentation de la cathédrale de Bruxelles (fin du XVe siècle) puisque dès l'origine la silhouette de la cathédrale inspire ses contemporains. Épilogue, entre abstraction et figuration, entre les néons Lighthy n°4 (Monet démonétisé) (2008) de François Morellet s'inspirant de Cathédrale. Le portail et la tour d'Albane. Temps gris de Monet - dont l'on verra ici, quelques toiles de la façade de Rouen, ces transfigurations de la pierre par la lumière - et la mutation de la cathédrale en pelleteuse Caterpillar (scale model) (2011) selon Wim Delvoye. Un beau parcours, sur presque deux siècles.

Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Associé à la monarchie de droit divin, au sacre du dernier roi de France Charles X à Reims en 1825, ce monument est réapproprié par les deux Napoléon après qu'il eu subi le vandalisme révolutionnaire dans la décapitation symbolique des sculptures de la galerie des rois. Savaient-ils, les révolutionnaires, qu'il s'agissait des rois de Juda et non des rois français ?

La redécouverte du gothique en Allemagne, c'est à Goethe et son livre sur l'Architecture allemande consacré à la cathédrale de Strasbourg et à la figure mythique de son architecte Erwin de Steinbach (étonnante ascension de ce maître-d'oeuvre dans le tableau de Moritz von Schwind, vers 1845) qu'on la doit, dès 1772. Le gothique est perçu comme un style spécifiquement allemand dans un XIXe siècle, période d'émergence de l'unité du pays coïncidant avec la reprise des travaux de l'achèvement de la cathédrale de Cologne, qui dureront presque 40 ans jusqu'en 1880 ; certains peintres, tellement pressés de la voir terminée, la représenteront achevée alors qu'elle ne l'est pas tel Karl Georg Enslen.

Dans un temps où le regard français est encore dépréciatif à l'égard du gothique, il est beaucoup plus libre en Angleterre dès le milieu du XVIIIe siècle avec l'invention du « roman gothique » par Horace Walpone. William Turner capte les variations de la lumière dans sa série d'aquarelles de Salisbury, John Constable joue de l'interrelation entre le monument et le paysage, revenant sans cesse sur le magnifique motif de la cathédrale en réalisant des séquences autour de celle de Salisbury (lumineuse toile venue du Metropolitan, New York). Ce goût pour les sites amènent les Anglais à traverser la Manche et à parcourir la Normandie, tel David Roberts (Façade de Rouen).

Et la France, dans une époque dans laquelle le romantisme est associé à la cathédrale ? Victor Hugo, lui-même grand dessinateur de ce monument, publie en 1831 Notre-Dame de Paris qui inspirera de nombreux illustrateurs, la musique, même une immense pendule avec les tours de Notre-Dame comme l'H du nom de l'écrivain. Charles Steuben choisit d'évoquer La Esméralda présentée dans un immense cadre croulant de dorures alors qu'Élisa Victorine Henry capte l'instantanéité du moment où Quasimodo sauve la bohémienne des mains de ses bourreaux. Dans ce moment d'intérêt pour le passé et ces monuments parfois en péril, l'Inspection des monuments historiques en 1830 et la mission héliographique en 1851 sont créées, les Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France sous la direction du baron Taylor dressent en plusieurs volumes un inventaire des monuments. Les cathédrales sont terminées avec parfois une part de fantaisie ; Viollet-le-Duc invente pour Notre-Dame un bestiaire néo-gothique dont le monstrueux et démoniaque Stryge gravé par Meryon, photographié par Charles Nègre et Brassaï, peint par Chagall. 

Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Salle des arts décoratifs, exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Partie centrale de l'exposition et appropriation du gothique par tous, enfin il faut relativiser, l'aristocratie et la grande bourgeoisie : la section des arts décoratifs. Émergent d'une nuit bleutée, quelques-uns de ces objets nés sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, inspirés par le thème du décor « à la cathédrale ». Pendules, reliures, bijoux, flacons, miroirs, services et vases de la manufacture royale de Sèvres (Vase Jasmin, vers 1820, et son projet à la gouache par Joseph Vigné), chaises, candélabres, papiers peints, encrier, porte-montre, prie-Dieu de la princesse Marie d'Orléans, harpe, transposent la mode du gothique dans les intérieurs. En regardant le verre à moulure sablée gothique, vers 1839, en cristal noir opaque de la cristallerie de Saint-Louis, quelle modernité ! Évoquant ce que pouvait être un intérieur entièrement « gothisé », l'aquarelle d'Auguste Simon Garneray (1820) fait revivre le Cabinet gothique de la comtesse d'Osmond, une pièce aux murs tendus d'un velours gaufré bleu foncé. De ce salon ne subsiste qu'une paire de chaises aux licornes ; l'une est présentée ici en regard de cette aquarelle. 

Francois-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841), chaise du cabinet gothique de la comtesse d'Osmond, vers 1817-1820, bois sculpté et doré. Musée du Petit Palais, Paris & Auguste Simon Garneray (1785-1824), détail de Le Cabinet gothique de Madame d'Osmond, 1820, aquarelle et pierre noire, 56,7 x 43,5 cm.. Collection privée © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014,
Francois-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841), chaise du cabinet gothique de la comtesse d'Osmond, vers 1817-1820, bois sculpté et doré. Musée du Petit Palais, Paris & Auguste Simon Garneray (1785-1824), détail de Le Cabinet gothique de Madame d'Osmond, 1820, aquarelle et pierre noire, 56,7 x 43,5 cm.. Collection privée © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014,
Francois-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841), chaise du cabinet gothique de la comtesse d'Osmond, vers 1817-1820, bois sculpté et doré. Musée du Petit Palais, Paris & Auguste Simon Garneray (1785-1824), détail de Le Cabinet gothique de Madame d'Osmond, 1820, aquarelle et pierre noire, 56,7 x 43,5 cm.. Collection privée © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014,

Francois-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841), chaise du cabinet gothique de la comtesse d'Osmond, vers 1817-1820, bois sculpté et doré. Musée du Petit Palais, Paris & Auguste Simon Garneray (1785-1824), détail de Le Cabinet gothique de Madame d'Osmond, 1820, aquarelle et pierre noire, 56,7 x 43,5 cm.. Collection privée © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014,

Songer aux peintres et à la cathédrale, c'est penser à la série de La Cathédrale de Rouen de Monet mais, n'oubliez pas les vues de l'église Notre-Dame de Moret-sur-Loing d'Alfred Sisley – quatre toiles présentées ici –. Ces deux séries, montrées dans la même salle, permettent la confrontation de l'appropriation respective par ces peintres des jeux de lumière suivant les heures et les saisons. Et regardez Paul - César Helleu, le Elstir de À la Recherche, son Intérieur de la cathédrale de Reims, cette cathédrale bombardée le 19 septembre 1914 et dont la couverture de plomb en fondant évoquera pour ses observateurs le feu de l'enfer coulant par les gargouilles. Cette vision d'épouvante donnera lieu à une abondante littérature de propagande, l'incendie étant considéré comme volontaire de la part des troupes allemandes, un acte présenté comme une barbarie et le symbole de la France qui résiste. Bourdelle évoquera en 130 dessins le Martyre de Reims. Ce sont les heures noires de la guerre auxquelles n'échapperont pas les édifices religieux de Soissons, Amiens, Arras (huile de Fernand Sabatté).

Le motif de la cathédrale continue de fasciner les artistes, Nicolas de Staël, les néo-impressionnistes, Robert Delaunay (Déambulatoire de Saint-Séverin), Marquet. Pour les expressionnistes allemands, cet édifice incarne le futur, c'est le temple du nouveau monde que Lyonel Feininger peindra plus de trente fois, entre 1913 et 1936, en s'inspirant de l'Église de Gelmeroda en Thuringe.

Ne manque plus, dans cette belle histoire replaçant La cathédrale dans l'imaginaire artistique, le gratte-ciel, cette moderne cathédrale étasunienne. Quand l'édifice du passé devient l'édifice du futur. 

 

Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014
Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Vues de l'exposition Cathédrales 1789-1914. Un mythe moderne © Photographies Gilles Kraemer, visite presse, musée des Beaux-Arts, Rouen, 2014

Cathédrales 1789-1914 : un mythe moderne

Musée des Beaux-Arts, Rouen

12 avril – 31 août 2014

Internet : www.rouen-musees.fr

Catalogue. 416 pages. Éditions Somogy. Prix 39 euros.

 

Die Kathedrale – Romantik – Impressionismus – Moderne (La cathédrale - Romantisme – Impressionnisme - Modernisme)

Wallraff-Richartz Museum & Fondation Corboud, Cologne

26 septembre 2014 – 18 janvier 2015

Internet : www.museenkoeln.info

Internet : http://www.wallraf.museum

 

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