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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (envoyé spécial)

Henry de Triqueti, Homère à la fontaine Hippocrène, janvier 1872. Pierre noire, sanguine avec rehaut blanc, aquarelle, sur papier marouflé sur toile. 237,5 x 145 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Triqueti, la forza del destino. La forza del disegno.

Le 15 décembre 2018, le musée Girodet rouvrait ses portes après une catastrophe ayant touchée l’institution alors en travaux. Jouxtant le canal de Briare, le bâtiment ainsi que ses collections – placées dans des réserves provisoires en sous-sol de l’ancienne Caisse d’épargne - furent inondés le 31 mai 2016 par une crue subite.  Sur les 3 000 œuvres, 2 600 pièces furent immergées pendant trois jours ; 63 personnes intervinrent pendant 15 jours pour leur sauvegarde. (1)

Aujourd’hui, le musée Girodet présente ses dessins restaurés d’Henry de Triqueti (Conflans-sur-Loing 1803 – 1874 Paris) [parfois dans l’orthographe d’Henri] et les sculptures de son fonds d’atelier, données par sa fille Blanche, présentées dans une salle du parcours permanent de cette institution.

Une double exposition avait déjà été consacrée à Orléans, Musée des Beaux-Arts et Montargis, Musée Girodet (3 octobre 2007- 6 janvier 2008) à Henry de Triqueti 1803-1874. Le sculpteur des princes. Sans oublier, même si elle eut lieu il y a 33 ans, Henri de Triqueti 1804-1874. Le Prince Gisant. Histoire et restauration du Gisant de Ferdinand d’Orléans, exposition organisée par Sylvain Bellenger [directeur depuis 2015 de l’institution napolitaine Museo e Real Bosco di Capodimonte] au musée Girodet (1er décembre 1990 – 28 février 1991) puis à la bibliothèque Marmottan, Boulogne-Billancourt (2 avril -1er juin 199). Un catalogue en garde la mémoire…

Henry de Triqueti, La Prospérité publique et la paix, 1845. Marbre, encre et ciment teinté © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Fils d’un ancien consul de Sardaigne installé dans l’arrondissement de Montargis, Henry de Triqueti fait ses premiers pas d’artiste comme peintre sous la directive d’Anne-Louis Girodet-Trioson (Montargis 1767 - 1824) puis dans l’atelier de Louis Hersent. Le succès rencontré au Salon de 1831 par le bas-relief : La mort de Charles le Téméraire, le pousse à une carrière de sculpteur. Une toile, présentée au Salon de 1833, achetée par Louis-Philippe pour ses appartements du château de Saint-Cloud Valentine de Milan demandant à Charles VI la vengeance du meurtre de Louis 1er d’Orléans par le duc de Bourgogne, est l’unique exemple de peinture de cet artiste.

La commande des portes en bronze de l’église de La Madeleine, 7 années de travail (1834-1841), son premier chef d'œuvre, puis celle du Vase de la chasse pour le ministre de l’Intérieur Adolphe Thiers (Salon de 1837), imposent ses succès officiels. Proche de la famille d’Orléans, il réalise en 1839 un vase pour le prince Ferdinand et conçoit avec Ary Scheffer le cénotaphe de Ferdinand-Philippe. Inauguré dans la chapelle Notre-Dame de la Compassion à Paris, ce monument d’une forte portée émotionnelle ne pouvait qu’être à l’origine de la commande faite à Triqueti près de deux décennies plus tard par la reine Victoria : celle de la décoration de la chapelle du prince Albert (1819-1861) au château de Windsor. Elle l’occupa pendant dix années, de 1864 à 1874. Le décor symbolique de la chapelle funéraire Wollsey du prince consort Albert de Saxe-Cobourg est un œuvre global par la conception d’un ensemble autour du cénotaphe avec le décor de la chapelle avec quatorze "tarsias" représentant des épisodes de l’Ancien Testament et des scènes de la Passion et le retable autour du thème de la Résurrection.

Les destins tragiques, il ne pouvait qu'y penser quotidiennement, lui qui perdit accidentellement son fils Édouard, percuté par le timon d'un attelage dont les chevaux s'étaient emballés sur les Champs-Élysées à Paris, en 1861. 

Henry de Triqueti, La Prospérité publique et la paix, 1845. Marbre, encre et ciment teinté   //  L'Ange de la douleur. Plâtre  //  Gisant du Ferdinand Philippe, duc d'Orléans, 1842. Plâtre  //  Gisant de Ferdinand Philippe, avec l'ange, ca 1842. Plâtre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Les maquettes à grandeur d’exécution des plâtres des cénotaphes de ces deux princes sont présentées. Celui de Ferdinand-Philippe d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, positionne l’image romantique de ce prince telle une icône, un brillant jeune homme fauché dans la fleur de l’âge, à 32 ans, ce 13 juillet 1842, dans l’accident de sa voiture, les chevaux s’étaient emballés. Sur un projet inventé par Ary Scheffer et exécuté par Henri de Triqueti, l’héritier de la couronne est représenté à demi allongé, dans ses habits d’officier général, la chemise ouverte pour lui permettre encore de respirer. Le cénotaphe de marbre blanc, final, associera le prince et un ange agenouillé derrière lui, portant l’âme au ciel, ange conçu par Marie d’Orléans qui fut l’élève de Scheffer. (2)

Henry de Triqueti, Gisant d'Albert de Saxe-Cobourg. Plâtre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Henry de Triqueti, Gisant d'Albert de Saxe-Cobourg. Plâtre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Le Prince Albert de Saxe-Cobourg adopte l’iconographie traditionnelle et chère aux gisants : deux anges veillent à sa tête, son chien favori Éos, dans la symbolique de la fidélité, est à ses pieds, le prince remet son épée au fourreau, comme dans le geste de dire : voyez, j’ai accompli ma tâche, maintenant je peux partir, J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course (seconde lettre de saint Paul à Timothé, chap. 4, verset 7).

Les deux tarsias de La Victoire et l’Abondance (1845) et l’inachevé Homère à la fontaine Hippocrène (1874) sont présentées. Cette invention originale de Triqueti, la réunion de la sculpture à la peinture, unique dans l’art du XIXème, est une " composante de divers marbres incrustés dans un fond de même matière, le dessin et le modèle des figures sont rendus à l'aide de gravures profondes remplies d'un ciment coloré dont l'adhérence au marbre est complète " explicitait Triqueti. Telle la technique d’un graveur sur une plaque de cuivre, tel un buriniste.

De gauche à droite. Henry de Triqueti,  Étude de draperie. Fusain, pierre blanche et encre sur papier à l'origine bleu, devenu brun sous l'effet d'une trop longue exposition à la lumière  //  La reine de Saba pour la chapelle funéraire du prince consort, 1867. Pierres noire et blanche  //  Étude de drapé pour la dalmatique d'un ange du tombeau du prince consort, 6 mai 1868. Fusain, pierre blanche, pastel et gouache © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

De gauche à droite. Henry de Triqueti, Étude pour la figure de Judas, 16 janvier 1869, pour la chapelle du prince consort. Pierre noire, graphite, fusain  //  Étude pour une descente de croix, 19 février 1869. Fusain, graphite  //  Étude pour un apôtre, 18 février 1869. Fusain et encre  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis.

Deux grands cartons de tarsias Daniel parmi les lions se lève à l’appel du roi et Homère à la fontaine Hippocrène sont en introduction de l’exposition consacrée à ses dessins, 35 sur les 36 que cette institution possède. Etudes de draperies, de figures, de panneaux pour la chapelle funéraire du prince Albert, de têtes, d’esquisses pour des objets, une porte de la cathédrale de Bâle ou un paysage des alentours de Fontainebleau permettent l’évocation de la méthode créatrice de cet artiste par les différentes techniques dont il usait – trois crayons, fusain, pierre noire, mine au graphite. Des photographies des sœurs Jane et Margaret Davison restituent la chapelle du prince consort en 1874.

Triqueti, la forza del destino, la forza del disegno... 

 

Henry de Triqueti, Homère à la fontaine Hippocrène, 1874 (détail). Marbre blanc et gris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Montargis. Dernière tarsia de Triqueti, laissée inachevée à sa mort. 

(1) Une opération d’appel aux dons [crowdfunding] avait été lancée par le musée pour la restauration de ses collections inondées par les crues historiques qui avaient touché Montargis en mai 2016. 31 000 € furent recueillis. Dartagnans - URGENCE INONDATIONS - Œuvres du Musée Girodet

(2) Du 18 juin au 24 octobre 2021, une exposition au musée Ingres Bourdelle à Montauban retraçait Ferdinand-Philippe d’Orléans (1810-1842). Images d’un prince idéal. Commissariat Stéphanie Deschamps-Tan et Côme Fabre, musée du Louvre, Florence Viguier-Dutheil, musée Ingres Bourdelle - 

" Que ce Dieu, qui m’entend, me garde d’un blasphème ! / Mais je ne comprends rien à ce lâche destin / Qui va sur un pavé briser un diadème, / Parce qu’un postillon n’a pas sa bride en main. " Alfred de Musset.   

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Triqueti, la force du trait

03 décembre 2022 - 02 avril 2023

Musée Girodet – 45200 Montargis

Entrée 4 euros.

Internet http://www.musee-girodet.fr/

Commissariat de Sidonie Lemeux-Fraitot directrice du musée - Pas de catalogue - Livret d’accompagnement.

Les amis du musée Girodet (lesamisdumuseegirodet.com)

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