Carte verte à Chaumont-sur-Loire dans la célébration de la nature – Saison d’art 2023
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Entre poésie et fantastique, entre nature et littérature, la Saison d’Art 2023 du Domaine de Chaumont-sur-Loire va vous entraîner dans un monde onirique et envoûtant souligne Chantal Colleu-Dumond, l’infatigable directrice du Domaine, en présentant cette nouvelle Saison.
Pierre Alechinsky, Á l’aveuglette, 1974. Eau-forte sur Chine marouflée sur toile.. 185 x 286 cm. (au premier plan) © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Ces quinze artistes, qu’elle a choisis, se partagent cette nouvelle célébration de la nature. Ajoutant, quinze personnalités dont chacune des pièces signe la singularité de l’œuvre, de la fabuleuse et inespérée rétrospective de l’œuvre imprimé de Pierre Alechinsky forte de 274 numéros – que lui envieront maintes institutions muséales ou bibliothèques - au Clan des voltigeurs de Bob Verschueren, un autre belge, dont les nichoirs pour martinets, posés tels une corolle sur trois troncs, dans le parc du domaine, attendent avec impatience leurs futurs locataires. Des logements sont encore vacants précise Chantal Colleu-Dumond.
Lionel Sabatté © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Non loin, dans ce parc de 32 hectares imaginé par l’architecte paysagiste Henri Duchêne il y a presque 150 ans, La Membrane, œuvre conçue pour ce lieu par Lionel Sabatté, une sculpture sans fin, œuvre de fers à béton recouverts de ciment coloré par des pigments naturels, laisse le sentiment de fragilité. Une amorce de promenade dans ses deux chemins qui se croisent, se vivant de l’intérieur. Ce lieu qui ramène à l’organique, où l’on circule, j’aimerais qu’il soit colonisé par des mousses, des lichens, précise Lionel qui exposera dans le domaine national de Chambord ce printemps et cet été ses Pollens clandestins. Christian Lapie (1955) présente trois groupes de sculptures de bois brûlé non loin de sa Constellation du fleuve et, dans une salle du château un aspect moins connu de son œuvre, ses immenses dessins – lavis et fusain – des personnages fantomatiques se retrouvant dans des forêts.
Lee Ufan, Le fil infini, 2023. Installation dans la tour du roi du château © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Lee Ufan (1936) fait partager sa joie d’être ici, lieu qui n’est que beauté pour lui, y ressentant le poids de l’histoire. Encore plus heureux, que son œuvre Le fil infini côtoie la forêt de poutres et de cloches, Cuisines créée par Jannis Kounellis (1936-2017). L’infini et l’éternité conviennent très bien à ce lieu où s’ajoutent poids de l’histoire et présence de la nature. Son œuvre ? Un miroir rond posé au sol, une façon de réfléchir le temps, ce bâtiment, la nature ; le fil blanc suspendu au-dessus, ce lien avec le ciel selon les asiatiques, exprime ici l’éternité et l’infini, la dualité entre les mondes d’en haut et d’en bas. Dans notre monde où le présent est trop important, j’ai voulu un espace hors du temps, dans toute son amplitude, dans son lien avec l’infini. Seul artiste disparu présenté ici : Bernard Schultze (1915-2005) ; figure de l’art informel allemand, ses sculptures-peintures sont toutes en matière dans leur chromatisme, une jubilation pour Chantal Colleu-Dumond.
Stefan Rămniceanu © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Déjà présent dans la bibliothèque par ses Cristallisations au verre perdu, des ouvrages cristallisés par le feu, Pascal Convert (1957) a installé quarante chandeliers en plâtre sur le plateau de verre noir de l’immense table de la salle à manger, une forêt de luminaires dans un travail sur la diversité, une installation fantomatique. Le roumain Stefan Rămniceanu (1954) se confronte, lui aussi, au livre en le transformant en tableau-sculpture, le manipulant pour n’en conserver que tranches et dos qu’il assemblera dans la reconstitution de visages. Denis Monfleur (1962) décrit avec grand enthousiasme ses trois sculptures énigmatiques en orgue basaltique, qu’il présente comme trois torses, des sculptures qu’il vit littéralement en en parlant avec passion. J’aime le rapport avec une œuvre pérenne, émouvante, ma pratique de la taille directe est comme une succession de pensées dans sa taille, son meulage, son polissage jusqu’à ce que la pierre devienne vivante.
Claire Morgan, Être seul avec toi, To be alone with you © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, grange aux abeilles, mars 2023.
Sophie Blanc © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Dans une harmonie entre tragique et joyeux Être seul avec toi, To be alone with you de Claire Morgan (1980) est toute de contradiction dans le binaire contemplatif de cette œuvre si forte et si douce, une oie naturalisée, suspendue par les pattes, au milieu d’une explosion d’une myriade de feuilles de plastique propulsées de son corps. Vie et mort de la nature, de l’être, de l’animal. Matériau d’une pauvreté insigne, le plastique se trouve magnifié par la lumière enveloppant cette sculpture tournant très doucement et lui conférant une apparence de cristal de roche. Intervention d’une fragilité extrême, celle de la doreur à la feuille d’or, Sophie Blanc. Sur des graminées, elle plaque une feuille d’or. Un monde, glané dans le Lauragais, qu’elle magnifie dans des compositions placées dans des boites en verre. Un herbier Kunstkammer.
Yves Zurstrassen (1956) aime la répétition et le basculement sensible dans ses grandes toiles dans laquelle la matière vivante croît toujours. Sculptures de verre et de pierre, l’œuvre de Vladimir Zbynovsky (1964), Esprit de la pierre joue des reflets de l’eau du pédiluve de la cour de la ferme, dans une idée de miroitement et de vibration sous la lumière, dans une dilatation de l’espace-temps souligne-t-il. Le verre évoque le passage du passé au futur dans le rappel de la mutation constante de la nature.
Grégoire Scalabre, L'ultime métamorphose de Thétis. 70 000 miniatures de porcelaine. Diamèree 160 cm.. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Grégoire Scalabre © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
L’ultime métamorphose de Thétis de Grégoire Scalabre, vue à Venise en avril 2022, dans le cadre de Homo Faber m’avait impressionnée. Présentée tout au fond de l’immense bibliothèque de la Fondazione Cini, émergeant de l’obscurité, posée sur le sol, elle paraissait surgir de la lagune vénitienne. HOMO FABER 2022 la quintessence de l’absolu de l’artisanat contemporain – Venise La voilà aujourd’hui exposée sous l’auvent des écuries, enfermée dans une cage de verre tout simplement pour la protéger des intempéries. Sculpture constituée de 70 000 porcelaines tournées à la main, selon la technique du tournage dit à la motte, un vocabulaire de multiples pièces, de tailles différentes, des blancs et des verts dans un tressaillement de couleurs. Deux autres pièces l’accompagnent, l’œuvre au noir de Cygnus dans la pénombre de l’écurie, évocation du commerce hollandais des Indes orientales et de ses cargaisons de porcelaines devenues des épaves, l’œuvre au blanc de L’onde.
Fabrice Hyber © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Fabrice Hyber © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Fabrice Hyber © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Pour Chaumont, "le tellurien" Fabrice Hyber (1961) a choisi de nous montrer ce qui se passe sous la terre. Exploration avec une toile de 27 mètres de long, un cheminement souterrain pour nous expliquer toute cette vie qui nous est inconnue, œuvre peinte ici. C’est toujours "Hyber bien" cet humour mais également la fragilité de la nature qui émergent des toiles de Fabrice. Toujours la double lecture.
Pierre Alechinsky, 9 décoctions d'Achille Chavée, 1967. Affiche lithographique. 78 x 61 cm.. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Pierre Alechinsky, Prisma, 1988. Eau-forte sur Chine. 182 x 91 cm.. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Pierre Alechinsky (1927), rétrospective magnifique dans ce côtoiement entre monde de l’art et de l’impression : Alechinsky à l’imprimerie, de 1948 - eaux-fortes de la série des métiers - à 2018 - eau-forte accompagnant le tirage de tête d’un livre d’Antonin Artaud -, estampes, cuivre de Prisma, ouvrages de bibliophilie, ouvrages de tête. Pierre aime le papier, la bête à cornes, cette presse actionnée à la roue ou la Voirin autre presse, l’encre, le cuivre, la pierre lithographique, la morsure de l’eau-forte sur la plaque de cuivre, l’encrage à la poupée, l’écriture, la poésie, la pratique de l’atelier, lui qui fut typographe, imprimeur. Cela se voit dans cette sélection, dans cet accrochage qui est le sien, autour de ses travaux d’impression, de ses labyrinthes d’encre, de ses marges historiées autour de ses estampes. Très importantes les marges chez Pierre, débordantes de vie comme celles des miniatures des livres d’Heures, il ne peut s’empêcher de combler les vides dans son intervention de l’espace. L’estampe se fait majestueuse, envahit le mur, tutoie ses peintures par sa grandeur, celle d’Á l’aveuglette, trois eaux-fortes aux cuivres jointifs de 185 x 95 centimètres, le format maximal de la presse de taille-douce. Majestueuse démonstration de l’art de la feuille imprimée.
© photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Saison d’art 2023
01 avril - 29 octobre 2023
Commissariat Chantal Colleu-Dumond
Domaine de Chaumont-sur-Loire - Centre d'arts et de nature - 41150 Chaumont-sur-Loire
Domaine de Chaumont-sur-Loire (domaine-chaumont.fr)
Livret d’aide à la visite.
Catalogue Alechinsky à l’imprimerie. 198 pages. Editions Gallimard. Prix 30 €. (en service de presse).
Chantal Colleu-Dumond & Fabrice Hyber © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
Chantal Colleu-Dumond & Lionel Sabatté © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, mars 2023.
“Penser la nature” avec des philosophes, des scientifiques, des écrivains, des artistes… de tous horizons est la proposition des Conversations sous l’arbre. Ces personnalités du monde de l’art et de la pensée viendront présenter et partager leur vision du monde, mais également des moments de convivialité. Prochaines rencontres à Chaumont : 27-28 avril 2023 : Le beau est dans la nature avec Carole Benzaken ; 25-26 mai 2023 : La résilience de la nature avec Pascal Convert ; 29 et 30 juin 2023 : L’histoire de l’eau avec Stéphane Thidet ; 28-29 septembre 2023 : Le merveilleux au cœur de la nature avec Anne et Patrick Poirier ; 26-27 octobre 2023 : L’unité du vivant avec Fabrice Hyber ; 23-24 novembre 2023 : De l’importance des arbres avec Eva Jospin. https://domaine-chaumont.fr/fr/programmation-culturelle-et-evenements/conversations-sous-l-arbre