Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Gilles Kraemer

Tutti - acte IV, tableau 17 © Le Voyage dans la lune – Offenbach / Stefan Brion.

Créé à huis clos en 2021 lors de la pandémie de la Covid, Le Voyage dans la Lune, féérie intergalactique de notre cher Jacques Offenbach, mis en scène par Laurent Pelly, affronte enfin son public. Atterrissage ou alunissage remarquable, fantastique, éblouissant, joyeux, tonique, dans cette grisaille parisienne persistante, tout dépend si l’on est au parterre ou sur le plateau de l’Opéra-Comique.

L’on est loin de l'année 1875, de ses 23 tableaux, 17 aujourd’hui - la partition a été réduite d’un quart pour cette production -, de ses 23 décors, en se demandant comment 100 choristes, 200 figurants et 100 danseuses pouvaient tenir sur le plateau du Théâtre de la Gaité à la création. L’on comprend que celle-ci fut un délire avec mademoiselle Zulma Buffar dans les habits du prince Caprice [eh, oui] lors de cette représentation faisant un tabac de tous les diables. L’on n’aura pas droit à la scène du "Marché aux femmes", acte III, les Sélénites étant selon le roi Cosmos soit des ménagères soit "des objets d’art pour leur jeunesse et leur beauté".

Arthur Roussel (Le prince Caprice), Ludmilla Bouakkaz (La princesse Fantasia) - acte II © Le Voyage dans la lune – Offenbach / Stefan Brion.

Comme en adéquation avec cette semaine de la Fashion-week parisienne – de nombreux créateurs, en mal dramatique d’idées, devraient s’inspirer du plateau de l’Opéra-Comique -, Laurent Pelly pour les costumes a fait simple - l’on est loin des 673 costumes de la création -. Comme ils sont réjouissants, d’une grande inventivité, aussi bien pour les Terriens que pour les Sélénites, beaux et non les haillons de modeux costumiers d’une autre scène parisienne. Arthur Roussel/le prince Caprice, aux baskets argentées et au costume orange, surgissant de la fosse après son tour du monde, du haut de ses 22 ans. Car ils sont tous jeunes ces chanteurs, issus de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (créée en 2016), tous porteurs de promesse vocale. Un très bon cru que cette distribution habitant déjà parfaitement le plateau. Vocalise, jeunesse, trille, tout est déjà en place. Le seul adulte de la distribution est Franck Leguérinel/V’lan, dans un réel plaisir à être avec tous ces "jeunes", dans son rôle de roi autoritaire à l'égard de ses courtisans.

Maxence Hermann* (Demoiselle d’honneur), Enzo Bishop* (Le roi Cosmos), Violette Clapeyron (Flama), Salomé Basle* (Demoiselle d’honneur), Micha Calvez* (Cactus), Judith Gasnier* (Demoiselle d’honneur), Airelle Groleau* (Demoiselle d’honneur) - acte II, scène 3 © Le Voyage dans la lune – Offenbach / Stefan Brion.

Cosmos/Enzo Bishop est extraordinaire dans son habit au tour de taille "curnonskyen", même s’il se nourrit de "purée d’araignées / et d’un plat de mouches rôties". Son épouse au prénom irrésistible de Popotte/Rachael Masclet et sa fille Fantasia/Ludmilla Boauakkaz, ravissantes dans leurs costumes blancs ; l’on comprend le coup de foudre de Microscope/Mateo Vincent-Denoble et de Caprice à leurs égards. Les demoiselles d’honneur, dans l’originalité de leurs habits, composent un délicieux ballet souriant de satellites tournant autour de la planète Cosmos.

Matéo Vincent-Denoble (Microscope), Franck Leguérinel (Le roi V’lan), Arthur Roussel (Le prince Caprice), Justine Chauzy (Demoiselle d’honneur), Ludmilla Bouakkaz (La princesse Fantasia), Violette Clapeyron (Flama) - acte IV © Le Voyage dans la lune – Offenbach / Stefan Brion.

Maîtrise Populaire de l'Opéra Comique - acte I, tableau 4 © Le Voyage dans la lune – Offenbach / Stefan Brion.

Mise en scène de Laurent Pelly, d’une maîtrise fine, agréable, subtilement pertinente d’actualité et d’écologisme. L’on comprend mieux le prince Caprice de vouloir à tout prix aller voir ailleurs, de découvrir la Lune dont "la douce clarté / Fait pâlir les étoiles", dans le caprice bien enfantin de ne pas se poser la question de savoir comment s’y rendre ; à Microscope de se débrouiller. A lui d’inventer le futur canon propulsant vers la Lune. Lorsque l’on voit que la Terre s’est transformée en royaume du plastique, celui des polluantes et envahissantes bouteilles de plastique dont l’amoncellement est devenu montagnes, l’on comprend tout de suite pourquoi quitter à tout prix sa planète pour découvrir la Lune, une Lune blanche et pure mais royaume où l’Amour n’existe pas et où "les enfants sont amenés sur de grands bateaux deux fois par an.". Fuir la Terre, vers une Terra Incognita à peupler, en mangeant des pommes – cela me rappelle le slogan d’un candidat à la fonction suprême - car les pommes, même si elles furent cause de la perte du Paradis, éveillent l’amour. Et tout finira dans l’amour, les Terriens restant avec les Sélénites encore pour quelque temps.

De la partition, certaines notes ou airs nous semblent déjà avoir été entendus. Ce cher Jacques ne se gênait pas dans "le recyclage musical"; l’ouverture nous renvoie à son "Scintille diamant" des Contes d’Hoffmann créés ici même le 10 février 1881 et qu’il ne verra pas puisqu’il décède en octobre 1880 et quelque ariette de la princesse Fantasia, dans l’acte III, est annonciatrice de l’Olympia des mêmes Contes.

A la tête des Frivolités Parisiennes si bien nommées, Alexandra Cravero est dans une fusion totale avec l’orchestre et le chœur de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, chantant en même temps que celui-ci, souriante comme le sont tous les musiciens, dirigeant parfois les yeux fermés dans une belle rêverie. Légèreté, gracieuse, virtuose à l’oreille mais pas aussi facile à diriger qu’on ne le croit, la musique de Jacques.

N'avez-vous pas senti comme une odeur de vanille flotter dans les fumées de la scène de la fonderie et celle du volcan en éruption. Une odeur de douceur pour ce Voyage dans la Lune empli d’amour et d’espoir.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2023.

Jacques Offenbach, Le Voyage dans la Lune

24 janvier – 3 février 2023 (7 représentations)

Opéra-Comique - Paris https://www.opera-comique.com/fr 

Jacques Offenbach, Le Voyage dans la Lune. Opéra-féérie en quatre actes, livret d'Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d'après Jules Verne. Créé au Théâtre de la Gaîté en 1875. Adaptation du livret et nouvelle version des dialogues par Agathe Mélinand.

Direction musicale, Alexandra Cravero - Orchestre, Les Frivolités Parisiennes

Mise en scène et costumes Laurent Pelly; reprise de la mise en scène Héloïse Sérazin

Décors, Barbara de Limburg - Lumières, Joël Adam

Franck Leguérinel, le roi V’lan, baryton

Arthur Roussel, le prince Caprice, ténor

Ludmilla Bouakkaz, la princesse Fantasia, soprano

Mateo Vincent-Denoble, Microscope, baryton

Enzo Bishop, le roi Cosmos *

Violette Clapeyron, Flama

Rachel Masclet, Popotte, soprano *

Micha Calvez-Richer, Cactus *

Salomé Baslé *, Justine Chauzy Le Joly, Judith Gasnier *, Airelle Groleau *, Maxence Hermann *, demoiselles d’honneur

Solistes * et chœur La Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, direction artistique Sarah Koné

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2023.

Tag(s) : #Opéra et Musique
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :